Critiques littéraires

Le verbe vert

Le verbe vert

D.R.

Al-chi‘r al-arabi al-mou‘asser min manzour ekologi (« La poésie arabe contemporaine du point de vue écologique ») de Zahida Darwiche Jabbour, Jarrous Press Publishers, 2022, 255 p.

Une approche inédite dans l’univers du Parnasse arabe vient d’être franchie en fouillant le lien entre le verbe et la nature, au sens non seulement lyrique mais écologique du terme, grâce à l’ouvrage de Zahida Darwiche Jabbour Al-chi‘r al-arabi al-mou‘asser min manzour ekologi (« La poésie arabe contemporaine du point de vue écologique »).

Professeur de littérature française à l’Université libanaise, traductrice, auteure de plusieurs ouvrages littéraires où la poésie figure en bonne place, Zahida Darwiche Jabbour n’est certainement pas venue par hasard vers ce sujet de brûlante actualité : le Parnasse et la défense de l’état de nature.

Cette étude documentée est déjà disponible dans les librairies. Elle porte sur le rapport au pouvoir des mots et l’innocence d’une branche d’olivier, symbole de la paix et de lendemains lumineux. Douze poètes, originaires du Liban au sultanat d’Oman en passant par la Syrie, la Palestine, le Yémen et l’Irak, sont en lice. La limite géographique est concise pour disséquer une inspiration et le dire engagé des voyants de cette région du globe. Non seulement pour s’entretenir de ce que les hommes à la sensibilité vive et au verbe d’or empruntent comme images, combinaisons de formules et lexique à leur environnement immédiat, mais aussi, par-delà leur conviction personnelle profonde, pour intimer l’ordre à tout lecteur de respecter une nature de plus en plus agressée, spoliée de ses ressources et impunément polluée.

Tel est le message convoyé par ces trouvères contemporains arabes, avant-gardistes de la cause écologique, qui magnifient et chantent la création. Pour mieux la (sauve)garder, l’entretenir, protéger sa richesse, louer sa beauté divine… Tout cela pour un meilleur équilibre entre l’homme et son environnement, lequel est sérieusement menacé, pillé et souvent saccagé.

Que dire du Liban par exemple, face à toutes les dérives écologiques, entre pollution sans frein, réchauffement climatique alarmant et débordements de toutes sortes qui assaillent le citoyen impuissant devant tant d’infractions illégales, impensables, inacceptables ? Le verbe du poète reste du domaine du rêve (de l’utopie !), de la nostalgie, du pieux vœu pour un mieux-faire et un mieux-être… De toute façon une révolution et une réforme commencent toujours par le verbe. Et les poètes sont en première ligne.

Zahida Darwiche Jabbour plonge dans les racines de ce combat, pour dégager l’essence de chacun de ces douze poètes. Elle propose ainsi une notice biographique pour une plus ample connaissance de leur parcours et personnalité, et pour révéler la spécificité de leur territoire vécu. Elle évoque aussi ce qui constitue l’appartenance et les richesses d’une nation, d’une patrie, d’une terre, d’une partie du monde arabe même dans ses multiples embrasements…

Avec comme paysage commun les contours, la faune et végétation du pays du cèdre, les sept libanais qui taquinent les muses, presque tous nés dans des villages où la nature est omniprésente, consolatrice, bienfaitrice, ont la sobriété d’une voix chorale dans leur respect et amour… De Aley, Nour Salman qui parle de la « fraternité humaine dans le partage de la terre », au fils de Chabtine qui affirme « Que toutes les branches des arbres sont ses membres et que les oiseaux sont ses frères », les déclarations sont sans équivoque.

Et leurs compagnons dans l’art de la lyre de poursuivre, dans le même registre. Avec beaucoup de sincérité et sans emphase, Chawki Bzei‘ de lancer : « Après ma mort ne restera orphelin de mon poème que les arbres. » Le rejoint dans cette idée de proximité et d’intime familiarité avec la nature et ses vastes espaces sous un firmament de cristal, la phrase de Jawdat Fakhr el-Dine, enfant du Sud verdoyant : « Le ciel m’a confié aux nuages pour que je leur ressemble. »

Issa Makhlouf, avec sa vaste culture, son sens de la spiritualité et son attachement à l’art entre peinture et musique classique, épris d’un doux romantisme et d’un sens d’un rêve debussyste tout en pureté, déclare : « Je saisis la chute des gouttes de pluie sur l’eau… » Zghortiote comme le traducteur en arabe de L’Émigré de Brisbane de Georges Schéhadé, Fawzi Yammine, lui aussi élevé dans le cadre somptueux des montagnes du Nord, dit : « Je vois le monde innocent naître d’une brise. » Pour fermer la ronde parnassienne libanaise, le dernier mot est au Beyrouthin Adib Saab : « Emmenez-moi là où le verbe pousse sur les arbres… »

C’est au tour de l’Irak avec son poète des deux rives, entre le Tigre et l’Euphrate, de crier : « Haut, haut, Ô arbre, bouge avec tes mains l’air de la ville. » Pas moins véhémente et nationaliste est la formule du syrien Nazih Abou Afech : « Jusqu’à quand cette terre peut-elle encore résister ? »

De la Palestine meurtrie, Ibrahim Nasrallah a ce credo : « Une muraille de cyprès suffit… murailles de roses et de jasmins. » Du lointain Yémen écrasé de soleil, la sentence d’Abdel Aziz al-Makaleh tombe comme un couperet : « Lisez la terre… la terre est une école dont l’enseignement ne déçoit pas. »

Pour conclure, du sultanat d’Oman avec sa terre aux cailloux couleur de quartz et ses tours portugaises devant le turquoise de la mer du détroit d’Ormuz, ancienne route de la soie, Saïf el-Rahbi dit, à l’instar du verbe déclamatoire et dénonciateur d’un Saint-John Perse : « On ne ressemble plus ni à cette mer ni à cette terre. »

Des poètes dont la notoriété, pour tous, n’est pas de mise et qui gagnent à être plus amplement connus, s’érigent dans ces pages comme les lanceurs d’alerte d’une cause écologique dont le souffle enfle et gagne du terrain, même dans un Proche-Orient éclaté et aux infrastructures défaillantes ou en voie de développement.

Grâce aux poètes, le mot, par-delà toute communion et communication, déchiffre la nature, l’interprète, la métamorphose, caresse l’imagination et prend les rênes du pouvoir. Déjà une appréciable et louable percée !

Al-chi‘r al-arabi al-mou‘asser min manzour ekologi (« La poésie arabe contemporaine du point de vue écologique ») de Zahida Darwiche Jabbour, Jarrous Press Publishers, 2022, 255 p.Une approche inédite dans l’univers du Parnasse arabe vient d’être franchie en fouillant le lien entre le verbe et la nature, au sens non seulement lyrique mais écologique du terme, grâce à...

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