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Monde - Discrimination

En Inde, une répression des musulmans qui ne dit pas son nom

Gouverné par le Premier ministre nationaliste Narendra Modi, le pays fait face à une montée de l’islamophobie qui semble dangereusement l’engager dans un processus de violence généralisée.

En Inde, une répression des musulmans qui ne dit pas son nom

Protestation à New Delhi le 27 décembre 2021 après un appel par la ligne dure hindoue à \"massacrer les musulmans\". Sajjad HUSSAIN/AFP

« Les conditions de libertés religieuses en Inde se sont considérablement aggravées », s’alarme dans un rapport du 25 avril dernier la Commission américaine sur la liberté religieuse à l’international. Et pour cause, l'Inde, un pays de 1,38 milliard d'habitants dont 200 millions de musulmans, fait face à une montée de l’islamophobie qui semble dangereusement l’engager dans un processus de violence généralisée contre la communauté musulmane indienne. « Il ne s’agit pas d’affrontements, car d’un côté il y a des gens qui subissent et de l’autre côté il y a vraiment une machine de discrimination et d’oppression », rappelle Ingrid Therwath, universitaire et spécialiste de l’Inde, avant d’ajouter : « On peut parler de pogrom au sens littéral, d’une intention génocidaire ».

Pour Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior au think tank Asiacentre, on assiste à une « stratégie des mille coupures, c’est-à-dire des incidents qui ne font pas forcément la première page pendant des semaines mais qui exacerbent les tensions ».

La multiplication d’épisodes sanglants déclenchés par des nationalistes hindous, comme ceux du samedi 18 avril, contribue à l’escalade des violences, et pourrait mener au basculement. Ce jour-là, dans le nord de Delhi, à l’occasion de la fête hindoue de Hanuman Jayanti, des extrémistes hindous vêtus de safran et armés se dirigent vers les quartiers musulmans en proférant des provocations à l’encontre de la communauté musulmane. Des heurts ont éclaté, faisant plusieurs blessés, majoritairement côté musulman.

Face à la violence de ces événements, le silence du gouvernement et de son chef Narendra Modi est pesant, mais peu étonnant. Arrivé au pouvoir en 2014 sous la bannière du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou, Narendra Modi avait débuté sa carrière au sein du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une milice d’inspiration fasciste précédant la création du parti. L’idéologie de l’hindutva portée et diffusée par le BJP et le RSS, prône le retour à une culture indienne épurée de son héritage moghol, et « considère que l’Inde est par essence un pays hindou » explique Jean-Luc Racine.

L'idéologie des nationalistes hindous

La reconduction de Narendra Modi au poste de Premier ministre en 2019, en conférant une forte légitimité à l’idéologie des nationalistes hindous, a institutionalisé la discrimination des musulmans, sous couvert de la poursuite d’autres objectifs. Une série de décisions, comme celle d’abroger l’autonomie constitutionnelle de l’État du Cachemire, seule région majoritairement musulmane, le 5 août 2019, puis celle de la Cour suprême de céder le terrain de la mosquée d’Ayodhya aux hindous extrémistes en novembre de la même année, ont eu pour conséquence la marginalisation progressive de la communauté musulmane. « Des élus du BJP sont responsables d’appels à la haine, voire d’appels au meurtre », créant un contexte de peur chez les musulmans souligne Ingrid Therwath. « On les accuse presque d’exister, c’est-à-dire d’aller à la mosquée, d’avoir des commerces », ajoute-elle. La multiplication des lois restreignant les droits et libertés des musulmans, en a peu à peu fait des citoyens de seconde zone.

« La discrimination religieuse en matière de citoyenneté » est une façon de marginaliser les musulmans au sein de la société souligne pour sa part Jean-Luc Racine. La loi réformant le droit à la nationalité indienne de décembre 2019 visait à faciliter la naturalisation des immigrés issus des religions suivantes : hindous, chrétiens, bouddhistes, sikhs, jaïns et zoroastriens, excluant de fait les musulmans. Dans l’Uttar Pradesh, les extrémistes hindous au pouvoir ont adopté en 2017 puis en 2020 une loi interdisant l’abattage des vaches, imposant leurs habitudes alimentaires à la partie musulmane de la population. Plus récemment, en février 2022, huit jeunes filles se sont vues interdites l’entrée dans une école du sud du pays car elles arboraient le voile islamique, alors que son port était jusque-là autorisé. Le gouvernement BJP du Karnataka, a soutenu cette interdiction en stigmatisant les musulmanes portant le hijab, tandis que la Haute Cour du Karnataka, saisie dans le cadre de cette affaire, a finalement estimé le 15 mars, que le hijab ne constituait pas « une pratique religieuse essentielle dans la foi islamique ».

Une image défavorable des musulmans

Signe de la force avec laquelle s’impose l’idéologie du BJP, le secteur économique indien est lui aussi pénétré par l’esprit islamophobe. Début mars, de nombreuses voix nationalistes hindoues ont appelé au boycott économique des marchands et des chauffeurs de taxi musulmans, les accusant de mener un « jihad économique » visant à islamiser le pays. Les marchands musulmans autrefois présents dans l’enceinte des temples hindous à l’occasion des festivals religieux, ont alors été exclus. « Ce n’est pas anodin qu’on s’en prenne aux commerces, parce qu’il s’agit de la productivité, de ce qui permet de vivre. C’est une façon de dire : on va vous enlever les moyens de subsistance » explique Ingrid Therwath. Au-delà de l’humiliation subie, l’impact économique et financier est considérable. « On observe une paupérisation de la population musulmane en Inde, c’est en ce sens qu’il y a un apartheid économique », soutient la spécialiste de l’Inde.

L’imprégnation d’une part grandissante de la population par cette idéologie et la pénétration de celle-ci des sphères politique et économique, s’expliquent en partie par son mode de diffusion à travers le pays. Les outils de propagande aux mains du gouvernement de Narendra Modi sont nombreux. Parmi ceux-ci, la radio, les trolls sur les réseaux sociaux ou encore le cinéma. La sortie du blockbuster « Kashmire files » le 11 mars, dresse un portrait dégradant et mensonger des musulmans, les décrivant comme des tueurs assoiffés de sang, à travers le récit de l’exode des pandits du Cachemire en 1990. Soutien du film, le BJP a non seulement sponsorisé sa projection en Inde et à l’étranger, mais a également fait baisser le prix du billet de cinéma dans certaines régions et accordé une demi-journée de congé aux fonctionnaires pour favoriser sa diffusion. Une étude sociologique de 2011, intitulée « Portrait des musulmans à Bollywood », révélait déjà que sur 50 films Bollywood, deux tiers renvoyaient une représentation « défavorable » des musulmans, signe du dangereux potentiel d’influence de l’outil cinématographique.

« Les conditions de libertés religieuses en Inde se sont considérablement aggravées », s’alarme dans un rapport du 25 avril dernier la Commission américaine sur la liberté religieuse à l’international. Et pour cause, l'Inde, un pays de 1,38 milliard d'habitants dont 200 millions de musulmans, fait face à une montée de l’islamophobie qui semble dangereusement l’engager dans un...

commentaires (1)

Quel est le sort des Hindous au Pakistan ? Celui des toutes les minorités religieuses en terre d'Islam . Victimes de violences et de discrimination voire de destruction de temples . Ils continuent à fuir vers l'Inde au rythme de plusieurs centaines chaque année . Que les Musulmans de République indienne subissent des violences de la part des Hindous , est-ce anormal ?

yves gautron

19 h 10, le 03 mai 2022

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Commentaires (1)

  • Quel est le sort des Hindous au Pakistan ? Celui des toutes les minorités religieuses en terre d'Islam . Victimes de violences et de discrimination voire de destruction de temples . Ils continuent à fuir vers l'Inde au rythme de plusieurs centaines chaque année . Que les Musulmans de République indienne subissent des violences de la part des Hindous , est-ce anormal ?

    yves gautron

    19 h 10, le 03 mai 2022

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