Le Conseil des ministres, réuni mardi au palais présidentiel de Baabda sous la présidence du chef de l'Etat, Michel Aoun, a chargé la justice militaire d'enquêter sur le naufrage d'une embarcation de migrants clandestins au large de Qalamoun, au sud de Tripoli (Liban-Nord), qui a fait au moins six morts et une trentaine de disparus. Ce drame a suscité la colère dans plusieurs régions, des manifestants ayant même accusé la marine militaire d'avoir percuté l'embarcation des migrants et provoqué son naufrage.
La situation sécuritaire dans le pays était également au menu des discussions des ministres, de nombreux incidents s'étant produits dernièrement, notamment une agression du ministre de l'Energie Walid Fayad, ou encore le tir d'une roquette vers Israël. Ces développements font craindre un report des législatives du 15 mai.
Le gouvernement a "demandé au commandement de l'armée de mener une enquête transparente sur les conditions et circonstances de l'incident, sous la supervision de l'autorité judiciaire compétente", a annoncé le ministre de l'Information, Ziad Makari, à l'issue d'une séance ministérielle extraordinaire. M. Makari a précisé que la justice militaire se chargerait de l'enquête.
Le gouvernement a également chargé le Haut-Comité de secours de prendre les mesures nécessaires et de débloquer des fonds pour venir en aide aux familles sinistrées. Le ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar, a, lui, été chargé de coordonner avec des organisations internationales en vue de l'obtention d'aides aux proches des victimes.
Le cabinet a enfin formé une commission ministérielle chargée d'élaborer un projet de loi pour la création d'un Conseil de développement du Nord.
Dans la nuit de samedi à dimanche, un bateau chargé de migrants clandestins libanais, syriens et palestiniens, a fait naufrage au large de Qalamoun. Le dernier bilan, diffusé par l'armée, fait état d'au moins six morts. Une source sécuritaire a toutefois confié mardi à notre correspondant Souhayb Jawhar que le naufrage aurait fait huit morts, alors que 32 personnes sont toujours portées disparues. Selon notre correspondant Michel Hallak, qui cite le directeur du port de Tripoli, Ahmad Tamer, les recherches se poursuivent avec la participation d'une frégate grecque. Selon le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), au moins 84 personnes se trouvaient à bord de l'embarcation, et l'armée a indiqué que 48 personnes ont jusque-là été secourues.
Ce nouveau drame a suscité la colère de la population, de nombreux Libanais ayant accusé la classe au pouvoir d'avoir poussé les migrants à fuir le pays en raison de son inaction face à l'effondrement général.
"Spéculations"
Au début de la séance du gouvernement, le président Aoun, ainsi que le cabinet, ont observé une minute de silence en mémoire des victimes du naufrage. Le chef de l'Etat a par la suite "présenté ses condoléances aux familles des victimes et espéré que les blessés se rétablissent vite", rapporte la présidence. Il a également espéré que le sort des personnes toujours portées disparues "soit déterminé". "Ce qui s'est passé à Tripoli nous a tous causé de la peine et doit être résolu à tous les niveaux. Le pouvoir judiciaire doit enquêter sur le naufrage au vu de la présence de versions contradictoires à ce sujet, afin de dévoiler la vérité et de mettre un terme à toute spéculation ou à des versions contradictoires", a plaidé le chef de l'Etat.
De son côté, le Premier ministre, Nagib Mikati, a "refusé que des accusations soient lancées à tort et à travers", assurant suivre cette affaire "conformément aux normes judiciaires et sécuritaires". M. Mikati a également souhaité une "enquête globale" et affiché sa "confiance dans le commandement de l'armée qui veille sur la protection des Libanais et la transparence de l'enquête".
"Moral de la troupe"
Convoqués par le président Aoun, le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, ainsi que le commandant de la marine militaire, le général Haytham Dennaoui, ont également assisté à la réunion et auraient présenté, selon plusieurs médias locaux, des vidéos qui mettraient hors de cause l'armée dans ce naufrage.
Selon une source informée qui s'est confiée à L'Orient-Le Jour, le chef de l'armée a appelé à "préserver le moral des soldats", et a démenti que la troupe soit impliquée dans le drame, rappelant que les militaires "tentaient de sauver des femmes et des enfants de la noyade". Selon la même source, les propos du général Joseph Aoun sur le moral de la troupe constituent une réponse à tous ceux qui ont critiqué l'armée dans la foulée du naufrage, mais aussi et surtout au leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, M. Bassil commente l'incident de Tripoli, tout en décochant ses flèches en direction de la troupe. "Il n'est pas vrai que l'armée n'est jamais fautive", martèle M. Bassil dans sa vidéo: "C'est parce que nous aimons la troupe que nous disons que certains de ses officiers et membres commettent des erreurs et doivent rendre des comptes", ajoute-t-il, estimant que si des comptes avaient été rendus dans l'affaire de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, et l'explosion d'une cuve à essence à Tleil, dans le Akkar, en août 2021, la tragédie de Tripoli n'aurait pas eu lieu. Toujours selon cette source, Joseph Aoun aurait ainsi mis les points sur les i.
Dimanche, l'armée a indiqué que le bateau avait coulé juste après son départ de Qalamoun en raison du trop grand nombre de personnes à bord. Mais l'un des survivants a affirmé que l'embarcation avait coulé après avoir été prise en chasse par les militaires. "Le bateau de patrouille a percuté à deux reprises notre embarcation (...)", a-t-il dit à l'AFP au port, avant que des familles de survivants ne lui demandent de se taire et l'emmènent plus loin.
Lors d'une conférence de presse dimanche à la base navale de l'armée à Beyrouth, le commandant de la marine militaire a expliqué que le navire qui a fait naufrage a été construit en 1974 et mesurait 10 mètres sur une largeur de trois. Il a également affirmé que l’embarcation avait coulé après avoir percuté une vedette de la marine militaire qui la pourchassait, précisant toutefois que l’armée n’avait pas ouvert le feu contre elle.
Affaire Fayad
Le gouvernement est par ailleurs revenu sur d'autres incidents sécuritaires qui s'étaient produits dernièrement, notamment l'agression du ministre de l'Energie, Walid Fayad, par des manifestants à sa sortie d'un bar, les accrochages à Tripoli suite au naufrage de l'embarcation, ou enfin le tir d'une roquette depuis le Liban-Sud vers Israël. Concernant l'affaire Fayad, le gouvernement a appelé à ce que "les mesures nécessaires soient prises en vue de sanctionner les personnes impliquées".
Dimanche soir, le ministre avait été violemment agressé par un manifestant identifié comme étant Elie Haykal, qui l'avait accusé d'être ivre alors que des personnes étaient toujours portées disparues dans le naufrage de Tripoli. M. Fayad avait alors estimé qu'il "ne suffit pas d'arrêter les agresseurs" et appelé à ce qu'ils soient "sanctionnés au nom du peuple libanais". Elie Haykal s'est livré mardi après-midi aux forces de l'ordre à Zouk Mosbeh et doit être transféré au commissariat Beydoun à Beyrouth pour les besoins de l'enquête, a confirmé son avocat à notre publication anglophone L'Orient Today.
Mikati avec sa tête baissée m’a fait couler une larme.
10 h 06, le 27 avril 2022