Alors que la date fatidique du second tour de l’élection présidentielle française arrive à grands pas, portant avec elle la réalité de la montée de l’extrême droite et des enjeux majeurs qui sont ceux du pouvoir d’achat ou de l’énergie, une partie du Moyen-Orient n’a pas l’air suspendue à l’issue du scrutin de dimanche. Et pour cause, la guerre en Ukraine a redéfini les thèmes de campagne autour de préoccupations domestiques et européennes, chassant notamment les enjeux moyen-orientaux du débat. « Il y a aussi dans une certaine mesure le sentiment que la France, tout en étant toujours un acteur très présent au Levant, n’a peut-être plus la même influence stratégique que dans le passé », explique Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Si la tendance semble partagée entre intérêt et désintérêt pour le scrutin français dans la zone, le Maghreb reste quant à lui le grand concerné de la présidentielle. De l’Irak à l’Égypte en passant par la Syrie ou la Jordanie, la campagne présidentielle ne passionne pas les foules. C’était même silence radio pour ces pays avant le fameux débat de l’entre-deux-tours qui s’est tenu mercredi soir. À se demander presque si l’information était relayée par les quotidiens officiels. Et c’est la cause environnementale qui a réveillé le côté égyptien alors que le journal al-Destour, anciennement pro-opposition et désormais proche du pouvoir, s’est concentré sur le moment où Marine Le Pen a accusé son rival d’être « climato-hypocrite ». « On s’attendait à ce que le débat soit plus ennuyeux, mais c’est tout le contraire », peut-on lire dans l’article rapportant les échanges des deux candidats.
De façon plus générale, les presses nationales délivrent le service minimum : rendre compte des différents résultats du scrutin et de ses principaux enjeux. « Cette élection présidentielle ne suscite de l’intérêt que chez les élites francophones qui suivent de près la politique intérieure française », souligne Karim Bitar. « Le fait que la France soit perçue comme n’accordant plus une importance prioritaire à la question palestinienne a contribué à un détachement des opinions publiques de la région », fait-il remarquer. Le journal en ligne ultraconservateur iranien Jahan News ne manque pas cependant de dresser dans ses articles le tableau d’une élection qui sépare « les riches et les pauvres en France », dont les candidats font « pression sur les musulmans ».
Dans le Golfe, l’attention pour cette élection est particulièrement visible dans les médias saoudiens, émiratis et qataris. Cette couverture médiatique, s’expliquant par les liens économiques et diplomatiques qui relient l’Hexagone au Golfe, analyse les enjeux de l’entre-deux-tours et résume le débat entre les deux candidats en se concentrant principalement sur les questions de l’islam en France. Pour la chaîne al-Jazeera, si le projet d’Emmanuel Macron a « restreint la liberté religieuse » de la communauté musulmane, celui de Marine Le Pen est perçu comme davantage radical sur les questions comme celles du voile ou de la consommation halal.
Pour le Liban, l’intérêt s’explique par la relation historique entre Paris et Beyrouth. De par son volontarisme affiché face à la crise libanaise, Emmanuel Macron s’est présenté comme proche des Libanais, mais Marine Le Pen apparaît aux yeux de certains comme un rempart protecteur d’une identité française jugée en danger. Le site d’information libanais Now rend compte de l’importance de l’issue de ce scrutin, en écrivant que le choix final « aura un impact massif sur l’avenir du Liban ». Si le débat de l’entre-deux-tours n’a pas fait l’objet d’analyses approfondies dans la presse locale, ses grandes lignes ont tout de même été résumées par différents médias.
En Israël, le journal de centre gauche Haaretz rappelle « la sinistre tradition antisémite » du parti dont est issue la candidate Le Pen et insiste sur la dimension controversée de ses positions sur la région, en évoquant notamment sa nature conciliante à l’égard du régime de Bachar el-Assad. Si la présidence d’Emmanuel Macron n’a pas rompu avec le traditionnel discours français prônant une solution à deux États et condamnant les colonies, il s’est bien gardé de contrarier le pouvoir israélien en rejetant le terme d’« apartheid » utilisé par Amnesty International pour qualifier l’État hébreu vis-à-vis des Palestiniens.
« Le récit est effrayant »
Quant à la presse turque, elle met l’accent sur la montée des extrêmes. Pour le journaliste Haci Mehmet Boyraz publié dans les colonnes du quotidien proche du pouvoir Sabah, si Emmanuel Macron a une longueur d’avance sur Marine Le Pen pour ce second tour, « il est inévitable que l’extrême droite arrive au pouvoir en 2027 ». Le journal Sabah a aussi souligné les échanges des candidats relatifs à l’islam et à l’immigration lors du débat de mercredi soir. Le président du parti nationaliste d’extrême gauche Vatan, Doğu Perinçek, a par ailleurs déclaré son soutien à la candidate du Rassemblement national.
Surtout, le scrutin n’est pas boudé par le Maghreb. Pour Karim Bitar, « l’enjeu principal n’est pas lié à la géopolitique, mais à la présence en France de plusieurs millions de personnes d’origine algérienne, tunisienne et marocaine. C’est essentiellement la question du rapport à l’islam qui explique que cette élection soit suivie de façon plus étroite au Maghreb qu’au Levant ». L’inquiétude de la montée de l’extrême droite est claire surtout au lendemain du premier tour, où le journal tunisien Réalités titre « L’extrémisme, grand gagnant de la présidentielle française, peu importe l’identité du prochain président ».
Côté algérien, le constat est le même. « Le récit est effrayant », écrivait hier le site d’information TSA en référence aux conséquences des décisions de Marine Le Pen si cette dernière venait à être élue. « Un événement national majeur », d’après le quotidien généraliste Liberté, et c’est peut-être car l’avenir des relations franco-algériennes en dépend. Le premier enjeu est donc lié à la présence d’une importante diaspora algérienne en France, souvent stigmatisée par l’extrême droite. La candidate du RN souhaite notamment supprimer le régime dérogatoire pour les titres de séjour permettant de faciliter l’obtention des visas pour les Algériens. Le second enjeu est mémoriel car si élue, la candidate entend revenir sur les actes de reconnaissance des méfaits du colonialisme français en Algérie.
Le journal Maroc Hebdo rappelle l’importance de la diplomatie d’influence de la France au Maghreb et dans le royaume. Si les liens politiques entre Macron et Mohammed VI sont fragilisés depuis l’affaire d’espionnage Pegasus, Rabat reste sur un total de 120 pays, le premier partenaire de l’Agence France développement (AFD) dans le monde. Conclusion, le royaume soutient Macron, mais il faut « opérer une révision significative », d’après l’hebdomadaire Finances News. Rabat est en attente d’un « grand geste », ajoute le média, qui pourrait ressembler à une reconnaissance du plan d’autonomie du Sahara occidental ou encore à l’ouverture d’un consulat français à Dakhla.
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les habitants du Maghreb s'intéressent aux élections françaises. Jusqu'à présent, ils envoyaient en France tous leurs "indésirables" ; après les élections, ça pourrait changer et la France n'accepterait que les meilleurs : travailleurs, de bonne volonté, non violents, non délinquants, non radicalisés, etc. Et ça, ce n'est pas pour plaire à ces pays. En revanche, cela plaît beaucoup aux Français.
15 h 30, le 22 avril 2022