
Monument du théâtre français, Michel Bouquet est connu pour avoir joué pas moins de 800 fois en 20 ans « Le roi se meurt » d’Eugène Ionesco. Sur la photo, le comédien lors d’une représentation en septembre 2005. Frank Perry/AFP
Le comédien français Michel Bouquet, décédé hier mercredi à l’âge de 96 ans, avait peut-être rêvé de mourir sur scène, comme son personnage fétiche dans Le roi se meurt d’Eugène Ionesco qu’il aura joué pas moins de 800 fois en 20 ans. C’est son service de presse qui a annoncé la nouvelle hier : « Michel Bouquet est décédé en fin de matinée dans un hôpital parisien », a-t-il ainsi communiqué.
Aussitôt, les réactions à sa mort ont fusé. « Michel Bouquet était un génie, un immense acteur. Je pense aussi au professeur de comédie qu’il était et qui a révélé des générations de comédiens. Il défendait une grande réflexion sur le jeu du comédien, dans le respect des auteurs, avec une grande humilité par rapport au texte. Il avait un discours d’exigence passionnée, avec un engagement permanent et à la fois beaucoup de sobriété dans le jeu », a déclaré l’acteur et metteur en scène Nicolas Briançon. Le président français Emmanuel Macron a salué la mémoire d’un « monstre sacré » et un « maître inoubliable, irremplaçable, pour des générations d’acteurs ».
Après 75 ans de carrière, le monstre sacré du théâtre, tout aussi inoubliable dans les films des réalisateurs Claude Chabrol et François Truffaut, avait confié en 2019 qu’il ne remonterait plus sur scène après avoir fait son « bonhomme de chemin ». Ce géant de la scène, quelques années plus tôt, espérait « ne jamais (s’)arrêter de jouer ».
Sur le grand écran, il a été un étonnant François Mitterrand au soir de sa vie dans Le Promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian (2004), avec un mimétisme qui troublera jusqu’aux proches de l’ancien président français, et un magistral Javert dans Les Misérables de Robert Hossein (1982). Prolifique, souvent énigmatique et troublant, le comédien avait reçu de très nombreux prix, notamment deux fois le césar du meilleur acteur : en 2002, pour le film d’Anne Fontaine Comment j’ai tué mon père, puis en 2006, pour Le Promeneur du Champ de Mars. Au théâtre, il avait décroché deux fois le molière du meilleur comédien, dont un en 2005 pour Le roi se meurt, qu’il jouait avec son épouse Juliette Carré, formidable reine Marguerite. Il a marqué le théâtre de l’après-guerre en faisant connaître en France l’œuvre de Harold Pinter, se mettant au service de grands textes classiques (Molière, Diderot) et contemporains (Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Albert Camus).
Affichant clairement sa préférence pour le théâtre, Michel Bouquet n’en a pas moins été un brillant acteur de cinéma, endossant avec beaucoup de subtilité des personnages souvent secrets et équivoques. Sa silhouette plutôt ronde, son style discret et sa voix grave, contredite par une certaine espièglerie du regard, lui offraient une large palette de rôles. Il martelait que l’acteur n’était « qu’au service » de l’auteur : « Le texte, il n’y a que le texte. Tout vient de l’auteur. L’acteur n’est là que pour prendre la main du spectateur et lui faire serrer le cœur de l’auteur. »
Né le 6 novembre 1925 à Paris, fils d’un officier, Michel Bouquet avait été envoyé avec ses frères en pension, une expérience qui l’a « terrorisé ». Il doit son goût du spectacle à sa mère qui l’emmenait régulièrement à l’Opéra-Comique. « À chaque fois que le rideau se levait, il n’y avait plus l’horreur de la guerre (...), le monde irréel dépassait de très loin le monde réel. Ça a été le meilleur enseignement de ma vie », confiait-il en 2019.
Tour à tour apprenti pâtissier, mécanicien dentiste et manutentionnaire durant sa jeunesse, il se rend un jour chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui propose immédiatement de suivre ses cours. Il monte sur les planches en 1944, et deviendra vite compagnon du dramaturge Jean Anouilh puis du comédien Jean Vilar au Théâtre national populaire et au Festival d’Avignon. À partir de 1947, on le retrouve aussi au générique de nombreux films, mais il devra attendre les années 1960 pour connaître la notoriété.
Sa voix neutre et posée, son goût pour l’ambiguïté feront merveille dans les films de Claude Chabrol qui l’emploie dans des rôles de notables de province, secrets et dévoyés. Il noue avec ce metteur en scène une complicité durable (La femme infidèle, Poulet au vinaigre). Il joue aussi avec François Truffaut quelques-uns de ses meilleurs films (La mariée était en noir, en 1967, et La Sirène du Mississippi, en 1968). Il triomphe sur scène avec Le roi se meurt, qu’il joue dès 1994, puis quasiment en continu de 2004 à 2014. Pour lui, jouer était une nécessité intime plus qu’un plaisir. « C’est une angoisse affreuse, disait-il. Mais c’est intéressant. Pour vivre quelque chose que l’on ne vivrait pas autrement. On ne risque rien, rien, sauf de se casser la figure. »
Source : AFP