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Les urnes et les autres

C’est là un fait historique, étayé par un long passé d’amitié, une solide tradition et des affinités que n’explique pas, à lui seul, l’intérêt bien compris des partenaires : tout ce qui se passe en France intéresse, et souvent concerne de près, nombre de Libanais. De même, rien de ce qui se passe au Liban ne laisse insensibles la plupart des Français.


Voilà de surcroît que les hasards du calendrier politique viennent placer, simultanément ou presque, ces deux peuples face à une échéance électorale : législative ici, présidentielle là. Or rarement auparavant enjeux de scrutin n’ont paru à tel point cruciaux, n’ont porté, ici et là, une aussi puissante charge symbolique. C’est ainsi entre deux visions totalement antinomiques de l’Hexagone, de l’Europe, du monde que devront opter les Français, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. Au classique débat domestique sur les prestations étatiques, le pouvoir d’achat, l’immigration et autres problèmes de société, s’ajoutent désormais les angoisses continentales, et même planétaires, nées de la guerre d’Ukraine.


Le choc frontal des idées, l’éventualité d’un virage serré, voire d’un basculement, se traduisent par un spectaculaire réagencement du panorama politique français, bouleversé une première fois lors de l’élection d’Emmanuel Macron. La droite poursuit ainsi sa plongée dans les abysses électorales, avec une Valérie Pécresse qui en est réduite à faire la manche pour rembourser ses énormes frais de campagne. Revenant de loin sous la houlette d’un Jean-Luc Mélenchon, arrivé en troisième position lors du coup d’envoi de dimanche dernier, la gauche est, en revanche, l’objet de toutes les sollicitudes. C’est dans ses rangs que le lièvre Macron, entré sur le tard en meetings et bains de foule, s’active fiévreusement déjà pour recruter des électeurs, allant hier jusqu’à se dire prêt à transiger sur l’âge légal de la retraite. Par le plus grand des paradoxes il en ira probablement de même pour Marine Le Pen, qui n’a jamais paru aussi près de décrocher la timbale. Reprenant à son compte divers thèmes sociaux chers à la gauche, mettant un bémol à ses revendications les plus controversées, la chef du Rassemblement national aura trouvé dans le radicalisme à tout crin d’Éric Zemmour un commode moyen de désulfuriser sa propre image publique.


Du soufre, on en trouve à la pelle hélas dans les législatives libanaises programmées pour le mois prochain. Fermement en lice, avec l’assurance que leur procure une loi électorale taillée sur mesure sont les formations politiques les plus marquées, pourtant, par les scandales qui ont conduit à l’effondrement institutionnel, financier et socio-économique du pays ; comme il se doit, ce sont d’ailleurs leurs héros les plus suspects de corruption, d’incompétence (ou des deux!) qui paradent en tête de listes et appellent avec le plus de vigueur à quelque opération mains propres. Les plus invraisemblables des alliances sont contractées juste le temps d’un scrutin, et on aura même vu le chef du Hezbollah convoquer, pour les réconcilier, les deux fers maronites qu’il tient au feu, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.

Face à une aussi increvable coalition, c’est en rangs dispersés que se présentent les forces du renouveau, issues du soulèvement populaire de 2019. On peut certes le déplorer, mais non baisser les bras d’office. Parfaitement possibles en plus d’une circonscription sont en effet les percées, et il suffit de peu pour initier un changement forcément long à s’épanouir. Voter quand même, voter à tout prix, même dans un contexte aussi défavorable, est plus que jamais un intransgressible devoir national. Cela à l’heure où s’affrontent dans nos murs deux perceptions contradictoires du Liban et où est repensée, sinon redessinée, la carte de la région.


Ce sont les petits pays qui ont le plus à redouter des grands basculements. Au milieu d’un Parlement rompu à toutes les compromissions et impostures, toute voix – n’y en aurait-il même qu’une seule – ne sera jamais de trop pour plaider la bonne cause.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est là un fait historique, étayé par un long passé d’amitié, une solide tradition et des affinités que n’explique pas, à lui seul, l’intérêt bien compris des partenaires : tout ce qui se passe en France intéresse, et souvent concerne de près, nombre de Libanais. De même, rien de ce qui se passe au Liban ne laisse insensibles la plupart des Français. Voilà de surcroît...