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Moyen-Orient - Droits humains

La répression continue : le journaliste marocain Omar Radi transféré à la prison de Tifelt 2

Le condamné se retrouve à plus de 150 km de ses parents et de l’hôpital dans lequel il recevait les traitements nécessaires pour la maladie de Crohn dont il souffre.

La répression continue : le journaliste marocain Omar Radi transféré à la prison de Tifelt 2

Le journaliste marocain Omar Radi. Photo tirée de son compte Facebook

« Ils ont donné à Omar cinq minutes pour rassembler ses affaires, ils l’ont menotté et lui ont demandé de les suivre, sans aucune explication donnée. Ils ont ensuite effectué un trajet de 150 km. Il nous a dit qu’il avait peur, il était seul dans une voiture sans savoir où il allait. Il n’a pu souffler qu’une fois arrivé à la prison de Tiflet, où il a compris qu’il était transféré », raconte Fatiha Cherribi, la mère du condamné. Samedi dernier, Omar Radi, journaliste d’investigation marocain et défenseur des droits humains de 35 ans, a été transféré, sans que sa famille et ses avocats ne soient prévenus, à la prison locale de Tifelt 2, à 50 km à l’est de Rabat, au Maroc. Depuis sa condamnation à six ans ferme en appel le 3 mars, il était incarcéré à la prison de Oukacha à Casablanca, ville dans laquelle réside sa famille.

Connu pour ses positions critiques contre le gouvernement, Omar Radi a été arrêté et inculpé en juillet 2020 pour une double affaire d’« espionnage » et de « viol », accusations qu’il dément encore aujourd’hui. Sa famille, qui a pu s’entretenir avec lui pendant 30 minutes lors d’une visite lundi dernier, confirme un durcissement des conditions de détention : le condamné s’est vu confisquer ses effectifs personnels, carnets de notes, lectures, ainsi que les messages et cartes qu’il recevait. Il partage désormais sa cellule avec quatre autres détenus, est autorisé à passer seulement deux appels de dix minutes par semaine contre trois de quinze minutes dans son ancien établissement, est privé de radio, et n’a plus accès aux journaux télévisés. « Il avait commencé dans son ancienne cellule un travail d’analyse des discours politiques dans l’espace médiatique marocain grâce à son accès aux journaux télévisés. À Tiflet, il ne peut que regarder une chaîne contrôlée par la prison, al-Jazeera Sport, ce qui l’empêche de poursuivre son travail », déplore Fatiha Cherribi. Elle s’inquiète également de son état de santé. Atteint, comme elle, de la maladie de Crohn, son fils a besoin d’un traitement médical continu et approprié, qu’il pouvait suivre à la prison de Oukacha et auquel il n’a plus accès depuis son transfert au centre de détention de Tiflet. Dans un communiqué paru lundi soir, son comité de soutien dénonce un « transfert abusif » et demande un retour « immédiat » à la prison de Oukacha.

Atteinte à la sécurité

« Ils se vengent de Omar et de nous, proteste la mère du condamné. C’est une manipulation pour le bâillonner. Ils nous accusent d’ingérence dans la politique de l’État. C’est un message clair qu’ils nous envoient : nous somme plus forts que vous, si vous ne voulez pas vous taire, on va emmener votre fils le plus loin possible. » Dans un communiqué officiel, la délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) du Maroc dément ces accusations et justifie sa décision par des motivations purement logistiques. La prison de Oukacha aurait été destinée seulement à la détention provisoire de M. Radi car largement en surpopulation avec plus de 9 000 détenus, « soit le double de sa capacité initiale qui est de 4 500 prisonniers ». Selon la délégation, le traitement de M. Radi est tout à fait normal étant donné que les prisonniers condamnés en première et seconde instance sont automatiquement transférés. Justification absurde, selon la mère du condamné, qui constate que « certains prisonniers jugés avant Omar en appel sont toujours à la prison locale de Casablanca ». Par ailleurs, la DGAPR a assuré que le dossier médical de l’accusé a été remis à la prison locale de Tifelt 2 et que son cas sera suivi par le personnel médical de l’établissement pénitentiaire.

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Les problèmes du journaliste avec la justice marocaine ont débuté fin juin 2020 alors qu’il est inculpé par le procureur pour « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure du Maroc ». Selon ce dernier, la rencontre entre M. Radi et des représentants diplomatiques néerlandais, perçus comme des « officiers de renseignements », et ne pouvant se justifier dans le cadre du travail journalistique du condamné, démontre sa culpabilité. Toujours de l’ordre de l’espionnage, il aurait également fourni des informations à deux sociétés de conseil économique britanniques. M. Radi affirme cependant qu’il réalisait de simples « audits de vérification » pour ces cabinets.

Cette première affaire éclate au lendemain de la publication d’un rapport d’Amnesty International révélant que le téléphone de M. Radi avait été piraté par les autorités marocaines via le logiciel israélien Pegasus. Le projet Pegasus, un scandale d’espionnage de masse qui aurait permis la surveillance de plus de 50 000 individus par une douzaine d’États : journalistes, militants des droits humains, chefs d’entreprise ou encore personnalités politiques. Un outil dit de lutte contre le terrorisme, via lequel l’utilisateur peut avoir accès à distance à la caméra, au microphone, ou encore aux messages du téléphone de la cible choisie. Parmi les pays mis en cause, le Maroc, dont les services de sécurité auraient largement eu recours au logiciel. Sont notamment retrouvés sur la liste des 50 000, le numéro de téléphone de Taoufik Bouachrine, rédacteur en chef du journal Akhbar al-Youm, purgeant actuellement une peine de 15 ans de prison, ou encore celui du patron de presse Hamid el-Mahdaoui, derrière les barreaux depuis 2018 pour sa participation au mouvement social du Rif. Des accusations catégoriquement démenties par Rabat, qui dénonce une « campagne internationale de diffamation ».

Menaces de représailles

La seconde affaire pour laquelle Omar Radi a été condamné est ouverte seulement un mois après la première. Fin juillet 2020, Hafsa Boutahar, une de ses anciennes collègues, porte plainte pour « viol » et « attentat à la pudeur ». Alors que l’accusé parle de « relations librement consenties » avec témoignage, photo et preuves de messages à l’appui, la plaignante affirme qu’elle était déjà en relation avec un autre homme ce qui participerait à justifier le fait qu’elle n’était pas consentante. La jeune femme a réitéré ses accusations durant une audition tenue à huis clos, assurant que son dossier n’était pas « politique ». Par ailleurs, en apportant son soutien comme témoin de la défense, Imad Stitou, journaliste et membre des comités des soutiens des journalistes détenus au Maroc, a été condamné en appel dans la même affaire à un an de prison, dont six mois ferme, pour « non-dénonciation d’un crime », alors qu’il confirmait la « relation consensuelle » entre le journaliste et la victime. « Cette procédure judiciaire est une mascarade, une parodie de justice », fustige-t-il depuis la Tunisie, pays dans lequel il se trouve depuis maintenant cinq mois. « Je suis puni pour l’exemple, pour faire peur aux autres », poursuit-il. Le journaliste affirme avoir notamment reçu des pressions directes et indirectes pour modifier son témoignage en défaveur de Omar. « J’ai reçu la visite d’émissaires, appelés médiateurs, qui m’ont expliqué que pour mon bien je n’avais pas intérêt à continuer dans cette voix sous peine de représailles », confie-t-il.

Si le cas de Omar Radi n’est pas isolé, il réveille chez beaucoup un grand sentiment d’injustice. Dans un rapport publié le 2 mars, Amnesty International dénonce plusieurs manquements aux garanties d’un procès équitable, notamment « l’accès limité à ses avocats, le refus de laisser l’équipe de la défense exercer son droit de procéder au contre-interrogatoire des témoins de l’accusation, l’exclusion des témoins à décharge et le refus d’admettre des éléments de preuve pointant les incohérences de la déclaration de la plaignante ». Les preuves du caractère politique de la condamnation de M. Radi mobilisent ardemment. En première ligne, sa famille et son comité de soutien qui mènent une guerre sans relâche contre le système judiciaire marocain, notamment sur les réseaux sociaux en brandissant le hashtag #FreeOmarRadi, mais aussi de nombreuses ONG, Amnesty International ou Human Rights Watch, des personnalités politiques ou de simples citoyens clamant en boucle dans les rues de Rabat : « Le journalisme n’est pas un crime. »

« Ils ont donné à Omar cinq minutes pour rassembler ses affaires, ils l’ont menotté et lui ont demandé de les suivre, sans aucune explication donnée. Ils ont ensuite effectué un trajet de 150 km. Il nous a dit qu’il avait peur, il était seul dans une voiture sans savoir où il allait. Il n’a pu souffler qu’une fois arrivé à la prison de Tiflet, où il a compris...

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