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Folies pas douces



Le dérèglement du monde n’est guère chose nouvelle, c’est vrai ; mais ne serait-ce que par deux de ses retombées les plus angoissantes, la folle guerre d’Ukraine, où l’on voit les protagonistes se canonner et négocier tout à la fois, a incontestablement accéléré le pernicieux processus. L’éventualité d’un conflit planétaire pouvant déboucher sur le recours à l’arme atomique donne ainsi froid dans le dos ; et c’est au ventre que se trouve visée une bonne partie de l’humanité, avec l’actuelle désorganisation frappant le ravitaillement en blé et autres céréales proprement vitales.


Comme si tout cela n’était pas encore assez, voilà maintenant que notre région connaît toute une série de développements, et même de bouleversements, échappant apparemment à l’ordre logique des choses. Nombre de ceux-ci découlent de l’intention prêtée aux États-Unis de se désengager du Moyen-Orient et de ses inextricables méandres pour se consacrer à faire barrage à la Chine en Asie et dans l’océan Pacifique. Par quelle déraison toutefois une telle priorité commanderait-elle forcément au colosse américain l’abandon pur et simple d’un terrain où il a tant investi au fil des décennies, les stratèges ne l’expliquent pas trop ; ce qui est clair en revanche, c’est la volonté de Washington de rassembler en rangs serrés ses amis régionaux qu’effraie l’imminence d’un accord sur le nucléaire iranien.


Une illustration absolument inédite en était la réunion, lundi dans le désert du Néguev, sous la houlette du secrétaire d’État US, de quatre chefs de diplomatie arabes avec leur collègue israélien. Cette concertation suivait de peu un sommet tripartite groupant, aux côtés de l’hôte égyptien et d’Israël, l’État des Émirats arabes unis, lequel s’affirme comme l’un des acteurs majeurs de tout ce remue-ménage. Sacrément remuants sont en effet ces Émiratis qui dissimulent à peine sous les plis de leur robe le grand frère saoudien, pas encore prêt à rejoindre ouvertement le peloton. Jouant à fond l’ambiguïté, ils accueillent à bras ouverts Bachar el-Assad, protégé de l’Iran certes, mais qui, de l’aveu des Israéliens, reste leur ennemi de prédilection. Mais n’est-ce pas dans la même et stupéfiante ambiguïté que baigne le cirque aérien de Syrie, où l’on voit la Russie, incommode alliée de l’Iran, accorder libre passage aux frappes israéliennes contre les positions des pasdaran ?


Tous ces culbutes, cabrioles et savants rétablissements dont le Proche et le Moyen-Orient sont le théâtre, c’est en spectateur passif, estropié, invalide, perclus – et maintenant atteint à la tête – que l’État libanais en attend l’issue. Sollicité dans des directions contradictoires par ses cochers est le pitoyable tombereau national : alors que le président de la République plaide pour le Hezbollah durant sa visite au Vatican, le Premier ministre fait assaut d’arabité et récolte même des certificats de bonne conduite délivrés par les royaumes du Golfe. Un vent de folie – échevelée, furieuse celle-là – souffle sur la justice, la salutaire et nécessaire répression de la corruption tournant en effet à une inquisition biaisée, sélective, commandée.


Tout aussi scandaleux est le ping-pong auquel se livrent les pouvoirs exécutif et législatif autour d’un fantomatique contrôle des capitaux : existant de facto, outrageusement inique pour les citoyens interdits d’accès à leurs avoirs, il attend depuis plus de deux ans d’être formalisé ; mais alors que s’aggrave sans cesse la crise, nul, dans cette république de la lâcheté, du lâchage et de l’abandon, ne veut en assumer la responsabilité.


Coupable de légèreté est bien sûr le gouvernement, dont le projet de loi est un infâme torchon bourré de vices de fond et de forme mais aussi de barbarismes, ses auteurs s’en étant remis à Google pour une chaotique traduction de l’anglais. Coupable à son tour de fainéantise, aggravée de forfanterie, est le Parlement qui se flatte d’avoir repoussé le torchon, mais qui ne s’est jamais décidé à prendre les choses en main en légiférant lui-même sur cette question cruciale.


Tant d’inconscience déployée de part et d’autre ne relève plus de la folie ordinaire. C’est de meurtre prémédité, celui d’un pays, qu’est passible toute cette honorable compagnie.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le dérèglement du monde n’est guère chose nouvelle, c’est vrai ; mais ne serait-ce que par deux de ses retombées les plus angoissantes, la folle guerre d’Ukraine, où l’on voit les protagonistes se canonner et négocier tout à la fois, a incontestablement accéléré le pernicieux processus. L’éventualité d’un conflit planétaire pouvant déboucher sur le recours à l’arme...