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Culture - Exposition

Annie Kurkdjian chez LT Gallery : le temps de l’érotisme...

L’artiste, connue jusque-là pour la noirceur de son univers, présente sous l’intitulé « Ludique » une nouvelle série d’œuvres traversées cette fois d’un esprit satirique, coquin, voire même grivois.

Annie Kurkdjian chez LT Gallery : le temps de l’érotisme...

À la galerie LT, Annie Kurkdjian présente, entre autres peintures « ludiques », des scènes d’effeuillage et une odalisque revisitée... DR

En aurait-elle fini avec les contes cruels, Annie Kurkdjian ? Avec les scènes macabres nées de son imagination marquée par un traumatisme fondateur ? Celui de l’assassinat du père survenu alors qu’elle n’avait que 12 ans. Un rendez-vous précoce avec la violence, le tragique et la douleur qui va, dès lors, imprégner la vie et l’art de cette peintre libano-arménienne du sceau d’un existentialisme noir.

Un spleen qu’elle exprimera notamment par des portraits de personnages grotesques, aux silhouettes contrefaites, aux postures et attitudes à la fois cocasses et poignantes, tout en torsions pour dire les tensions sous-jacentes… Ou encore par la prolifération dans ses toiles de charognards et autres meutes de chiens encerclant le plus souvent un corps de femme nue offert comme une proie sacrificielle ou une dépouille érotisée…

L’érotisme justement ! S’il a toujours pointé sa face sombre dans les peintures de cette artiste, il occupe dans sa dernière série d’œuvres une place prépondérante et… ludique. D’où le titre de l’exposition qui lui est consacrée à la galerie LT à Mar Mikhael*.

En effet, au cours de ces derniers mois, Annie Kurkdjian s’est « amusée » à dessiner des pénis (autant nommer les choses par leur nom) dans tous leurs états. Représenté tantôt en rouleau – à pâtisserie ? – tantôt ondoyant comme un serpent, parfois jouant le joli cœur, d’autre fois évoquant une rose non éclose ou encore tout simplement en train de se faire délicatement pincer… L’organe masculin, décliné en solo mais toujours tenu par des mains féminines, est le sujet récurrent, d’un ensemble de petits formats plus malicieux que véritablement provocateurs.

De petites œuvres en techniques mixtes (crayon, acrylique et/ou pastel) sur papier marouflé que l’artiste a réalisées, parallèlement à quelques compositions plus grandes, au cours d’une résidence en France, à La Rochelle, dans le cadre du programme Nafas mis en place par l’Institut français au lendemain de l’explosion du 4 août 2020 et dont elle a été, durant 2 mois et demi, l’une des premières bénéficiaires.

Annie Kurkdjian, la peinture comme à un espace de survie. DR

À l’instar de Courbet…

« Pourquoi Courbet aurait-il le droit de représenter crûment le sexe féminin et nous autres artistes femmes ne pourrait-on pas faire de même avec son pendant masculin ? » répond-elle à ceux qui lui demandent ce qui a provoqué en elle l’envie de s’attaquer à cette thématique.

« En fait, ces pièces érotiques sont nées de mon désir de dépasser la tragédie de l’explosion au port de Beyrouth qui a dévasté mon atelier et m’a replongée dans la spirale des émotions traumatiques », indique celle qui dit « s’accrocher à la peinture comme à un espace de survie ». « Je voulais me réfugier dans le ludique, et pour moi l’apogée du ludique est dans l’érotisme », ajoute l’artiste aux boucles rousses et au regard frontal. Un regard qu’elle voudrait sans tabous. Et débarrassé, notamment, de l’inhibition qui verrouille l’expression érotique dans la culture arménienne. « Nous, artistes arméniens, n’osons pas aborder ces sujets. Car il y a tellement de tristesse dans notre vécu que nous nous sentons obligés de parler en priorité de génocide dans notre art », soutient-elle.

Des pénis dans tous leurs états... signés Annie Kurkdjian. DR

Entre chiens et chats

Satisfaite d’avoir tenté ce saut hors de l’étau psychologique des interdits sous-jacents, Annie Kurkdjian, qui goûte aussi sa chance d’être sortie indemne, du moins physiquement, du cataclysme du 4 août 2020, semble avoir adouci son expression picturale.

Et l’on en veut pour preuve ces chats, joueurs, qui font désormais irruption dans certaines de ses toiles, jusque-là surtout habitées par des chiens aux allures d’hyènes menaçantes. « En fait, les chiens que je représente dans mes peintures m’ont été inspirés, au départ, par les fameux chiens ailés de la mythologie arménienne, qui descendaient du ciel pour ressusciter les héros morts au combat en léchant leurs plaies. Sauf que dans mes compositions, ils perdent inévitablement leur aura positive et deviennent, presque à mon insu, des créatures effrayantes », confesse l’artiste devant l’une de ces grandes toiles au souffle tragique. Une peinture puissante et visuellement percutante qui déroule, une fois de plus, le fil d’une histoire personnelle extrêmement douloureuse. Mais une pièce devenue minoritaire dans ce nouvel accrochage qu’Annie Kurkdjian voudrait plus axé sur « l’instinct de vie ». Celui qu’elle dépeint dans de sobres et cependant truculentes scènes d’effeuillage de femmes aux silhouettes botériennes ou encore dans cette odalisque revisitée qui « assume totalement sa sexualité », comme le signale malicieusement son auteure.

On retrouve en somme dans l’exposition « Ludique » de nombreuses symboliques picturales. Et même si Kurkdjian emprunte par-ci et par-là des références et des influences, dont celle revendiquée du peintre de la solitude humaine Jean Rustin, son travail reste éminemment reconnaissable par ce murmure du corps, de la chair, à la fois tendre et féroce, qui s’en dégage…

*« Ludique » d’Annie Kurkdjian à la galerie LT, Mar Mikhael ; jusqu’au 31 mars, de mardi à dimanche, de 11h à 19h.

« L’art peut tout sublimer : la guerre, la honte, l’enfer tout entier… »

Née en 1972 à Beyrouth, Annie Kurkdjian a vécu une enfance marquée par le bruit des bombes, la terreur, l’insécurité… Outre le traumatisme du génocide infusé dans ses racines arméniennes, elle a subi à 12 ans un choc à l’impact irrémédiable.

Alors que la famille se préparait à quitter le Liban, son père est violemment assassiné dans sa bijouterie à Bourj Hammoud. L’adolescente découvrira le lendemain, dans les journaux, sa photographie gisant dans son sang, le corps criblé de balles.

Jeune adulte, elle souffrira de trichotillomanie (compulsion à s’arracher cheveux, sourcils et poils). Et c’est pour trouver un exutoire à la souffrance inscrite dans son corps qu’après avoir effectué des études de gestion, puis d’art, de psychologie et enfin de théologie, qu’elle devient artiste. Animée par une démarche artistique d’une absolue sincérité, Annie Kurkdjian explique avoir « trouvé dans la peinture un moyen pour me protéger, transformer la douleur, ressusciter ». Et d’ajouter : « L’art peut tout sublimer, la guerre, la honte, l’enfer tout entier. »

En aurait-elle fini avec les contes cruels, Annie Kurkdjian ? Avec les scènes macabres nées de son imagination marquée par un traumatisme fondateur ? Celui de l’assassinat du père survenu alors qu’elle n’avait que 12 ans. Un rendez-vous précoce avec la violence, le tragique et la douleur qui va, dès lors, imprégner la vie et l’art de cette peintre libano-arménienne du sceau d’un...
commentaires (1)

J'y vais de ce pas decouvrir son univers

Elementaire

08 h 48, le 26 mars 2022

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Commentaires (1)

  • J'y vais de ce pas decouvrir son univers

    Elementaire

    08 h 48, le 26 mars 2022

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