Le président Michel Aoun, en visite à Rome depuis dimanche, a pris, une nouvelle fois, la défense du Hezbollah, son allié chiite accusé par ses détracteurs de prendre l’État libanais en otage et de dominer la scène politique grâce à son arsenal illégal. Dans un entretien au journal italien La Repubblica publié hier, le président Aoun a par ailleurs affirmé qu’il « sait » que le pape François, qui l’a reçu lundi au Vatican, « entreprendra une initiative pour aider » le Liban qui se débat contre une grave crise économique et politique depuis 2019.
« La résistance n’est pas terrorisme »
Interrogé au sujet de l’hégémonie du Hezbollah, le président Aoun a repris la rhétorique habituelle sur ce sujet. « Le Hezbollah n’a aucune influence sur la situation sécuritaire des Libanais », a-t-il estimé. « Le Hezbollah a des armes. Il a libéré le Liban-Sud de l’occupation israélienne. Il est composé de Libanais du Sud qui ont souffert de l’occupation israélienne. La résistance à l’occupation n’est pas du terrorisme », a-t-il affirmé, alors que le Hezbollah est classé comme organisation terroriste par plusieurs pays.
Ces propos ont été tenus par le président Aoun alors qu’en décembre dernier, en pleine crise gouvernementale déclenchée par le tandem Hezbollah-Amal, il avait appelé à un dialogue interlibanais pour aborder des dossiers particulièrement sensibles, comme la stratégie nationale de défense, c’est-à dire le sort des mêmes armes du parti de Dieu. Le chef de l’État avait, au cours des dernières années, longtemps tergiversé avant de relancer cette initiative. Mais celle-ci n’a finalement pas abouti, en raison du boycott de plusieurs acteurs politiques.
Pour Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès à l’Université américaine de Beyrouth, « le chef de l’État établit une distinction entre les volets local et régional de ses relations avec le Hezbollah ». « Alors qu’il l’accuse de lui mettre les bâtons dans les roues sur la scène interne, Michel Aoun continue d’assurer au Hezbollah la couverture chrétienne et officielle sur les questions stratégiques, notamment son arsenal », poursuit le politologue, qui estime que « c’est ce qui importe le plus » au parti chiite. Pour ce qui est du timing de ces déclarations, M. Bahout rappelle qu’elles interviennent à moins de deux mois des élections législatives prévues le 15 mai prochain. Un scrutin dans le cadre duquel on s’attend à ce que le Courant patriotique libre (fondé par Michel Aoun et présidé par Gebran Bassil), le Hezbollah et le mouvement Amal du président du Parlement, Nabih Berry, mènent la course côte à côte. « Michel Aoun sait que le CPL a besoin du Hezbollah pour remporter les batailles électorales : les législatives, mais aussi la présidentielle d’octobre », affirme Joseph Bahout. Il essaie donc de calmer les appréhensions des chrétiens. Mais selon lui, cette démarche n’aboutira pas, la rue chrétienne étant de plus en plus hostile au parti chiite après l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
Réunion avec Mattarella
Par ailleurs, le président Aoun a évoqué une initiative du Vatican en faveur du Liban. « Je sais que le pape entreprendra une initiative pour nous aider, mais il ne nous revient pas de décider nous-mêmes des conditions de cette aide ni de ses composantes », a répondu le président à une question de la journaliste Gabriella Colarusso. Lorsque celle-ci lui a demandé si le pape lui a confirmé qu’il se rendrait au Liban, comme l’a annoncé la veille la présidence libanaise, citant le souverain pontife, M. Aoun s’est contenté de répondre : « Nous attendons la venue du pape depuis longtemps. Je lui ai renouvelé l’invitation à se rendre au Liban. »
« Le Liban occupe une place particulière dans mes prières et mes préoccupations, et je m’y rendrai pour y renouveler l’espérance », avait déclaré lundi le pape François, cité par la présidence libanaise. Toutefois, le communiqué publié par le Vatican ne mentionne à aucun moment ces propos. Le Saint-Siège a toutefois évoqué une rencontre « cordiale » d’une « trentaine de minutes » entre le président libanais et le Saint-Père, durant lesquelles « les bonnes relations diplomatiques » entre le Liban et le Vatican ont été soulignées, à l’occasion de leur 75e anniversaire. « L’attention s’est portée sur les graves problèmes socio-économiques du pays, ainsi que sur la situation des réfugiés », rapportait lundi le site d’information officiel du Vatican.
Parallèlement à l’entretien qu’il a donné, le président Aoun s’est entretenu hier à Rome avec son homologue italien Sergio Mattarella, qu’il a félicité pour sa réélection, le 29 janvier dernier, pour un nouveau mandat de sept ans. Après leur rencontre, le président Aoun a salué le rôle de l’Italie, « premier partenaire commercial européen » de Beyrouth, et affirmé que « le Liban est déterminé, malgré les difficultés, à panser ses plaies en dépit des crises dont il souffre ». Il a également estimé que le Liban « ne peut plus supporter le fardeau des déplacés syriens, et les pays donateurs doivent les inciter à retourner en Syrie », ce à quoi le président Mattarella a répondu : « Il faut œuvrer au retour des réfugiés syriens en parallèle des efforts pour une solution politique », alors que les autorités libanaises refusent de lier ce retour à une telle solution. Le chef de l’État italien a estimé, en outre, que « la stabilité du Liban est la clé de la stabilité de l’Orient », dans des propos cités par la présidence libanaise. « L’Italie poursuivra son soutien au développement économique et social du Liban, qui reste un modèle en termes d’équilibre et de préservation des droits de tous », a-t-il ajouté.
L’assassinat d’un premier ministre et de nombre de députés est du terrorisme !
23 h 09, le 23 mars 2022