![Une journaliste russe lève un coin de voile sur la « propagande » du Kremlin Une journaliste russe lève un coin de voile sur la « propagande » du Kremlin](https://s.lorientlejour.com/storage/attachments/1295/248762_959658.jpg/r/1200/248762_959658.jpg)
La journaliste russe Zhanna Agalakova, à Paris hier. Noemie Olive/Reuters
« Manipulation », bribes de réel tordues pour former des « mensonges », référence fallacieuse aux nazis... Une journaliste russe d’une grande chaîne de télévision, qui a démissionné à cause de la guerre en Ukraine, a donné à voir de l’intérieur mardi la « propagande » qui règne dans son pays.
« Je veux que la Russie m’entende, que les gens apprennent à distinguer la propagande (...), arrêtent d’être zombifiés », s’est justifiée Zhanna Agalakova lors d’une conférence de presse organisée par l’organisation de défense des journalistes RSF (Reporters sans frontières) à Paris.
« J’ai beaucoup hésité » avant de prendre la parole, « mais je ne pense pas avoir d’autre choix », a-t-elle ajouté, les larmes aux yeux.
Pourquoi maintenant et pas avant la guerre en Ukraine ? « J’ai fait des compromis dans ma carrière » mais là, c’était « une ligne rouge », a-t-elle répondu lors de cette conférence tenue en partie en français et en partie traduite du russe.
Mi-mars, une autre journaliste, Marina Ovsiannikova, avait marqué les esprits en faisant irruption pendant le journal télévisé de Pervy Kanal et en brandissant une pancarte pour dénoncer l’offensive en Ukraine.
« Ces derniers jours, nous observons des remous à l’intérieur de ces médias de propagande », avec « un certain nombre de démissions, difficiles à chiffrer », a déclaré le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, aux côté de Mme Agalakova.
Correspondante à Paris pour l’Europe de la chaîne de télévision publique Pervy Kanal, Mme Agalakova dit avoir démissionné le 3 mars, une semaine après l’invasion de l’Ukraine. Elle décrit un système médiatique russe « qui transmet uniquement le point de vue du Kremlin ».
Corde sensible
« Nos actualités ne montrent pas le pays, on ne voit pas la Russie. On ne voit que le premier homme du pays, ce qu’il a mangé, à qui il a serré la main, nous l’avons même vu torse nu. Mais on ne sait pas s’il est marié, s’il a des enfants », a-t-elle raconté, en évitant de prononcer le nom du président Vladimir Poutine.
« Le pouvoir essaie d’étrangler les médias indépendants » et l’absence de « presse libre » mène au « suicide d’un pays », a-t-elle estimé.
Pour justifier son action en Ukraine, « le pouvoir a joué sur une corde extrêmement sensible pour les Russes » en prétendant lutter contre des groupes nazis, a souligné Mme Agalakova.
Car le pays reste traumatisé par la Seconde Guerre mondiale et ses « 27 millions de morts » soviétiques : « Quand, en Russie, on entend le mot nazi, on n’a qu’une seule réaction : il faut détruire ça. C’est une manipulation, un énorme mensonge. »
Mme Agalakova ne travaille plus sur le sol russe depuis 2005. Après avoir présenté les informations, elle est devenue correspondante à Paris cette année-là, a ensuite pris le même poste à New York en 2013 puis est revenue en France. « Je pensais qu’en racontant la vie en Europe, et surtout à Paris, je pouvais éviter d’être propagandiste », a-t-elle raconté.
Selon elle, les choses se sont compliquées en 2014, avec le début du conflit russo-ukrainien en Crimée et dans la région du Donbass. À l’époque, elle était correspondante à New York. « Je n’étais plus à l’abri de la propagande. Je ne devais parler que de choses négatives au sujet des États-Unis, comme par exemple des enfants adoptés maltraités », a-t-elle expliqué.
Otages
« Je n’ai pas menti, chaque fait était réel. Mais prenez des faits réels, mélangez-les et vous aboutirez à un gros mensonge », a-t-elle poursuivi. « De nombreux journalistes, producteurs ou personnes qui travaillent dans les médias pensent comme moi », a-t-elle jugé. « C’est facile de les accuser, de demander pourquoi ils ne démissionnent pas, ne protestent pas (...) Mais ceux qui sont là-bas ont des familles, des parents âgés, des enfants, des maisons à payer. Ils sont otages de la situation », a-t-elle fait valoir.
Elle a critiqué les sanctions imposées à la Russie par les pays occidentaux : « Elle touchent surtout la classe moyenne, les personnes qui partagent les valeurs démocratiques. Dans cette histoire, vous perdez vos alliés. »
Paul RICARD/AFP
Les sanctions imposées à la Russie par les pays occidentaux touchent surtout la classe moyenne, les personnes qui partagent les valeurs démocratiques. "Dans cette histoire, vous perdez vos alliés". Je pense qu'elle a tout à fait raison. Ces sanctions ne vont pas affaiblir Poutine, mais au contraire, renforcer son emprise surle peuple russe.
07 h 58, le 23 mars 2022