Le Premier ministre libanais, Nagib Mikati, s'est entretenu vendredi au Grand sérail avec le ministre de la Justice, Henri Khoury, et a accusé "certains juges" de provoquer des tensions dans le pays, prenant ainsi position en faveur du secteur bancaire, alors que plusieurs établissements sont visés par la justice sur fond de crise.
"L'attachement à l'indépendance de la justice et la non-ingérence dans ses affaires (ne doit pas aller à l'encontre de) la stabilité dans le pays sur tous les plans, notamment financier", a estimé M. Mikati.
"La justice a le droit d'enquêter sur toutes les affaires financières et bancaires, surtout lorsqu'il s'agit de restituer l'argent des déposants (...). Mais avoir recours à des mesures populistes et policières dans le cadre de ces enquêtes cause du tort à la justice en premier lieu, et à tout le secteur bancaire", a affirmé le chef du gouvernement, connu pour ses positions en faveur du gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, qui est dans le viseur de la procureur générale près la cour d'appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, et du camp politique du chef de l'Etat, Michel Aoun.
"Il est clair que les agissements de certains juges provoquent des tensions insupportables. Il y a des tentatives d'instrumentaliser ces tensions à des fins électorales", a accusé M. Mikati, dans une allusion à peine voilée au Courant patriotique libre fondé par le président Aoun et dirigé par le député Gebran Bassil. "Cela est dangereux", a encore estimé le chef du gouvernement.
Ses propos interviennent au lendemain au lendemain de l'arrestation de Raja Salamé, frère du gouverneur de la Banque du Liban et dans le sillage de l’affaire Fransabank qui a été rendue publique mercredi. L’établissement bancaire, un des plus importants du pays, est sous le coup d’une ordonnance de saisie exécutoire prononcée par la première juge d’exécution de Beyrouth, Mariana Anani, dans le cadre d’une affaire l’opposant à un de ses déposants réclamant la restitution de ses fonds dans la monnaie dans laquelle ils ont été libellés, et non en chèque bancaire.
Confrontées à une crise majeure de liquidités en devises, qui couvait depuis au moins 2017, les banques ont commencé dès l’automne 2019 à limiter l’accès des déposants à leurs comptes, d’abord en dollars, puis même en livres à partir de fin 2020. Les causes de cette crise sont aussi bien liées à la surexposition de plusieurs enseignes à une dette publique libanaise aux rendements juteux, mais contractée par un Etat dont beaucoup estiment que son fonctionnement est gangrené par des faits de corruption, d'incompétence, et régulièrement paralysé par les tensions politiques.
Dans ce contexte, de plus en plus de déposants mécontents se sont mis à saisir les juridictions locales, tandis que d'autres, détenteurs d'une nationalité autre que libanaise, se sont tournés vers les magistrats étrangers. Les événements se sont accélérés en novembre dernier, avec la condamnation en première instance de Saradar Bank en France après l'action d'une de ses déposantes. Si BLOM Bank a obtenu gain de cause face à l’un de ses clients en décembre devant un tribunal de Londres et pour une affaire similaire, la Société générale de banque au Liban (SGBL) et Bank Audi se sont fait sanctionner dans le même pays il y a quelques semaines, avant le coup infligé mercredi à Fransabank par une juge libanaise. Celle-ci a fait poser des scellés sur les coffres de deux agences appartenant au réseau Fransabank qui ont tout de même ouvert leurs portes jeudi, mais sans effectuer de transactions bancaires, selon une source à la banque contactée jeudi.
Parallèlement à ces affaires, dont certains juristes estiment qu'elles doivent aussi être considérées dans leur dimension politique, une autre série de procédures a été lancée à l’initiative de la juge Ghada Aoun. Jeudi dernier, la juge a gelé les avoirs de cinq banques au Liban – Bank of Beirut, Bank Audi, la SGBL, BankMed, BLOM Bank – et ceux des membres de leurs conseils d’administration, alors qu’elle enquête sur les transactions qu’ils ont effectué avec la BDL. Et jeudi, la magistrate a déclaré à l’agence Reuters avoir prononcé une interdiction de voyager à l’encontre du président de Creditbank, Tarek Khalifé, et a gelé tous les actifs de la banque, y compris les propriétés et les véhicules, dans le cadre d’une enquête en cours.
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