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Culture - Entretien

François Stemmer : Cela peut être sérieux d’avoir 17 ans... aujourd’hui au Liban

Ce chorégraphe et metteur en scène français explore avec curiosité et empathie l’univers adolescent à travers « Seventeen », un spectacle qu’il recrée régulièrement depuis 10 ans avec à chaque fois de nouveaux interprètes et une narration renouvelée. Invité par l’Institut français du Liban, il vient de produire une version libanaise « 7teen » qu’il présente ce soir et demain à Beyrouth, puis à Tripoli, Saida et Zahlé, dans le cadre du Mois de la francophonie.

François Stemmer : Cela peut être sérieux d’avoir 17 ans... aujourd’hui au Liban

François Stemmer, un metteur en scène qui sait murmurer à l’oreille des adolescents… Photo Etienne Doury

Bloqué dans l’adolescence François Stemmer ? On pourrait le penser. Voilà dix ans que ce comédien, chorégraphe et metteur en scène français présente une œuvre baptisée Seventeen, soit littéralement « 17 ans ». Un spectacle où le corps et les mots se rejoignent ; où la danse, le chant, la poésie et parfois aussi les images enveloppent une trame invariablement inspirée des récits personnels des jeunes de 17 à 22 ans qui l’interprètent. Une pièce à l’écriture à la fois vraie et éphémère car constamment renouvelée en fonction du lieu où elle se joue et de la distribution, toujours recrutée sur place. La dernière en date est, justement, libanaise. François Stemmer, qui est à Beyrouth depuis une dizaine de jours, vient en effet de concocter une nouvelle version de son Seventeen sur la base de ce que lui ont raconté de leurs vies Omar, Antoine, Mohammad Ali, Céline, Luna-Nour, Mary et Fatima. Sept jeunes libanais qu’il a transformés en comédiens le temps de cinq représentations successives dans cinq régions du Liban (voir encadré). Rencontre avec ce metteur en scène à l’univers singulier.

« 7teen, » une pièce sur l’adolescence signée François Stemmer recréée et jouée au Liban par des adolescents Libanais… Photo Etienne Doury

François Stemmer, racontez-nous la petite histoire de ces 17 ans qui se prolongent indéfiniment sur scène ?

Seventeen est une pièce que j’ai créée quand j’ai fondé, en 2012, ma propre compagnie. Je voulais absolument travailler autour du thème de l’adolescence. Car j’avais découvert la poésie d’Arthur Rimbaud, qui a écrit toute son œuvre entre 14 et 18 ans, et j’avais été ébloui par le talent de cet adolescent qui parle, avec génie, des maux de son âge. Inspiré par le jeune poète et son fameux « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. » Je me suis donc lancé dans cette création scénique qui raconte les désirs et les craintes des adolescents d’aujourd’hui. Dans la première version, j’étais moi-même sur scène avec deux comédiens, l’un de 14 ans et l’autre de 24 ans. Assez rapidement, je me suis retiré du plateau pour céder la place à un plus grand nombre de jeunes. J’ai commencé à être invité, avec cette pièce, dans divers lieux et festivals. Et c’est à partir de là que j’ai eu l’idée de la développer à chaque fois en fonction des comédiens amateurs et professionnels que j’enrôlais sur place. Le spectacle joué au Centre Pompidou à Paris devenait ainsi complètement différent de celui que j’avais préalablement présenté en Normandie. Ce dernier variait de celui de Nice, de Marseille et de Lyon... Car chacun était nourri du vécu de ses propres interprètes.

Pourquoi cet intérêt, voire cette fascination pour cet âge en particulier ?

Parce que tout ce qui est vécu par ceux qui ont entre 16 et 20 ans est toujours exacerbé. Les émotions qui les traversent ne sont jamais ressenties à moitié. Quand ils tombent amoureux, c’est très intense. Quand ils font la fête, c’est de façon excessive. Dans les moments de déprime et de mal-être, ils peuvent aussi aller très loin. Et puis, il y a la découverte de leur corps, de la sexualité et de leur identité sexuelle… Coincés entre la fin de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte, les adolescents dégagent presque sans jouer une intensité dramatique pour qui sait les observer. C’est pour avoir cette vérité sur les planches que j’ai choisi de travailler avec eux plutôt qu’avec des comédiens professionnels. Ils ont cette fragilité qui les rend beaucoup plus bouleversants et poétiques à mes yeux.

Répétitions à Beyrouth. Photo Etienne Doury

Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans une version libanaise, de surcroît en cette période particulièrement difficile au Liban ?

J’avais déjà réalisé ce projet il y a quelques années à Bamako, au Mali. Et j’avais trouvé que le fait de le confronter à des cultures différentes l’avait beaucoup enrichi. Fort de cette expérience, je me suis dit que le Liban pouvait être intéressant par son côté à la fois francophone, anglophone et bien sûr arabophone. C’est dans cet esprit que j’ai pris contact avec Bénédicte Vignier de l’Institut français du Liban. Et j’avoue que la situation difficile que traverse ce pays n’est pas vraiment rentrée en compte…

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Comment se sont déroulées les auditions ? Et selon quels critères avez-vous choisi les acteurs ?

Nous avons d’abord fait un workshop ouvert à une cinquantaine de jeunes de tous horizons : écoliers, étudiants, coiffeur, cuisinier, infirmière en formation... Pendant trois jours, on a travaillé ensemble de 10h à 17h. Je leur ai fait faire aussi bien des improvisations de groupe que des passages individuels sur scène, de la danse, du texte, du chant... Durant cette période, j’ai pu les observer, même hors plateau, pour voir comment ils se comportent, quelles relations ils établissent avec les autres. Au bout de ces trois jours, j’ai vu des personnalités émerger. Pas forcément par leur énergie. Certaines se démarquaient au contraire par leur trop grande discrétion, qui devient très troublante et porte à s’interroger. Et c’est au sein de la dizaine de personnes qui sortait du lot que j’ai choisi mes 7 comédiens et comédiennes.

Le Liban étant un pays de pluralisme culturel, communautaire et religieux, est-ce que ces identités-là ont été prises en compte dans l’élaboration de cette version spécifiquement libanaise ?

Les références politiques n’interfèrent absolument pas dans cette pièce. Parce que ces jeunes m’ont clairement dit que le communautarisme est quelque chose dont ils ne voulaient plus. La seule identité qui les concerne est l’identité sexuelle.

Qu’avez-vous trouvé de particulier aux adolescents libanais ?

Ils partageant les mêmes préoccupations et désirs que les adolescents du monde entier. Leur âge étant celui « des espérances et des chimères » comme le disait Rimbaud, ils se projettent énormément vers l’avenir. Ils voient les difficultés qui arrivent, mais gardent néanmoins cette énergie de vivre et de découvrir qui caractérise leur génération. J’ai trouvé qu’il y avait une gentillesse et une bonté d’âme très fortes chez les jeunes Libanais mais aussi une tristesse, une nostalgie du Liban qu’on leur a raconté, et dont ils vivent douloureusement la perte alors qu’ils ne l’ont pas connu. Ce qui d’ailleurs donne lieu, dans la pièce, à de très belles prises de parole de chacun d’entre eux pour dire le Liban dans lequel ils souhaiteraient vivre. Il me semble que ce qui se passe dans leur pays amène les adolescents libanais à être plus sérieux que les autres…

Finalement, que vous apporte le fait d’évoluer constamment dans cet univers de jeunes ?

Et bien, cela me conforte dans l’idée que je resterais un adolescent toute ma vie (rires). Ils me transmettent une telle énergie que je n’ai pas l’impression de grandir. En fait, ils attendent tellement de cet espace d’expression de soi que je leur amène que je ne peux pas les décevoir. Je me sens investi d’une mission, celle d’être à leur écoute. D’ailleurs, je garde le contact avec tous les jeunes avec qui j’ai travaillé. Et ils sont nombreux…

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7teen, la pièce de 65 minutes signée François Stemmer, fera le tour des Instituts français du Liban. La première a lieu ce soir jeudi 17 mars à 19h et vendredi à la même heure, à la salle Montaigne de l’IFL, à Beyrouth. Les représentations suivront à raison d’une date par région : le 19 mars à 16h à Tripoli ; le 20 mars, à 17h à Saïda au Khan el-Franj et le 22 mars à 14h ainsi qu’à 18h à Zahlé. Entrée libre, mais port du masque obligatoire.

Bloqué dans l’adolescence François Stemmer ? On pourrait le penser. Voilà dix ans que ce comédien, chorégraphe et metteur en scène français présente une œuvre baptisée Seventeen, soit littéralement « 17 ans ». Un spectacle où le corps et les mots se rejoignent ; où la danse, le chant, la poésie et parfois aussi les images enveloppent une trame invariablement inspirée...

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