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Tueurs sans frontières

La guerre, c’est la routine. L’humanité, pour l’instant, n’a jamais connu la paix ; seulement des entre-deux-guerres.

(Voltaire)

Depuis que le monde existe et que l’homme est trop souvent un loup pour l’homme, on n’a jamais connu de guerre propre. Par définition, c’est là un non-sens, un contresens, tant en effet notre espèce s’est surpassée en imagination et en prouesses techniques dans l’invention – et l’usage inconsidéré – d’engins de mort ; tant grossissent aussi, à l’infini, les budgets alloués à la défense des États, au détriment de la lutte contre la maladie, la famine et la pauvreté.


Plus de deux semaines après son lancement, l’opération spéciale menée par la Russie contre l’Ukraine n’a franchement rien de l’intervention chirurgicale nette, précise qu’elle prétendait être. Nombreuses et graves sont les bavures dont se rend coupable l’envahisseur, si tant est que l’on puisse désigner par bavures les bombardements visant à dessein habitations, hôpitaux, écoles, couloirs humanitaires et autres cibles civiles. Longue s’annonçait déjà la guerre, dès l’instant où les Ukrainiens déployaient une extraordinaire capacité de résistance. Voilà maintenant que cette guerre se déclare particulièrement sale ; elle menace même de s’avérer plus sale encore avec l’irruption, en cours, sur le théâtre des combats, de ces supplétifs, irréguliers et autres mercenaires pudiquement classés sous la rubrique de volontaires.


Du coup, la crise d’Ukraine a fait valser les étiquettes que l’on colle généralement aux conflits armés, comme d’ailleurs aux cas d’étude géopolitiques. La finlandisation semble vivre ainsi ses derniers jours, puisque le pays qui lui a donné son nom songe sérieusement à s’en défaire pour rallier carrément l’Ouest ; s’étant pourtant accommodée d’une souveraineté limitée, la Finlande constate en effet qu’elle n’est plus désormais à l’abri d’un fatal coup de patte de l’Ours russe, à l’heure où il fait étalage de toute sa fureur destructrice.


Entre-temps, et faisant suite au spectre de la balkanisation (morcellement de régions entières) qui a sévi durant les deux siècles derniers en Europe, des vocables nouveaux, non moins évocateurs de cataclysmes, sont venus agrémenter la chronique guerrière. Honteux privilège acquis au prix d’un conflit de quinze ans, le monde nous doit ainsi celui de libanisation, décrivant la fragmentation d’un État, du fait d’affrontements entre factions communautaires. L’irakisation est la généralisation et la perpétuation du chaos. La syrianisation, enfin, est l’implication active de puissances étrangères dans une guerre civile, mais aussi de groupes de combattants venus d’ailleurs. Le phénomène n’est pas sans rappeler la guerre d’Espagne (1936/39) qui vit des légions de partisans se porter au secours de l’un ou l’autre des protagonistes. Le célébrissime Guernica de Picasso et le romantisme de Malraux et d’Hemingway en moins, c’est ce même procédé qui est présentement réédité en Libye, où Russes et Turcs s’affrontent par milices auxiliaires interposées ; c’est en Ukraine toutefois que son apparition, si elle devait se confirmer, augurerait d’une escalade dans l’horreur.


Faute de conquérir en règle ce pays et d’en renverser le gouvernement, les Russes œuvrent clairement, pour le moment, à le dépeupler : objectif qui ne peut être atteint qu’en le terrorisant, et pas seulement à l’aide du canon. C’est le sulfureux groupe Wagner utilisé par Moscou en divers points de la planète qui, d’ordinaire, se charge de ce genre d’exactions trop énormes pour être assumées par une armée régulière soucieuse, un tant soit peu, d’échapper aux accusations de crimes de guerre. Or quels auxiliaires plus qualifiés pour seconder l’auxiliaire en chef que ces tristement célèbres chabbiha de Syrie qui, non contents de casser du manifestant, ont, par leurs massacres, provoqué des déplacements massifs de populations ? Gracieusement livrés par un Bachar al-Assad désireux de payer une partie de sa dette aux Russes, ce sont ces cohortes de gibier de potence qui viennent d’obtenir l’agrément de Poutine.


De très singulières épices d’Alep jetées à pleines poignées dans le bouillonnant chaudron du diable ? Une fois de plus, une fois de trop, la grande Russie n’en sort pas grandie.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

La guerre, c’est la routine. L’humanité, pour l’instant, n’a jamais connu la paix ; seulement des entre-deux-guerres. (Voltaire)Depuis que le monde existe et que l’homme est trop souvent un loup pour l’homme, on n’a jamais connu de guerre propre. Par définition, c’est là un non-sens, un contresens, tant en effet notre espèce s’est surpassée en imagination et en prouesses...