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Monde - Entretien express

« La Chine veut conserver son partenariat avec la Russie sans pour autant s’aliéner l’Occident »

Ian Johnson, maître de recherche sur la Chine au Council on Foreign Relations (CFR), répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« La Chine veut conserver son partenariat avec la Russie sans pour autant s’aliéner l’Occident »

Le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping, lors d’un sommet à Pékin le 4 février dernier. Photo AFP

Alors que Xi Jinping et Vladimir Poutine évoquaient une « amitié sans limites » liant les deux pays à l’occasion de la signature d’un accord de coopération le 4 février, l’invasion de l’Ukraine lancée par le Kremlin met Pékin dans une position délicate. Si la Chine a refusé de qualifier la guerre d’Ukraine d’« invasion » russe et a condamné l’imposition des sanctions contre Moscou, elle semble toutefois décidée à éviter un engagement direct dans le conflit. Preuves de l’adoption de cette stratégie par Pékin, son abstention lors du vote de la résolution des Nations unies visant à condamner l’invasion russe, ou encore la recherche d’un équilibre entre le principe de respect de la souveraineté de l’Ukraine et la reconnaissance des « préoccupations sécuritaires légitimes » de la Russie vis-à-vis de son voisin. L’ambiguïté de la position chinoise s’explique par la volonté de Pékin d’éviter de subir un isolement similaire à celui qui est imposé à Moscou, sans pour autant rompre avec cet allié précieux. Si le dossier ukrainien constitue une opportunité pour la Chine de se poser comme un contrepoids face aux États-Unis, reste à savoir si celle-ci a les capacités de jouer le rôle de médiateur entre Ukrainiens et Russes et si elle s’engagera à répondre de façon positive à la demande du Kremlin de lui fournir un soutien économique et militaire, comme l’ont soutenu lundi des officiels américains au New York Times. Interrogé par L’Orient-Le Jour, Ian Johnson, maître de recherche sur la Chine au Council on Foreign Relations, décrypte les conséquences de la guerre en Ukraine sur la relation sino-russe.

L'éditorial de Issa Goraïeb

Tueurs sans frontières

Les États-Unis ont mis en garde la Chine contre le fait d’aider la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. Quelles pourraient être les conséquences auxquelles Pékin serait confronté s’il décidait de soutenir Moscou dans ses efforts de guerre ?

Elles seraient d’abord d’ordre économique. Les entreprises chinoises pourraient être sanctionnées, ce qui pourrait en outre ralentir la croissance chinoise. Cependant, c’est un avertissement qui a en réalité peu de chances de se concrétiser. Il n’y a pas de réelles chances que des sanctions générales, comme celles auxquelles est soumise la Russie, soient imposées à la Chine, parce qu’elle est complètement intégrée à l’économie mondiale. C’est la deuxième économie au monde. La sanctionner enverrait le monde en récession, tandis que sanctionner la Russie implique seulement une hausse des prix des énergies et de l’inflation. Donc les États-Unis donnent un avertissement à la Chine, mais ne peuvent pas réellement le faire respecter.

Dans quelle mesure la Chine peut-elle soutenir la Russie dans les domaines économique et militaire ?

J’ai du mal à croire que la Chine soit en mesure de soutenir la Russie sur le plan militaire. Moscou possède plus de technologies de pointe dans le domaine militaire, donc cela semble peu probable. Économiquement, cela serait très difficile pour la Chine d’apporter une aide, car elle ferait face à des sanctions occidentales. Fondamentalement, sa position est de conserver une relation avec les deux parties au conflit. La Chine veut conserver son partenariat avec la Russie sans pour autant s’aliéner l’Occident, avec lequel elle possède des liens économiques beaucoup plus importants.

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La Chine peut-elle jouer le rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine ?

Je ne pense pas que ce soit probable. La Chine est très proche de la Russie et ne sera pas vue comme un arbitre neutre. À cela s’ajoute le fait que la Chine ne s’implique jamais dans des événements qui ne correspondent pas à ses intérêts principaux. C’est un différend entre la Russie et l’Occident. Selon la perspective chinoise, cela n’a rien à voir avec elle, donc Pékin ne va pas s’embêter à s’y impliquer. La Chine n’a aucun avantage à le faire.

Quelles pourraient être les conséquences politiques et diplomatiques sur leur relation ?

Les deux pays partagent de nombreux objectifs, comme celui d’instaurer un nouvel ordre dans le monde. Mais la Russie est plus faible que la Chine, et cette guerre expose cela en montrant que même son armée est de deuxième ou troisième ordre. La Russie va donc sortir de ce conflit comme le partenaire junior de la Chine. Aussi, la Chine sera-t-elle en mesure d’acheter les ressources gazières et pétrolières de la Russie à un tarif réduit, puisque la Russie sera désespérée de remplacer ses ventes de gaz et de pétrole initialement destinées aux nations occidentales. Dans l’ensemble, la Chine émerge comme la plus puissante des deux.

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Dans quelle mesure le statut de Taïwan est-il en jeu dans l’approche chinoise du conflit ukrainien ?

Le statut de Taïwan n’est pas en jeu directement. Mais cela devient significatif parce que cela montre que si Taïwan était envahie, les démocraties dans le monde trouveraient probablement une façon de punir la Chine. La Chine a dû noter la solidarité inhabituelle des démocraties vis-à-vis de l’Ukraine, ce qui pourrait la faire s’inquiéter d’une réaction similaire si elle lançait une invasion de Taïwan, bien que la réponse ne serait pas aussi globale que celle adressée à la Russie, du fait du degré d’intégration de la Chine à l’économie mondiale.

Alors que Xi Jinping et Vladimir Poutine évoquaient une « amitié sans limites » liant les deux pays à l’occasion de la signature d’un accord de coopération le 4 février, l’invasion de l’Ukraine lancée par le Kremlin met Pékin dans une position délicate. Si la Chine a refusé de qualifier la guerre d’Ukraine d’« invasion » russe et a condamné...

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