Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Patrimoine culturel

Restaurée, la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph dévoile ses trésors

Véritable écrin accueillant 225 000 ouvrages, 3 700 manuscrits et 250 000 photographies documentaires, ce bâtiment bénéficie d’un intérêt patrimonial majeur, en tant que gardien de la mémoire et de l’histoire du Liban et de la région.

Restaurée, la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph dévoile ses trésors

La salle de lecture soufflée par l’onde de choc de l’explosion du 4 août 2020, aujourd’hui restaurée. Photo Bibliothèque orientale/USJ

Vitres pulvérisées, portes et cadres des fenêtres soufflés, murs et plafonds fissurés... Située à la rue Monnot, la Bibliothèque orientale (BO), partie intégrante de l’Université Saint-Joseph (USJ), n’a pas été épargnée par la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août 2020. Notamment au niveau de la salle des manuscrits et de la chambre froide de la photothèque. Le mobilier a également été lourdement endommagé, tandis que les systèmes de déshumidification et de ventilation mécanique contrôlée ont été détruits, tout comme les ordinateurs, photocopieuses, scanners ou encore caméras de reproduction pour les microfilms. « Par miracle, il n’y a eu aucun blessé, et les précieuses collections n’ont subi aucun dommage. Mais les dégâts étaient considérables. La facture finale est de plus de 500 000  dollars », explique Carla Eddé, vice-rectrice de l’USJ. Une aide d’urgence déployée par Aliph (Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit), la Qatar National Library, l’Unesco, l’AFAC (Arab Fund for Arts and Culture) et l’Œuvre d’Orient a permis la restauration de la bibliothèque et de sa photothèque, dont la fin des travaux a été marquée hier par une cérémonie d’inauguration. Étaient notamment présents pour l’occasion le ministre de la Culture, Mohammad Mortada, le recteur de l’USJ, P. Salim Daccache, Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient, et Valéry Freland, directeur exécutif d’Aliph. En compagnie de Carla Eddé et des opérateurs de la bibliothèque, L’Orient-Le Jour a visité ce magnifique bâtiment rénové de style néo-roman conçu en 1937 par Rogatien de Cidrac (1909-1997). Cet ancien chef architecte au ministère français de la Reconstruction et de l’Urbanisme, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, s’était notamment chargé de la rénovation du Domaine national de Fontainebleau, une grande œuvre rendue possible grâce à André Malraux qui avait alors mobilisé de gros moyens pour les travaux. Rue Monnot, l’édifice se dresse sur trois étages, offrant une grande salle de lecture, une photothèque et salle d’exposition, un amphithéâtre pour les conférences, des bureaux et des dépôts en sous-sol, appelés magasins, où reposent des milliers d’archives.

Manuscrits rares dont les dates varient entre le IXe et le XIXe siècle. Photo DR

Un patrimoine initié par les jésuites

La photothèque se situe au rez-de-chaussée. « Elle dispose d’un fonds d’environ 250 000 photographies actuellement en cours d’inventaire et de numérisation, dans des conditions de conservation optimale », indique son directeur, Levon Nordiguian. Le local de 160 m2 aménagé en 2016 grâce au mécénat de la Fondation Boghossian, et aujourd’hui entièrement restauré, comprend une galerie d’exposition mais aussi et surtout une chambre froide de 20 m2 où « les photos enveloppées dans du papier sans acide sont conservées dans des boîtes à une température constante de 19 degrés et une humidité de 44 % », explique M. Nordiguian. Ces collections ont été constituées par des pères jésuites qui, depuis le XIXe siècle, dans le cadre de leur mission, ont accumulé les clichés à caractère archéologique, historique, géographique et ethnographique. Un patrimoine unique au Liban et dans le Proche-Orient. Depuis l’année 2000, une partie de ce patrimoine a fait l’objet de catalogues publiés par les Presses de l’Université Saint-Joseph et d’expositions au Liban et à l’étranger, notamment au musée de l’Arles antique, en France, et au musée de la photographie à Charleroi, en Belgique.

Lire aussi

Entre la France et le Liban, une collaboration centenaire et des perspectives d’avenir

« Ce fonds est une source de documentation inestimable non seulement pour l’histoire des jésuites, mais aussi pour celle des pays où ils ont exercé leur apostolat, c’est-à-dire la Syrie qui comprenait alors le Liban, et l’Arménie historique située maintenant en territoire turc », précise M. Nordiguian. « De plus, ajoute-t-il, le fonds représente une source pour l’histoire de la photographie au Proche-Orient, puisque toutes les étapes de la technique photographique, ou presque, sont représentées, des épreuves albuminées au gélatinobromure, des plaques de verre de dimensions variées aux supports souples ou en papier. » Le directeur affirme qu’à ce jour, « plus de 70 000 négatifs et clichés ont été numérisés et plus de 12 000 inventoriés et indexés pour leur mise en ligne ». Marina Mattar et Rabih Rached sont chargés de la gestion et la conservation préventive du fonds, et Roupène Basmagian de la numérisation.

La salle de lecture soufflée par l’onde de choc de l’explosion du 4 août 2020, aujourd’hui restaurée. Photo Bibliothèque Orientale/USJ

Voyages en images

Levon Nordiguian signale d’autre part que de nouvelles donations de photographies relatives au Liban et à la région sont venues enrichir le fonds des jésuites. La photothèque a ainsi bénéficié de 1 500 clichés du fonds Williams Douglas Dodd, saisis essentiellement entre les deux guerres et couvrant le Proche-Orient ; de 9 000 photographies portant sur les fortifications d’Orient et du bassin méditerranéen et émanant du fonds Jean-Claude Voisin ; d’une série de 500 clichés pris par Assadour Pilibossian, pour rendre compte des traces des Arméniens dans les provinces orientales de la Turquie ; d’œuvres provenant de Sétian Varoujan (1927-2003), un des plus grands photographes libanais de la seconde moitié du XXe siècle, qui a fixé pour l’éternité l’image de marque du Liban des Trente Glorieuses ; des albums du Franco-Italien Tancrède Dumas qui avait son studio à Beyrouth et qui a travaillé entre 1860 et 1890 pour l’American Palestine Exploration Society, produisant une abondante documentation sur les régions situées à l’est du Jourdain. De même, les appareils photo des pères jésuites ont été sauvegardés, dont cinq qui ont appartenu au P. Antoine Poidebard. Cet aviateur, archéologue et historien avait mené des recherches sur les ports de Tyr et de Saïda qui ont permis de jeter les bases de l’archéologie sous-marine moderne par la combinaison des vues aériennes et de l’exploration sous-marine.

Pour mémoire

Sous la plume de Levon Nordiguian, le Metn dévoile ses pépites

La Bibliothèque orientale conserve également les instruments de projection des diapos « anciennement appelées lanternes magiques », précise Levon Nordiguian. Ces appareils sont utilisés par les savants jésuites lors des conférences à l’institut des Lettres orientales, dont l’amphithéâtre porte depuis 2018 le nom de Laila Turqui. Première Miss Liban élue en 1929, elle fut également la première femme du Machrek arabe à participer à l’élection de Miss Monde à Rio de Janeiro en 1930. « C’est pour honorer la mémoire de sa mère que Sami Turqui décida l’octroi de bourses aux étudiants en difficulté et la restauration de l’amphithéâtre. » L’onde de choc du 4 août 2020 l’avait mis sens dessus dessous, mais il est aujourd’hui flambant neuf.

Ouvrages, manuscrits et cartes par milliers

Propriété de la Compagnie de Jésus mais gérée par l’USJ depuis l’an 2000, la Bibliothèque orientale est un lieu de recherche ouvert au public. Située au deuxième étage du bâtiment, elle rassemble « entre 225 000 et 250 000 ouvrages », selon la directrice des lieux, Micheline Sainte-Marie Bittar, qui affirme que les collections garnissant les rayons de la bibliothèque sont restées miraculeusement intactes. Parmi ces ouvrages, « des éditions fort anciennes de chroniqueurs et voyageurs orientaux et occidentaux, de poètes et penseurs arabes, ainsi qu’un fonds riche et varié relatif à l’Arménie ». S’y ajoutent « une cinquantaine de lithographies en syriaque qui ne sont pas encore cataloguées car nous manquons de personnel », relève Mme Bittar, avant d’indiquer que la bibliothèque est dotée de 3 700 manuscrits datant du IXe au XIXe siècle. La collection, gérée par Karam el-Hoyek, est en langue arabe, syriaque, garchouni (langue arabe écrite en caractères syriaques, NDLR), turque et persane, et couvre différents thèmes : histoire générale, histoire ecclésiastique, islam, géographie, astronomie, physique, mathématiques, grammaire et récits de pèlerinages et de voyages dans les villes et les provinces. La BO offre également aux lecteurs 1 100 titres de revues et périodiques européens et arabes ainsi qu’une centaine de titres de journaux remontant au début de la presse au Caire et à Beyrouth, principalement Lissan el-Hal, al-Machriq fondé en 1898 et al-Bashkir, un journal d’information religieux catholique créé en 1898 par les pères jésuites à Beyrouth et qui a cessé de paraître en 1945. Entre-temps, à partir de 1906, la publication des Mélanges consolide les acquis de la bibliothèque. Celle-ci est alors alimentée par les échanges avec les orientalistes européens de l’époque. Elle publie leurs travaux scientifiques relatifs aux civilisations du Proche et Moyen-Orient ancien et médiéval. « Pour la petite histoire, en 1914, quand la Grande Guerre est déclenchée et les jésuites expulsés, ce sont les consuls d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et des États-Unis à Istanbul qui interviennent directement auprès du gouvernement turc pour la protection et la conservation du fonds de la BO », raconte Carla Eddé. Ce patrimoine exceptionnel et précieux conserve également plusieurs centaines de cartes géographiques relatives à Beyrouth, dont un plan de la ville datant de 1870. « Il n’en existe que trois dans le monde », souligne-t-elle. Cette carte rare a été dédiée par le vice-consul du Danemark et intendant des écoles anglo-syriennes au sultan ottoman Abdülhamid II. Elle montre le tissu urbain de la ville avec les champs agricoles autour des bâtis. Seuls les quartiers du port et al-Bourj étaient urbanisés. Un index des noms des édifices et des quartiers et une légende accompagnent la carte. À cette époque, Ras Beyrouth était une colline de sable, les bois de pins marquaient la limite sud de la ville et le fleuve de Beyrouth sa limite nord-ouest…

Vitres pulvérisées, portes et cadres des fenêtres soufflés, murs et plafonds fissurés... Située à la rue Monnot, la Bibliothèque orientale (BO), partie intégrante de l’Université Saint-Joseph (USJ), n’a pas été épargnée par la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août 2020. Notamment au niveau de la salle des manuscrits et de la chambre froide de la photothèque....

commentaires (2)

Bravo !

Wow

16 h 59, le 15 mars 2022

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Bravo !

    Wow

    16 h 59, le 15 mars 2022

  • Merci pour cet article. Interressant

    Staub Grace

    14 h 41, le 15 mars 2022

Retour en haut