Est-ce un retour à l’ère des désaccords entre le chef des Kataëb Samy Gemayel et son cousin Nadim Gemayel, député démissionnaire de Beyrouth ? Telle était la question que se sont posée plusieurs observateurs à la suite d’informations ayant circulé il y a quelques jours sur un probable retrait du parlementaire de la compétition électorale de mai à Beyrouth I (Achrafieh, Rmeil, Saïfi et Medawar). Finalement, Nadim Gemayel est revenu sur sa décision de ne pas se porter candidat à ce scrutin, après discussion avec le chef des Kataëb et la médiation du fondateur du Rassemblement de Saydet el-Jabal, Farès Souhaid.
Député Kataëb de Beyrouth depuis 2009, Nadim Gemayel est connu pour ses prises de position radicales contre le Hezbollah et son arsenal, ainsi que pour sa proximité avec les Forces libanaises. Une attitude d’autant plus justifiable que l’ex-député n’est autre que le fils du fondateur des FL, Bachir Gemayel, ancien président élu de la République assassiné en 1982. Si les deux partis chrétiens convergent sur les grandes lignes stratégiques, ils entretiennent aujourd’hui des rapports en dents de scie, ce qui réduit la probabilité de les voir mener bataille ensemble lors des législatives prévues le 15 mai. Rappelons qu’en 2018, les formations de Samir Geagea et de Samy Gemayel étaient parvenues à former une liste commune, à laquelle s’étaient joints l’ancien ministre Michel Pharaon et l’homme d’affaires et banquier Antoun Sehnaoui, représenté par Jean Talouzian, député arménien-catholique de la capitale. Mais dans la perspective du scrutin prévu dans près de deux mois, les Kataëb, qui se veulent le fer de lance de l’opposition, notamment depuis la révolte d’octobre 2019, maintiennent leur veto contre toute alliance électorale avec les FL. « Ce refus catégorique à l’encontre des FL pourrait bien avoir irrité Nadim Gemayel à un certain moment », estime une personnalité beyrouthine qui a requis l’anonymat.
Ne pas baisser les bras face au Hezbollah
Nadim Gemayel donne, lui, une autre explication aussi bien de sa volonté de se retirer de la course que de sa décision de maintenir sa candidature. « J’ai sérieusement pensé à ne pas briguer un nouveau mandat parlementaire, pour les mêmes raisons qui nous avaient poussés, nous les députés Kataëb, à démissionner de la Chambre (dans la foulée de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth) », confie-t-il à L’Orient-Le Jour. « Nous sommes devant un pouvoir contrôlé par le Hezbollah, où personne ne peut contrôler les actions du gouvernement, ni même légiférer », ajoute-t-il, se disant « convaincu de ce point de vue ». Ces angoisses, Nadim Gemayel les a partagées avec son cousin, le chef des Kataëb. « J’ai discuté d’abord avec Samy (Gemayel) qui a affiché son soutien à la décision que j’allais prendre », confie-t-il. Il tient à souligner dans ce cadre qu’il a de très bons rapports avec son cousin, comme pour répondre à ceux qui voient dans la polémique un nouveau round de la querelle entre les deux hommes. « Les relations entre le leader des Kataëb et son cousin n’ont jamais été meilleures », confirme un responsable du parti qui a souhaité garder l’anonymat. « Nadim Gemayel a, comme nombre de Libanais, des appréhensions politiques. Et cela est très normal dans un pays comme le nôtre », estime le haut responsable Kataëb. « Il est du devoir du parti et de son directoire de le soutenir et de l’encourager, quelle que soit sa décision », poursuit-il.
Nadim Gemayel a également discuté de ses hésitations avec Farès Souhaid, ancien député de Jbeil et farouche opposant au Hezbollah. « J’entretiens une bonne relation avec Farès Souhaid, et j’ai voulu lui parler avant de prendre ma décision. Il m’a encouragé, tout comme la base populaire et partisane d’Achrafieh », raconte M. Gemayel. Et de poursuivre : « J’ai trouvé qu’il était dans l’intérêt du pays de maintenir ma candidature ». « Nadim Gemayel a voulu réfléchir à voix haute, et je lui ai conseillé de rester dans la course », nous affirme pour sa part M. Souhaid, soulignant qu’« il ne faut pas baisser les bras face au Hezbollah et ses alliés ».
Souhaid, le Siniora chrétien ?
La polémique autour d’un probable retrait de Nadim Gemayel de la compétition électorale est intervenue quelques semaines après l’annonce du chef du courant du Futur Saad Hariri de la suspension de son activité politique et de son boycottage des législatives. C’est sous cet angle que l’ex-parlementaire de Jbeil perçoit l’affaire Nadim Gemayel. « Beyrouth ne devrait pas être abandonnée et laissée au Hezbollah. Il ne faut pas que le fils de Bachir Gemayel cède devant le parti de Dieu, surtout après la décision du fils de Rafic Hariri », affirme Farès Souhaid. Des propos qui rappellent la prise de position de Fouad Siniora, ex-Premier ministre, qui déploie des efforts pour pousser les sunnites à ne pas bouder les urnes après le retrait du leader du Futur. Il serait en effet à l’œuvre pour convaincre Nawaf Salam, ex-ambassadeur du Liban aux Nations unies et juge à la Cour internationale de justice, de se porter candidat à Beyrouth II. Une démarche soutenue par plusieurs poids lourds du Futur, dont le numéro deux Moustapha Allouche a claqué vendredi la porte du parti. « Il ne faut pas rendre la vie facile au Hezbollah. Et je suis favorable à tout ce qui pourrait servir cet objectif », martèle Farès Souhaid.
La décision de Nadim Gemayel de rester dans la course à Beyrouth I signifie qu’il continuera à mener des contacts pour former la liste que les Kataëb vont soutenir dans la capitale. « Samy et Nadim Gemayel sont sur la même longueur d’onde concernant la nécessité de faire face au Hezbollah. Et c’est dans ce but que Nadim Gemayel est chargé de former la liste que le parti va appuyer », explique le responsable Kataëb cité plus haut. Cette liste devrait affronter une autre à laquelle prendrait part le Courant patriotique libre, qui a jusque-là annoncé la candidature de Nicolas Sehnaoui, actuel député et ancien ministre des Télécoms, pour le siège grec-catholique de la circonscription. Ces deux listes devront croiser le fer avec celle de la société civile, mais aussi des Forces libanaises. Si le parti de Samir Geagea a déjà annoncé la candidature de Ghassan Hasbani, ancien vice-président du Conseil, au siège grec-orthodoxe, une personnalité beyrouthine exclut la possibilité de le voir présenter un candidat maronite face à Nadim Gemayel. À son tour, l’homme d’affaires Antoun Sehnaoui devrait parrainer une liste toujours en gestation. « C’est le panorama qui se dessine pour le moment, en attendant une décision de Michel Pharaon (ex-député de la capitale), qui devrait trancher la question la semaine prochaine », croit savoir une personnalité proche du dossier.
Pourquoi se disputer quand il faudrait faire union face au grand diable iranien. Quel malheur que la rue chrétienne n'a pas encore compris la nécessité de faire alliance pour s'échapper des griffes perses.
04 h 24, le 08 mars 2022