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Société - Libanais d’Ukraine / Témoignages

« Au Liban, j’ai vécu la guerre, alors je savais quoi faire »

Il y a une semaine, le scénario de guerre était pour eux inimaginable.

« Au Liban, j’ai vécu la guerre, alors je savais quoi faire »

Des Ukrainiens tentent de fuir la ville de Kharkiv, après le début de l’invasion russe, le 24 février 2022. Antonio Bronic/Reuters

Kiev, aux alentours de 5h10, hier matin. Le soleil n’est même pas levé que déjà les murs de l’appartement de Mark Tohmé, un vétérinaire libanais de 33 ans, se mettent à trembler. C’est à ce moment-là que démarrent les premières attaques de l’armée russe contre l’Ukraine. L’offensive aurait déjà, selon les estimations, fait des dizaines de morts, dont environ dix civils. Mark fait partie, selon l’ambassade d’Ukraine au Liban, des 1 800 ressortissants libanais qui y résident, mais ce chiffre pourrait atteindre les 3 700, selon l’ambassade du Liban à Kiev.

Un scénario qui paraissait pourtant inimaginable pour les Libanais contactés par L’Orient-Le Jour la semaine dernière. Aujourd’hui, certains tentent de fuir par tous les moyens, à l’instar de milliers d’Ukrainiens. Durant les premières heures de la journée, il était quasiment impossible de les joindre.

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« Au Liban, j’ai vécu la guerre, je savais donc quoi faire. Je me suis directement réfugié dans ma chambre et j’ai commencé à prendre des nouvelles de mes proches ici », raconte Mark, qui a quitté Beyrouth pour l’Ukraine en 2007. Pour lui, la situation est comparable à la guerre de juillet de 2006 au Liban, qui avait opposé pendant 33 jours le Hezbollah à Israël, « mais là, ce sont deux grandes nations qui s’affrontent. Ce sera bien pire », confie-t-il au téléphone. À Kiev, l’atmosphère est pesante. Le bruit des avions et des hélicoptères russes est incessant, tout comme les sirènes d’alarme de la capitale. « Les rues sont désertes, très peu de voitures circulent, les restaurants sont fermés, les supermarchés sont ouverts mais pour une durée déterminée. Il n’y a plus d’essence et nous ne savons pas quand le gaz sera en rupture de stock. La situation ne rassure pas du tout », lâche-t-il. À la tombée de la nuit, ceux qui sont restés chez eux éteindront les lumières « pour se cacher ».

Daniel, 29 ans, ne s’attendait pas à ce qu’Odessa – ville portuaire située sur la mer Noire où il réside depuis qu’il a quitté le Liban en mai 2019 – soit attaquée, puisqu’elle est loin de la frontière russe.

Lorsque les explosions l’arrachent de son sommeil jeudi à l’aube, il voit ses voisins ranger leur valise. Très vite, ses « réflexes de Libanais » le poussent à faire de même et à quitter sa ville avec sa compagne au plus vite pour rejoindre la Roumanie. Ils parcourent en voiture plus de 300 km sur des routes désertes et arrivent vers midi, sans « aucun plan », dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Si Daniel a réussi à fuir, d’autres restent bloqués en Ukraine, sans issue de secours. Dès que les sirènes d’alarme ont retenti dans la ville de Lviv, Karim*, étudiant libanais, a rassemblé ses quelques affaires et pris la route de l’aéroport pour quitter l’Ukraine, avant de se rendre compte que les frontières aériennes ont été fermées. Il n’a plus le choix, il va devoir fuir par voie terrestre, envisageant de regagner la Pologne. C’est la première fois, confie-t-il, qu’il voit des Ukrainiens envisager le pire. Mais leur « patriotisme l’emporte sur la peur ». « J’ai vu des gens dans la rue dire à des militaires qu’ils étaient prêts à combattre avec eux », raconte-t-il. Malgré tout, il tente de relativiser. « Au moins ici, à Lviv, le danger est moindre que dans d’autres villes à la frontière de la Russie. » Pendant quelques secondes, Karim ne répond plus. « Je viens de recevoir une notification... » lâche-t-il enfin. « Ah non, en fait ça va », dit-il avec un rire nerveux. Depuis l’aube, son téléphone n’arrête pas de sonner. Ses parents au Liban sont tétanisés à l’idée que leur fils se retrouve bloqué sur place.

Rues désertées, supermarchés envahis

« Nous pensions tous que l’Ukraine était un pays sûr. Nous sommes sous le choc », raconte Walid Khodr, un Libanais établi à Poltava, dans le centre de l’Ukraine, depuis 2013 pour poursuivre ses études. Une base militaire de sa région a été attaquée le matin à 8h pendant qu’il dormait. « Mes amis ont entendu les frappes, mais pas moi », dit-il. La veille, rien ne laissait présager de ce qui allait arriver. « Mais hier, les supermarchés, les pharmacies ont été pris d’assaut par la population. Tout le monde se prépare car nous n’avons aucune idée de la suite », raconte ce jeune homme de 29 ans, qui représente la diaspora libanaise à Poltava. Son téléphone aussi sonne sans arrêt. Au bout du fil, des étudiants libanais l’appellent en panique, d’autant que certains d’entre eux sont établis dans des lieux isolés. « Nous essayons de les faire venir dans les villes, mais c’est risqué, explique-t-il. Un jeune m’a appelé, il ne connaît personne là où il vit et ne parle pas la langue. » Walid, qui a ouvert son business en Ukraine, espère que l’ambassade du Liban va parvenir à rassembler les étudiants pour qu’ils quittent le pays au plus vite. « Je ne pense pas que ceux qui y vivent depuis des années quitteront le pays », commente-t-il toutefois. Lui n’est pas rentré au Liban depuis cinq ans, en raison de la situation. « J’ai fui le Liban, mais si la situation empire en Ukraine, je n’aurai d’autre choix que d’y revenir », lâche-t-il.

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Le 4 août 2020, Rami*, était à Beyrouth quand le port et plusieurs quartiers de la capitale ont été soufflés. Alors, quand jeudi matin à 5h il a entendu le fracas des explosions à Odessa, il a tout de suite compris. « Ma famille pensait que j’hallucinais. Mais moi je savais, je sais reconnaître une explosion », raconte ce Libanais de 26 ans. Sur Twitter, il voit que l’Ukraine a été attaquée dans plusieurs régions. « Nous avons rangé toutes nos affaires, rassemblé les documents importants, mais je ne sais même pas si nous allons pouvoir quitter le pays. Ma grand-mère n’arrive pas à marcher, nous avons une petite de quatre ans et surtout nous n’avons pas de voiture », raconte-t-il. Ces derniers jours, son frère qui vit au Liban ne cessait de l’appeler, l’exhortant à quitter le pays. « Mais on ne croyait pas qu’une guerre allait vraiment éclater. On aurait dû », dit-il. Un lourd silence s’installe. Depuis ce matin, il est retranché avec sa famille dans une chambre, la télévision allumée en continu pour suivre les informations. « Régulièrement, on entend le fracas d’une explosion », dit-il. « Mon plan, là, même si ce n’en est pas vraiment un, est de rester à la maison et d’espérer que la situation ne se dégrade pas. Samidoun (nous résistons) », lâche-t-il.

• Les prénoms ont été changés.

Les Libanais souhaitant quitter l’Ukraine appelés à remplir un formulaire en ligne

Les Libanais se trouvant en Ukraine et souhaitant quitter le pays après l’invasion militaire russe déclenchée hier matin sont appelés à remplir un formulaire en ligne à cette adresse : https://mfa.gov.lb/Ukraineform, a annoncé le ministère libanais des Affaires étrangères. Celui-ci a également appelé ses ressortissants « à rester en lieu sûr ». Sur son compte Twitter, le ministère « appelle l’ensemble des ressortissants libanais résidant en Ukraine à la plus grande prudence, et à rester en lieu sûr ». Quant à ceux qui souhaitent revenir au Liban et qui doivent remplir le formulaire, le ministère assure « maintenir les contacts politiques avec tous les pays et alliés concernés, notamment les pays voisins de l’Ukraine, pour assurer des voies de retour en toute sécurité pour les Libanais ». Le ministère a également communiqué des numéros d’urgence pour les Libanais vivant en Ukraine : 03-242659 (Nawal Lichaa Abboud) ; 70-615491 (Lara Azzi).

Il y a plus d’une semaine, le ministère avait déjà conseillé à ses ressortissants de « quitter de manière volontaire et rapide l’Ukraine, jusqu’à ce que les tensions disparaissent et que les choses reprennent le cours normal ».

Kiev, aux alentours de 5h10, hier matin. Le soleil n’est même pas levé que déjà les murs de l’appartement de Mark Tohmé, un vétérinaire libanais de 33 ans, se mettent à trembler. C’est à ce moment-là que démarrent les premières attaques de l’armée russe contre l’Ukraine. L’offensive aurait déjà, selon les estimations, fait des dizaines de morts, dont environ...

commentaires (2)

C ‘est du mana pour les israéliens d’attaquer le Liban ???

Eleni Caridopoulou

18 h 52, le 25 février 2022

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Commentaires (2)

  • C ‘est du mana pour les israéliens d’attaquer le Liban ???

    Eleni Caridopoulou

    18 h 52, le 25 février 2022

  • Le monde est devenu fou. En réalité ce n'est que le "wild west", sauf quelque pays de l'Europe du Nord et Ouest et quelques rares vrais démocraties, pour le reste, malheureusement, toutes les chartes et les accords sont comme l'accord de baabda pour le Hezb chez nous! Pour cela et pour l'amour du Liban je suis persuadé qu'il est mieu pour soi et mieu pour le Liban de resté chez soi pour lutté pour qu'un jour nous inscrire sur cette liste exclusive de "nation de loi". Ne pas fuir nos milices et nos lâches politiciens, il faut tenir bon réunis et c'est eut qui finirons par fuires. Votez, votez, votez mais surtout pas pour eux.

    Sarkis Dina

    10 h 53, le 25 février 2022

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