Rechercher
Rechercher

Campus - LÉGISLATIVES

À l’approche de leur premier vote, les jeunes Libanais déterminés mais sans illusions

Aujourd’hui, ils sont âgés de plus de 21 ans et pourront donc voter aux prochaines législatives prévues le 15 mai. Moins de trois mois avant le scrutin, ils reviennent sur cette échéance, exprimant l’espoir d’une génération postoctobre 2019, malgré tout.

À l’approche de leur premier vote, les jeunes Libanais déterminés mais sans illusions

Sarah Tarhini. Photo Sarah Tarhini

50 % des Libanais interrogés par la société Statistics en décembre 2021, dont 36,5 % sont âgés de 21 à 30 ans, ont indiqué leur volonté de voter aux élections législatives prévues en mai, selon un sondage commandé par la fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung et publié sur son site web début février. Un pourcentage plutôt bas qui traduit « la méfiance croissante du peuple libanais vis-à-vis des acteurs politiques existants » et « l’espoir perdu quant à la possibilité de changer les dirigeants politiques actuels, reflétant la capitulation du peuple au statu quo actuel », analyse le rapport intitulé « Étude des perceptions et des attitudes des citoyens libanais envers la situation économique, sociale et politique au Liban ».

Si de nombreux jeunes sont désespérés par la situation politique du pays, et ne comptent pas prendre part au processus électoral, d’autres, bien au contraire, voient dans les élections l’opportunité d’exercer leur droit de vote et d’accomplir leur devoir en tant que citoyens. Et surtout, d’affirmer leur présence sur la scène politique. « Le fait de pouvoir voter représente une façon d’exercer ma citoyenneté. C’est une façon de protéger notre liberté et de faire fonctionner la démocratie », estime Mariette Bou Francis, 22 ans, qui se dit « heureuse de prendre part à la vie politique ». Cette étudiante en master de biochimie à l’Université libanaise (UL) considère que participer aux législatives est primordial notamment dans ces circonstances difficiles.

Alec Taslakian. Photo Bedros Hossebian

« Insatisfait de la situation actuelle », Alec Taslakian, 22 ans, étudiant en 3e année de chimie à l’Université Notre-Dame de Louaizé (NDU), se considère lui aussi tenu de participer au processus démocratique. Une position partagée par Charbel Abi Karam, 21 ans. En espérant que son « opinion politique puisse être représentée d’une façon réelle au Parlement », cet étudiant de master 1 en droit des affaires à l’USJ confie que le fait de pouvoir voter pour la première fois lui permet de s’affirmer « en tant que jeune citoyen qui s’intéresse à la politique ». Quant à Sarah Tarhini, 22 ans, étudiante de master 2 en neurosciences à l’Université Aix-Marseille, elle rappelle que « de nombreuses femmes fortes à travers l’histoire se sont battues pour notre droit de vote », et dit essayer de ne pas prendre son « droit de vote » ou sa capacité à s’exprimer « pour acquis ». Cependant, ne faisant pas « confiance au processus électoral au Liban », elle hésite encore à se rendre aux urnes.

Nour Lana Karam. Photo Paul Karam

Voter pour le changement, se faire entendre et réclamer son espace

Nour Lana Karam, 22 ans, observe qu’après s’être longtemps « sentie impuissante face à la situation générale dans le pays », il est grand temps d’agir. « En prenant part activement à la vie politique, je sentirai au moins que j’ai essayé de changer le statu quo », remarque cette étudiante en master 2 de droit à Paris II Panthéon-Assas. Désormais installée en France, cette étudiante libano-française confie se sentir aujourd’hui « déracinée ». « Je ne pourrai jamais faire table rase de mon passé au Liban. » Elle votera donc aux élections « dans l’espoir d’épargner ce déchirement aux futures générations, pour qu’elles ne soient pas forcées de quitter leur terre natale », affirme-t-elle. Toutefois, dans le cas où le changement espéré n’est pas au rendez-vous, cette étudiante exprime sa « peur que les Libanais perdent définitivement l’espoir à l’issue du scrutin ».

Mariette Bou Francis. Photo Bakhos Francis Bou Francis

Inquiète, elle aussi, que les prochaines élections n’apportent pas le changement espéré, Mariette Bou Francis reste déterminée à exercer son droit de vote car même si sa participation « reste infime », « ne pas voter permet aux autres de décider pour nous », avertit-elle. De nombreux jeunes partagent cet avis. « Il est de ma responsabilité de faire entendre ma voix », martèle Alec Taslakian. S’abstenir de voter aura pour conséquence de « renforcer les partis politiques traditionnels », alerte Aya Kassem, 21 ans. L’étudiante en dernière année de nutrition à l’AUB estime que voter signifie avoir son opinion sur l’avenir du pays. « Bien que je pense que j’aurais dû avoir mon mot à dire depuis mes 18 ans, je suis heureuse de pouvoir voter pour ceux en qui je crois », indique-t-elle. Marc el-Hajj, 22 ans, master 2 en droit bancaire et financier à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, précise : « En votant utile, on espère faire parvenir un message, voire une idée plus ou moins conforme à nos valeurs ou nos idéaux. »

Tracy Daige. Photo Samantha Daige

La participation aux législatives constitue, en effet, selon Tracy Daige, 22 ans, « un moyen concret pour contribuer au vrai changement. C’est notre responsabilité envers le pays », assure cette étudiante en 3e année de sciences politiques et en 2e année de journalisme à l’UL. Rappelant que « le changement ne se fera jamais seul », Nour Lana Karam insiste : « Faire son devoir de citoyen et aller aux urnes est essentiel pour faire bouger les choses. » Une opportunité que certains jeunes, même en âge de voter, n’auront pas lors des prochaines législatives. Maria el-Hage, 22 ans, qui étudie actuellement en France à l’Université de Caen-Normandie dans le cadre de son master 2, n’avait pas encore reçu son visa français avant le délai d’inscription des expatriés, et ne pourra donc pas prendre part aux élections. « En revanche, ça sera l’occasion pour moi de mieux me familiariser avec les candidats indépendants ; j’aurais certainement voter pour l’un d’eux », avance l’étudiante inscrite en chimie alimentaire à la faculté des sciences de l’USJ.

Charbel Abi Karam. Photo Chris Kabbouji

Des choix éclairés

Autre fait significatif : selon l’étude publiée par Konrad-Adenauer-Stiftung, les candidats indépendants obtiennent la première place des intentions de vote, devant les partis traditionnels et les candidats issus des groupes du 17 octobre. En effet, 25,7 % des sondés – dont 36,5 % de jeunes – ont affirmé appuyer des candidats non affiliés. D’ailleurs, parmi les étudiants interrogés, plusieurs savent déjà quels politiciens ils souhaitent sanctionner. « Si je vais voter, je sais maintenant, au moins, pour qui ne pas voter. Fondamentalement, tous les visages que nous avons vus jusqu’à présent et qui ont menti sans relâche sur leur projet électoral », assure Sarah Tarhini. Charbel Abi Karam acquiesce. « On n’en peut plus des anciens visages qui racontent les mêmes mensonges », lance-t-il, de but en blanc. Et Mariette Bou Francis d’ajouter : « La condition la plus importante est que le candidat soit en dehors de la classe politique corrompue. »

Lire aussi

Le vote des Libanais de l’étranger est-il menacé ?

Les grands favoris de ces jeunes semblent être, comme le confie Alec Taslakian, les candidats indépendants, « puisque le gouvernement actuel est au pouvoir depuis trop longtemps et que rien n’a été accompli. Au lieu de développer le pays, ils ont aggravé la situation ». Pour Charbel Abi Karam, il s’agit de voter pour « des candidats jeunes, honnêtes, qui n’ont pas encore sali leurs mains dans la politique libanaise, qui veulent changer et qui possèdent une vision pour y arriver ». Ce qui est sûr, c’est que tous les jeunes interrogés insistent sur l’importance de la réflexion pour mûrir leur choix. « Pour bien choisir, il faut prendre le temps de se renseigner sur ce que propose chaque candidat », note Mariette Bou Francis. Certains, à l’instar d’Alec Taslakian, suivent de près les candidats indépendants « pour comprendre les stratégies qu’ils utiliseront dans la construction d’un nouveau départ ».

Marc el-Hajj. Photo Zoé Vimont

Parmi les autres critères susceptibles d’orienter le choix des jeunes votants, figurent les affinités et les visions communes ainsi que l’indépendance du Liban de toute ingérence étrangère. « Vu que c’est mon premier vote, j’ai envie de choisir les personnes avec lesquelles je partage les mêmes idées et croyances et ceux qui refusent la domination d’autres pays sur le Liban », confie Borhan Chokor, 22 ans, étudiant de 5e année en génie civil à l’ESIB – USJ. Charbel Abi Karam, lui aussi, votera « pour des personnes qui prônent la souveraineté du pays et celle de l’armée ». Quant à Marc el-Hajj, son vote reposera sur « des critères sociologiques, économiques et historiques. Le Liban étant un pays avec une configuration assez spéciale, il faut avoir un système adapté à cette réalité », estime-t-il. Se positionnant en faveur des groupes de l’opposition, Aya Kassem, quant à elle, confie vouloir choisir un candidat indépendant « laïc qui protégera les groupes marginalisés ».

Les qualités du candidat et les solutions qu’il propose à la crise économique sont également décisives pour les jeunes électeurs. Tracy Daige confie qu’elle effectuera son choix en fonction du programme électoral mais également de « la vision et du plan économique des candidats, de leur intégrité et leur transparence ». Nour Lana Karam, elle, dit vouloir voter pour des personnes impartiales « faisant de l’actuelle crise économique leur priorité ». « Il est inconcevable pour moi que tant de Libanais vivent dans la précarité, et que l’État reste indifférent à leur souffrance », s’insurge-t-elle.

Entre espoirs et appréhensions

Si les jeunes interrogés espèrent un changement, ils n’en demeurent pas moins réalistes. Certains voient dans les prochaines élections « un pas vers l’avant », comme Marc el-Hajj, sans qu’il ne s’agisse d’un « changement structurel ». Selon lui, « les problèmes du pays sont de long terme, alors que les élections sont beaucoup plus partisanes et de court terme », et qu’il y a « un manque de consensus sur tous les points cardinaux ». « Les élections ne changeront pas grand-chose s’il n’y a pas de changement préalable dans la configuration politique du pays », indique-t-il.

Quant à Aya Kassem, si « ce scrutin semble plus prometteur que les précédents », et « même si de nouveaux visages et groupes émergent », elle avoue ne pas s’attendre à grand-chose, déplorant les « méthodes utilisées par les partis politiques pour profiter d’une population extrêmement vulnérable. Les partis traditionnels s’assurent qu’ils peuvent avoir un avantage malgré les conditions insupportables dans lesquelles nous vivons », se désole-t-elle. « Il est très facile de romancer l’idée que 30 ans de corruption puissent être renversés en un instant », lance, quant à elle, Sarah Tarhini. « Malheureusement, dans le contexte du Liban, je ne crois pas que ma voix fera une grande différence tant que les mêmes visages domineront le pays. C’est un non-sens total de supposer que les expatriés peuvent désormais voter pour 128 sièges au lieu de 6 parce que nos politiciens apprécient soudainement la démocratie ; rien n’est adopté à moins que cela ne leur profite », observe-t-elle avec amertume.

Borhan Chokor. Photo Nour Mouawad

Borhan Chokor décrit la situation dans certaines régions comme étant critique. « La possibilité d’y gagner une place est très difficile. » Pour lui, les élections représentent l’une des voies permettant d’initier un changement. Or, vu d’une part « l’existence d’une loi électorale injuste », et d’autre part, « le manque d’unification des forces de l’opposition », « le changement attendu n’est pas imminent », déduit l’étudiant, « pour être réaliste ». « Il est difficile de parler d’un changement radical qui touche toutes les régions du Liban », admet également Tracy Daige, estimant que de nouveaux candidats peuvent gagner dans certaines circonscriptions uniquement. « L’influence et la domination de certains partis politiques dans certaines régions ont créé un réseau de clientélisme. Cela a rendu le peuple soumis à la volonté du leader ,“lui offrant” son allégeance », explique-t-elle.

Charbel Abi Karam regrette l’attachement des Libanais aux anciens visages politiques. « Je ne m’attends à rien de ces élections », lâche-t-il, avant de tempérer son propos en évoquant les « nouvelles personnes et idées politiques qui n’ont jamais été aussi discutées, et qui pourraient être représentées et déclencher un changement ». Alec Taslakian renchérit, rappelant la loyauté historique du peuple libanais envers ses partis politiques préférés. « Je ne pense pas que nous verrons un changement majeur cette année, mais je suis convaincu que nous sommes capables de croître. Il y a quelques années, je pensais que le changement était impossible. Mais, après la révolution du 17 octobre, après avoir vu tant de gens rassemblés contre le gouvernement, j’ai ressenti une lueur d’espoir », nuance-t-il.

Si certains parmi ces jeunes se donnent des raisons d’espérer et de croire au changement, c’est à la suite des divers développements intervenus ces deux dernières années. « Une bonne partie des citoyens est devenue plus consciente de la situation. Cela a changé un peu lorsque les gens ont commencé à se révolter dans les rues pour manifester leur colère, leur insatisfaction, leur dégoût de la politique et de la corruption », estime Mariette Bou Francis. « Ces sentiments de frustration et d’impuissance devraient pouvoir alimenter le changement, ne serait-ce que d’un iota. Aux élections précédentes, le soulèvement du 17 octobre 2019 n’avait pas encore eu lieu… », rappelle Nour Lana Karam. De même, Maria el-Hage évoque les victoires de groupes indépendants réalisées dans des universités au détriment de candidats affiliés aux partis traditionnels. « Il est impossible que rien ne change. Donc oui, j’attends un changement… surtout que parmi la nouvelle génération, beaucoup en ont vraiment marre de vivre sous ce système », assure-t-elle, ajoutant : « J’ai toujours cru qu’il y a un vrai pouvoir dans les élections. »

Maria el-Hage. Photo Christian el-Hage

Comme Maria el-Hage, Nour Lana Karam compte sur la nouvelle génération dont la participation « aux élections transformera le paysage politique ». Même si « le changement ne se fera pas du jour au lendemain, ce n’est pas pour autant qu’il n’aura jamais lieu ». « Je crois à un changement graduel », poursuit-elle. De même, Charbel Abi Karam entretient de l’espoir même s’il sait « que la bataille est longue et dure ». « C’est à nous les jeunes de travailler pour ce changement », insiste-t-il.

« Il se peut que les résultats des prochaines législatives ne répondent pas à mes attentes », reconnaît Tracy Daige. « Mais je ne me découragerai pas, parce que le changement n’aura jamais lieu du jour au lendemain. La lutte pour un Liban qui me ressemble et ressemble aux jeunes comme moi vient de commencer », conclut-elle.


50 % des Libanais interrogés par la société Statistics en décembre 2021, dont 36,5 % sont âgés de 21 à 30 ans, ont indiqué leur volonté de voter aux élections législatives prévues en mai, selon un sondage commandé par la fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung et publié sur son site web début février. Un pourcentage plutôt bas qui traduit « la méfiance...

commentaires (2)

Je suis content de sentir cette bouffée d'oxygène apportée par notre belle jeunesse, fraiche et instruite. Mais suffira t elle pour changer les mœurs et éradiquer le cancer qui gangrène notre pays depuis des années, qu'est la corruption. Pas sûr malheureusement.

Citoyen

11 h 40, le 24 février 2022

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Je suis content de sentir cette bouffée d'oxygène apportée par notre belle jeunesse, fraiche et instruite. Mais suffira t elle pour changer les mœurs et éradiquer le cancer qui gangrène notre pays depuis des années, qu'est la corruption. Pas sûr malheureusement.

    Citoyen

    11 h 40, le 24 février 2022

  • Une broussaille incroyable sur la tête, l'air "dans les nuages"...c'est ça la vraie jeunesse féminine libanaise ? Pas d'autre photo plus représentative disponible pour illustrer le titre de cet article ? - Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 18, le 24 février 2022

Retour en haut