La réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avec le ministre de la Justice, Henri Khoury, tenue en urgence mardi pour chercher des solutions aux conditions de travail déplorables des magistrats, n’a pas réussi à convaincre ces derniers de revenir sur leur décision d’arrêt de travail annoncée le 9 février par le Club des juges, et mise en œuvre mardi pour une durée d’une semaine. Sans détailler les mesures prises durant la réunion, une source proche du CSM évoque pourtant « des résultats positifs » lors des discussions auxquelles ont également participé le procureur financier, Ali Ibrahim, en sa qualité de président de la Caisse mutuelle des magistrats, ainsi que les présidents des cours d’appel et les représentants des conseils consultatifs de toutes les circonscriptions du pays, représentants dont trois sont membres de la direction collégiale du Club des juges. Si cet organisme a salué dans un communiqué publié mardi tard en soirée les efforts fournis durant la réunion pour tenter de parer aux problèmes « matériels » des magistrats, il annonce le maintien de la grève, exigeant la satisfaction d’une demande « morale », à savoir « une indépendance du pouvoir judiciaire qui lui permettrait de remplir son rôle de combattre la corruption dans le pays ».
Saper l’institution
Dans le communiqué qui avait annoncé l’arrêt de travail, le Club des juges réclame une indépendance de la justice à travers une loi prévoyant que les dix membres du CSM soient « exclusivement élus par les juges ». Or le Parlement est près d’examiner une proposition de loi qui édicte la désignation par le gouvernement de trois de ces membres, en l’occurrence le président du CSM, le procureur général près la Cour de cassation et le président de l’Inspection judiciaire. Interrogé par L’Orient-Le Jour, un magistrat estime « inadmissible » que ces derniers continuent d’être nommés par le pouvoir exécutif, soulignant « le risque d’être soumis aux ingérences de ceux qui les désignent ». Le Club des juges revendique aussi des poursuites contre « tout magistrat qui aurait négligé sa mission par suivisme ou pour servir les intérêts de telle ou telle partie ». Des poursuites dont le juge interrogé note l’absence « flagrante », déplorant le manque de mobilisation sur ce plan de l’Inspection judiciaire.
Dans l’esprit d’écarter l’hégémonie du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire, le Club des juges réclame également que les permutations des magistrats soient exécutoires, sans nécessiter un décret. On sait que le projet de permutations judiciaires établi par le CSM en mars 2020 croupit depuis cette date dans les tiroirs du président de la République, Michel Aoun, qui refuse de le signer.
Le communiqué met par ailleurs en bonne place une demande de réhabiliter les Palais de justice, aujourd’hui insalubres, en raison de la saleté et des pénuries d’eau et d’électricité. Jointe par L’Orient-Le Jour, une magistrate reconnaît que le CSM et le ministre de la Justice ont promis de faire des efforts pour pourvoir aux besoins logistiques minimaux, mais elle se demande s’ils ont les moyens de le faire, suspectant « une volonté systématique de certaines parties de saper l’institution judiciaire ». Le Club des juges réclame également le renflouement de la Caisse mutuelle des magistrats à travers une contribution financière de l’État, afin de « garantir un minimum requis pour une vie digne ». Un juge affirme à cet égard à L’OLJ que, après 23 ans de carrière, son salaire est de 6 millions de livres, soit l’équivalent de 300 dollars au taux actuel du marché de change.
Palais déserts
La paralysie qui frappe de facto la justice depuis mardi, en raison de l’arrêt de travail des magistrats, devrait donc s’aggraver durant les jours à venir, d’autant que les auxiliaires de justice observent eux aussi une grève décrétée la semaine dernière pour contester l’incapacité de l’État à satisfaire leurs revendications financières, elles aussi formulées en vue de s’assurer une vie décente. Dans un communiqué publié mardi, ces auxiliaires ont décidé de poursuivre leur mouvement jusqu’à mardi prochain et de confiner le travail dans chaque Palais de justice entre les mains d’un seul fonctionnaire, chargé d’inscrire les plaintes urgentes. Croyant pouvoir faire le suivi de leurs plaintes et formalités, nombre de justiciables et d’avocats, qui se sont rendus hier dans les divers Palais de justice, ont constaté que les greffes et salles d’audience étaient déserts. Le conseil de l’ordre de Tripoli a publié à cet égard un communiqué dans lequel, tout en soutenant les revendications des magistrats et des auxiliaires de justice, il déplore que « l’arrêt quasi total de l’action judiciaire ait un impact négatif sur les intérêts professionnels des avocats dans un contexte économique où leurs conditions de vie ne sont plus tolérables ».
EXCEPTE -LA VENDUE- !
14 h 30, le 17 février 2022