L’assignation à comparaître émise par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban Ghada Aoun, à l’encontre du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, a été à l’origine d’un sacré imbroglio qui a poussé le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, Bassam Maoulaoui, à monter au créneau en fin de journée.
Cette assignation à comparaître avait été émise le 1er février après que le gouverneur ne s’était pas présenté devant Mme Aoun, et ce pour la troisième fois, dans le cadre d’une enquête sur des accusations de détournement de fonds et de blanchiment d’argent. Il devait en effet être interrogé dans le cadre de l’enquête de la magistrate suite à une plainte déposée par plusieurs avocats du collectif « Le peuple veut la réforme du système ». Ces derniers se sont constitués partie civile et accusent le gouverneur de « détournement de fonds, enrichissement illicite et blanchiment d’argent ». Riad Salamé est aussi visé par des poursuites engagées par Ghada Aoun pour « complicité et implication dans des activités de blanchiment d’argent » dans l’affaire de la société Mecattaf pour le convoyage de fonds.
Sauf que voilà : selon des informations de divers médias locaux, que nous n’avons pas pu intégralement confirmer, Riad Salamé était introuvable hier à ses domiciles de Safra (Kesrouan) et Rabieh (Metn), ainsi qu’au siège de la BDL à Hamra (Beyrouth). D’autres informations ont rapporté qu’il était présent à son domicile de Rabieh, mais que les agents de la Sécurité de l’État n’avaient pas pu l’en faire sortir. Réagissant à ces scènes de cache-cache judiciaire dans un entretien télévisé sur une chaîne locale, la juge a déclaré qu’elle poursuivrait son travail jusqu’à « amener Riad Salamé devant la justice ».
Ni incident ni esclandre
« Selon certaines voix entendues, les personnes qui ont accueilli les agents de la Sécurité de l’État à son domicile leur ont dit qu’il était absent ; d’autres affirment que ce sont des agents des Forces de sécurité intérieure présents sur place qui ont empêché leurs homologues de la Sécurité de l’État d’emmener Riad Salamé. Ce qui semble certain, c’est que des témoins habitant dans le voisinage du gouverneur à Rabieh ont vu un véhicule des agents de la Sécurité de l’État garé devant son domicile. Ce véhicule serait resté une demi-heure sur place environ avant de repartir, sans qu’aucun incident ou esclandre n’ait lieu », raconte une source bien informée. Une autre soutient que Riad Salamé n’avait pas quitté le pays.
L’hypothèse d’une querelle entre les différents services de sécurité a en tout cas été démentie par le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, Bassam Maoulaoui, à l’issue d’une réunion du Conseil des ministres au Grand Sérail. Le haut responsable a affirmé que « les informations selon lesquelles un différend a eu lieu entre les services de sécurité au sujet de Riad Salamé sont fausses (…) Les forces de sécurité font leur devoir. Il n’y a pas eu de confrontation entre elles et la Sécurité de l’État, qui s’acquitte également de ses fonctions conformément à la loi ».
De leur côté, les FSI ont publié un communiqué dans le sillage des déclarations du ministre dans lequel elles ont explicitement assuré ne pas s’être interposées entre le gouverneur et les agents de la Sécurité de l’État, justifiant la présence de certains de leurs hommes sur les lieux de résidence de Riad Salamé par des « menaces de sécurité ». Les FSI ont ajouté que leur directeur, Imad Osman, et celui de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, s’étaient entretenus au téléphone suite à cette affaire dans le cadre de leur « coopération continue ».
Le service de presse de la BDL n’a pas réagi à nos sollicitations, dans une affaire aussi complexe sur le fond que politisée, dans le cadre duquel Ghada Aoun, réputée proche du camp politique du président Michel Aoun, a convoqué le gouverneur à plusieurs reprises, sans succès. Le haut responsable est lui-même soutenu par plusieurs leaders politiques dont le Premier ministre Nagib Mikati. En sus de ses sommations, la magistrate avait interdit début janvier à Riad Salamé de voyager et, à la fin du même mois, de disposer de ses biens immobiliers et de ses voitures, après une plainte déposée contre lui par le collectif Mouttahidoun, un groupe d’avocats. Mi-janvier, lors d’un échange de communiqués avec Ghada Aoun, le gouverneur avait pour sa part expliqué son absence en demandant la suspension de l’enquête, le temps que les autorités judiciaires compétentes statuent sur le maintien ou non dans ses fonctions de la juge, qu’il accuse de prendre ses décisions en fonction de ses affiliations politiques. Il convient de rappeler à cet égard que les sympathies aounistes de la juge sont notoires. Riad Salamé fait également l’objet d’une série d’enquêtes judiciaires à l’étranger, dont la Suisse, la France, le Luxembourg et le Liechtenstein, autour de soupçons de fraude, de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite. Selon des sources judiciaires, d’autres pays, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, considèrent l’ouverture de procédures sans toutefois avoir jusqu’à présent fait d’annonce officielle.
commentaires (8)
Aucun juge ne peut s'en sortir indemne . Chacun a ses connaissances préférentielles et donc aucun jugement ne peut échapper à l accusation d'etre impartial. C'en est fini de la justice au Liban ... Et hélas sans justice un état ne peut exister ... pessimisme...
Moussalli Philippe
13 h 39, le 16 février 2022