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Les identités aventurières


Où donc s’arrêtera le pitoyable strip-tease auquel se livre impudiquement cette harpie édentée qu’est devenu l’État libanais ? Et d’ailleurs, ce cloaque où nous vivons, est-ce bien toujours le Liban (on se pince de toutes ses forces !) ou alors un anarchique territoire ouvert à tous les vents et dont la population est lâchement confiée par ses dirigeants à la grâce du Ciel ?


Ils sont tragiquement sérieux, ils n’exagèrent pas, ils n’abusent guère de grands mots, le Vatican et les gouvernements amis, qui s’alarment régulièrement du risque de voir le Liban perdre sa singulière identité. Or cette inquiétude ne résulte pas seulement des changements démographiques – et des déséquilibres de forces – survenus dans un État qui, lors de sa proclamation il y a un peu plus d’un siècle, faisait la part belle aux chrétiens. Non, l’identité du Liban ne saurait tenir au seul fait qu’il abrite chrétiens et musulmans censés vivre en toute harmonie. Indissociable de son essence est en effet son autre, et non moins impérieuse, raison d’être : sa vocation. Et c’est bien sur ce terrain précis, celui d’un pont entre Orient et Occident, d’une aire de côtoiement entre cultures diverses, que le beau visage du Liban est l’objet des plus viles atteintes. Oui c’est surtout là que l’identité est réellement compromise ; et avec elle, faut-il craindre, l’utilité même, dans le concert des nations, d’un Liban trahissant sa destinée et que l’on voit, de surcroît, ballotté par les crises à répétition.

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Hasardeux était certes le pari; mais il faut reconnaître aussi que le Liban, pays-refuge pour les opprimés (cette autre facette de sa mission), aura été fort mal payé de retour. Libéral et hospitalier, mais manquant du muscle nécessaire pour assumer et régenter tant de beaux sentiments, le Liban s’est vu héberger, bien malgré lui, tous les damnés de la terre, et jusqu’aux radicaux érythréens, japonais, irlandais ou allemands. De cette époque, celle des années soixante, date la cassure entre deux perceptions antinomiques, absolument inconciliables, de l’entité et de la personnalité libanaises. Beyrouth-Hanoï, fer de lance du militantisme arabe ou Beyrouth-Hong Kong naturellement voué aux affaires et au tourisme ; touchantes de candeur paraissaient dès lors, en comparaison, les nostalgies françaises ou syriennes qui opposaient les pères fondateurs de la République.


Mais enfin quelle étiquette convient-il de donner à une terre où règne la pagaille politique, institutionnelle, judiciaire, financière et socio-économique, et qui n’a franchement rien de Hanoï ni de Hong Kong, et encore moins de Monte-Carlo? Après les opposants saoudiens, ce sont leurs collègues bahreïnis que vient d’accueillir en congrès le Hezbollah, bravant ainsi pour la deuxième fois un catégorique interdit officiel et faisant fi des efforts d’apaisement déployés par Beyrouth auprès des monarchies du Golfe; à quand donc un joyeux jamboree koweïtien, qatari, émirati ou omanais dans la banlieue sud de Beyrouth ? Une autre interrogation s’impose d’ailleurs, à l’heure où le gouvernement sue sang et eau pour financer un projet de replâtrage du réseau électrique : que peut valoir tout expédient quand l’État demeure impuissant à collecter les quittances et à supprimer les branchements illicites dans les quartiers protégés ?

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Parlant de courant, force est d’admettre que celui-ci n’a jamais vraiment passé entre les divers organismes sécuritaires libanais. Jamais auparavant toutefois, la force publique et l’appareil judiciaire n’ont connu de plus incroyable pantalonnade que celle dont la banlieue chic de Rabieh était le théâtre hier. On croyait pourtant avoir tout vu, dans un pays où la justice est objet de polémique et où le refus de comparaître des puissants pris en faute est devenu monnaie courante. Or c’est précisément le gardien vivement contesté de notre exsangue monnaie nationale que venaient emmener, auprès de la vibrionnante juge Ghada Aoun, les hommes de la Sécurité de l’État, organisme à la dévotion de la présidence de la République ; ils en étaient empêchés par ceux des FSI assurant la protection du gouverneur de la Banque du Liban, et dont la loyauté – autre aberration du système sécuritaire libanais – va au mouvement du Futur.


Manquait encore à nos misères une jolie guerre des polices impliquant, cette fois, les plus hautes sphères de l’État. Voilà la lacune comblée, mais vous pouvez compter sur la fabuleuse capacité d’imagination des responsables : ce serait bien le diable s’ils ne trouvaient pas toujours mieux.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Où donc s’arrêtera le pitoyable strip-tease auquel se livre impudiquement cette harpie édentée qu’est devenu l’État libanais ? Et d’ailleurs, ce cloaque où nous vivons, est-ce bien toujours le Liban (on se pince de toutes ses forces !) ou alors un anarchique territoire ouvert à tous les vents et dont la population est lâchement confiée par ses dirigeants à la grâce du Ciel ?...