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Dix ans d’inaptitude

Obnubilés qu’ils sont par les jeux de la politique politicienne, les hommes qui nous gouvernent ont-ils jamais eu le temps, ou même l’idée, de lire Proust ? Probablement pas. Et c’est bien dommage, à l’heure en effet où la frénétique recherche du temps perdu est devenue, pour le Liban, affaire de vie ou de mort. Aurait-on plus de chance alors avec La Fontaine et son impérissable un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ?


Ces sages conseils, Amos Hochstein, médiateur en chef américain entre notre pays et Israël sur la délimitation des frontières maritimes, ne s’est pas embarrassé de réminiscences littéraires pour les prodiguer aux dirigeants libanais, qu’il est venu rencontrer ces derniers jours à Beyrouth. Pour expert mondial des questions énergétiques que soit ce personnage, on ne prendra pas tout son discours pour argent comptant. Jouissant de la double citoyenneté américaine et israélienne (il a même servi dans les rangs de Tsahal), Hochstein ne saurait évidemment incarner l’honnête et impartial courtier US. En revanche, un accord obtenu à l’arraché, là où de prestigieux diplomates yankees se sont cassé les dents, serait, pour le fringant Amos, le fleuron d’une carrière déjà fort prometteuse; pour l’administration Biden, ce serait aussi un appréciable succès diplomatique, même s’il ne fait tout de même pas le poids face aux Accords Abraham arrangés par Donald Trump entre Israël et des royaumes arabes du Golfe.


Là où Hochstein tape dans le mille, c’est quand il insiste sur le caractère d’urgence, d’immédiateté même, que devrait revêtir, pour un État libanais quasiment failli, un providentiel accès à ses richesses en hydrocarbures dormant sous la Méditerranée. Car même s’il n’est pas bien loin du chantage, l’argument développé dans une longue interview télévisée est imparable hélas. Il peut se résumer comme suit : une décennie entière a déjà été perdue en stériles pourparlers ; le Liban, s’il le souhaite, peut très bien en passer une autre à chicaner, pinailler, ergoter pour que soit satisfait, dans son intégralité, ce qu’il estime être son bon droit ; mais il se sera privé entre-temps de ressources en tout point vitales, à l’heure où la dérive de ses services publics et l’absence de réformes – électricité en tête – rend illusoire l’espoir d’un redressement rapide ; d’où la nécessité impérieuse d’un compromis sur la zone litigieuse, forcément définie par la ligne de référence déclinée au stade de la case départ.


C’est un fait que la notion d’urgence n’a jamais réussi à percer les brumes encombrant les cerveaux au pouvoir. Dans le traitement de la crise domestique comme dans la négociation sur les gisements de gaz et de pétrole, les dirigeants libanais se sont invariablement comportés comme s’ils avaient toute la vie devant eux, comme si la population ne manquait de rien. Alors que nos voisins allaient vite en besogne, ils se sont querellés comme chiffonniers sur le tracé (et même la préséance) des blocs d’exploitation, camouflant leurs visées scandaleusement affairistes derrière des considérations sectaires d’équilibre communautaire. Se livrant à de pitoyables gesticulations télévisées, ils ont mensongèrement claironné l’historique passage de cette république bananière qui est la nôtre au rang de pays producteur de pétrole.


Mais surtout, le Liban officiel demeure, à ce jour, privé d’une position commune par rapport à la folle valse des lignes appelées à fixer la limite méridionale de notre aquatique petit arpent du bon Dieu. Après avoir défendu des thèses maximalistes, les militaires viennent d’annoncer qu’ils se conformeront à toute décision des autorités politiques. Le Hezbollah a fait de même, apparemment rassuré quant à l’ incurable inertie des mêmes autorités, minées par les divisions. Dans la foulée cependant, Hassan Nasrallah ne se sera pas privé de critiquer l’armée pour ses rapports, jugés excessivement amicaux, avec les Américains.


Si bien qu’on est en droit de se demander avec Amos Hoschstein : quand surgira enfin des flots bleus l’appétissante pomme pétrolière, le Liban aura-t-il encore des dents pour la croquer ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Obnubilés qu’ils sont par les jeux de la politique politicienne, les hommes qui nous gouvernent ont-ils jamais eu le temps, ou même l’idée, de lire Proust ? Probablement pas. Et c’est bien dommage, à l’heure en effet où la frénétique recherche du temps perdu est devenue, pour le Liban, affaire de vie ou de mort. Aurait-on plus de chance alors avec La Fontaine et son impérissable...