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Pièces de résistance


Les spécialistes de la publicité vous le confirmeront : les plus percutants des slogans, mots-clés et autres hashtags sont souvent formés des termes les plus simples. Et même les plus familiers, les plus communs, les plus triturés, éculés, galvaudés, exploités, les plus intensivement passés à l’essoreuse. Celui de résistance est un de ces fourre-tout, et s’il en est question ici aujourd’hui, c’est parce qu’il vient de s’ajouter au fouillis de cocardes électorales brandies çà et là, à l’approche des législatives programmées pour la mi-mai. Or, pour une fois, l’initiative n’en revient pas à ceux qui, depuis des décennies, nous rebattent les oreilles avec ce mot, dont ils croyaient s’être assuré le droit d’usage exclusif.


Ce n’est pas pour lui faire de la réclame, mais Beyrouth résiste est le nom que s’est donné un collectif laïc et de gauche, issu de la rébellion populaire d’octobre 2019. Le choix de l’appellation vise clairement ces droits d’auteur exclusifs dont se réclame abusivement le Hezbollah, même si ces contestataires n’épargnent guère pour autant les Forces libanaises de Samir Geagea.


Il faut dire qu’à force d’être assaisonné à toutes les sauces, ce copyright ne pouvait plus tromper grand monde. Il y a longtemps en effet que la milice pro-iranienne a délaissé la confrontation avec Israël pour les champs de bataille de Syrie ou du Yémen. Au plan strictement militaire, sa résistance se réduit, en somme, à combattre tout ce qui résiste à l’expansion régionale de la République islamique. C’est au niveau interne, en revanche, que s’élargit considérablement l’éventail, et que le Hezbollah montre volontiers à qui peut en douter ce que résister veut dire.


Forte de son arsenal, la milice résiste farouchement (admirablement, serait-on tenté d’écrire) au règne de la loi et de la justice, notamment dans l’affaire de la cataclysmique explosion de 2020 dans le port de Beyrouth. Elle résiste avec autant d’ardeur à la mise sur les rails d’un redressement financier du Liban passant nécessairement par une négociation avec le Fonds monétaire international. Elle résiste aux réformes, elle résiste même à la lutte contre cette corruption grâce à laquelle des dirigeants corrompus restent invariablement sous sa coupe. Et c’est précisément là que s’emballe et s’affole la distribution des prix de résistance.


Celle de l’infortuné peuple libanais est légendaire, c’est bien entendu. Le voilà en effet qui endure stoïquement les plus cruelles des injustices, qui se fait voler jusqu’à ses espérances par des dirigeants scélérats, puis se fait arnaquer à la banque ou au supermarché. C’est sur lui qu’on se paie à tous les coups ; la bête n’a plus que la peau sur les os, et c’est à sa peau que l’on en veut encore. Époustouflante, en vérité, est la détermination des Libanais à surnager quand même ; sidérant est, par contre, le fatalisme qui, entre deux démonstrations de rue, pousse nombre d’entre eux à s’adapter, vaille que vaille, aux situations les plus insensées. Où finit l’endurance, où commence la résignation, la question a été posée plus d’une fois dans ces mêmes colonnes. Voilà pourquoi nous ratons, tous ensemble, le premier prix de résilience. Pire encore, ce sont nos tourmenteurs qui raflent le pot.


La malgouvernance de ces derniers est universellement décriée, leurs rapines sont recensées au million de dollars près, leurs noms sont chaque jour traînés dans la boue, mais ces champions de la survie politique n’ont même pas fait mine de dételer, et encore moins de détaler. Les hommes au pouvoir peuvent se tirer dans les pattes, se poignarder dans le dos, aller même jusqu’à s’armer des foudres de la justice pour menacer leurs rivaux. Mais ils savent bien, au fond, qu’ils sont tous embarqués dans la même galère. Que dans l’état d’effritement qui est aujourd’hui celui du pays, nulle communauté religieuse n’accepterait de voir l’un de ses notables servir de bouc émissaire et payer pour les autres. Que la charrette, si seulement elle vient à passer, est là pour tous, ou alors pour personne…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Les spécialistes de la publicité vous le confirmeront : les plus percutants des slogans, mots-clés et autres hashtags sont souvent formés des termes les plus simples. Et même les plus familiers, les plus communs, les plus triturés, éculés, galvaudés, exploités, les plus intensivement passés à l’essoreuse. Celui de résistance est un de ces fourre-tout, et s’il en est question...