Le Liban est devenu une jungle… Enfin, il l’a toujours été. Ce doux bordel avait quelque chose de touchant et, le temps passant, on avait fini par s’habituer à ce système, en somme, bien organisé. Un système qui lorsqu’on avait passé quelque temps à l’extérieur du pays avait étrangement fini par nous manquer. Ces conducteurs qui prenaient allègrement des sens interdits ; les tfinget pour faciliter certaines formalités dont les fonctionnaires profitaient en toute impunité ; la volonté d’arnaquer un système qui faisait de même. Mais aussi la possibilité de payer le lendemain certains produits chez le dekken du coin, sans y ouvrir un crédit parce que le propriétaire nous faisait confiance ; les petites wasstat pour rentrer dans un club ; et profiter d’un système corrompu sans pour autant participer à ce braquage à grande échelle, puisqu’au final on ne nous avait pas vraiment donné le choix.
Sauf que la jungle est régie par une loi. Loi que nous n’avons pas. Loi que plus personne ne respecte aujourd’hui. Le Liban n’est plus une jungle, mais une anarchie où chacun fait sa loi. Ni Dieu ni maître, mais pas au Liban, chacun se battant au nom d’un dit-Dieu qui s’apparenterait plus au Diable, ou pour le compte d’un maître (le zaïm en l’occurrence) en lequel il a la naïveté de croire. Et les images que nous voyons désormais tant sur les chaînes de télé que sur les réseaux sociaux font peur. Qu’est-on devenu pour jeter dans la rue des employées de maison, sans argent ni nourriture, après leur avoir confisqué leur passeport et privé de leurs droits. On quitte un emploi, on ne s’enfuit pas. Qu’est-on devenu pour attraper par les cheveux une jeune femme, également employée de maison, et la traîner, en plein jour, dans les rues de la ville ? Qu’est-on devenu pour torturer à mort des animaux sans défense en riant avec fierté de cette action abjecte ? Pour abattre un dentiste parce qu’on n’a pas aimé les dents de sa fiancée ? Et, depuis quelque temps, pour lyncher publiquement des concitoyens sous prétexte qu’on n’a pas aimé leurs vidéos sur Instagram. Pour s’en prendre à des organismes qui se battent pour le changement en étalant des faits non vérifiés et mensongers, dans le seul but d’avoir ces fameuses quinze minutes de célébrité. Pour critiquer les faits et gestes de n’importe quelle personne lambda parce que la haine qui nous habite est devenue incontrôlable. Pour mettre le feu à une forêt, emmagasiner des médicaments de première nécessité ou du lait pour bébés en vue de faire grimper leurs prix ; faire payer quelques 200$ pour 10 malheureux ampères et 15 heures d’électricité par jour à des gens qui crèvent de faim ; pour renvoyer des enfants de leur école parce que les parents n’ont plus les moyens de payer leur scolarité, laisser les gens crever de froid dans des habitations insalubres ou empêcher, bien évidemment, les gens de disposer de leur argent, et plus récemment en les empêchant de déposer ou de retirer leurs misérables livres libanaises.
Impuissants et frustrés de ne pouvoir faire tomber ce régime de criminels, nous nous en prenons désormais aux autres. Nous sommes devenus des cannibales, tour à tour haineux, racistes, bigots, misogynes, homophobes, intolérants, esclavagistes, islamophobes, ignorants et, surtout, animés d’un sentiment de supériorité incompréhensible. Nous sommes malades. Porteurs d’un virus contagieux et anthropophage. Nous avons atteint le plus bas de ce qu’est l’humanité. Nul besoin de mentionner que nous ne sommes pas tous de cette race-là, fort heureusement, mais la romantization du peuple libanais, de sa générosité et de son hospitalité, n’est pas d’actualité. Mais force est de constater que la violence, qu’elle soit verbale ou physique, a pris le dessus.
Aujourd’hui, encore plus qu’hier, nous nous devons d’accepter que nous nous sommes fait avoir et qu’ils sont les créateurs de ce que nous sommes devenus. Qu’ils aient fait de nous des monstres… à leur image, et que c’est exactement ce qu’ils voulaient. En reconnaissant que nous sommes en état de perdition, nous réussirons, emmenés par ceux qui n’ont pas plié face à leurs manipulations, à nous relever, à relever notre pays, mais surtout à nous réconcilier les uns avec les autres, parce que quoi que l’on dise, et malgré nos différences, nous sommes le même peuple.
Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.
Épisode du 23 janvier avec Riad Kobaissy
commentaires (11)
remplir pour ne rien écrire. je ne suis jamais tombé sur un article qui ose dire, un article courageux vif et qui gifle. un article qui frappe a la figure à chaque personne concernée, chaque traitre a la nation, chaque profiteur, chaque lâche. Notre patrie est défigurée et ne représente plus qu’un mépris et un dénigrement international. Les fils et les filles de cette pauvre République millénaire ont juste pris la fuite, nos amis ont disparus avec amertume et desolation, pitié et tristesse; chassés de chez eux. Une population macabre a pris leurs places, des responsables dégueulasses, sales et encore dégueulasses sont ancrés. l’invasion barbare sadique de ces mécréants ne choque plus personne, et personne n’ose en parler. Les journalistes sont laches et a la merci de la tribu oligarque au pouvoir. ce pays si vivant, si heureux, si vif, ce pays qui avait la tete si haute et si courageux, respecté de par tous les Rois du monde. Cette perle du monde. Ce pays est devenu un dépotoir a ciel ouvert. Ces pauvres montagnes ensevelies, cette pauvre mer qui suffoque, ces paysages urbains encore devenus dégueulasses, cet heritage urbain qui faisait la fierté de notre identite écrasé. Nos poètes, nos chanteurs, nos danseurs ont disparu. Nos festivals ont disparu. Notre musique si unique a disparu. Nos valeurs et nos coutumes ont disparu. Ce n’est la faute a personne. Nos administrations publiques sont salies, délabrées et souillées. Les journalistes ne sont que des laches, honte a vous.
Abdallah Barakat
21 h 22, le 04 février 2022