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Culture - Exposition

« How will it end ? » se demandent 40 artistes libanais à Bruxelles

La Fondation Boghossian propose à ses visiteurs un accrochage rassemblant plus de 100 pièces révélatrices de la scène artistique libanaise contemporaine. Louma Salamé, directrice de la villa Empain et commissaire de l’exposition « How will it end ? » avec Alicia Knock du Centre Pompidou, évoque avec ferveur le succès d’un projet original et ambitieux.

« How will it end ? » se demandent 40 artistes libanais à Bruxelles

Louma Salamé, directrice générale de la villa Empain. Photo Marie Russillo

Les explosions du 4 août sont-elles le point de départ de cette proposition artistique riche qui tend à mettre en valeur les œuvres les plus récentes d’une quarantaine d’artistes libanais contemporains à la villa Empain, siège de la Fondation Boghossian à Bruxelles ? Louma Salamé, directrice des lieux, acquiesce et insiste sur une volonté de réagir au plus vite pour venir en aide aux Libanais, juste après le sinistre, une perspective philanthropique qui renoue avec la mission première de la Fondation. « Dès le lendemain, la Fondation a fait don d’un demi-million de dollars pour financer des bourses scolaires et de l’aide de première urgence. En parallèle, nous avons sollicité notre public, qui a été très généreux, et avons pu soutenir différentes associations humanitaires sur le terrain. Puis le Centre Pompidou nous a exprimé sa volonté de monter un projet commun afin de montrer au public sa très belle collection d’artistes libanais. Nous nous sommes lancés dans le projet, avec entre autres Alicia Knock. » Les deux responsables artistiques ont alors rencontré des artistes à Beyrouth, mais aussi à Paris, Amsterdam et autres, afin de découvrir et rassembler les œuvres les plus récentes. Presque toutes les pièces proposées ont été créées après le mouvement de contestation d’octobre 2019. « Nous avons souhaité faire une photographie de la scène contemporaine et nous demander dans quelle mesure l’actualité libanaise impacte la création des artistes, de façon directe ou indirecte », précise celle qui est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

Mounira al-Sohl, « Lackadaisical Sunset to Sunset », 2021. Avec l’autorisation de la Fondation Boghossian

Au cœur de la maison Art déco magnifiquement restaurée, Louma Salamé est chargée de la programmation culturelle, de l’organisation de différents événements et des résidences d’artistes. « On reçoit des artistes du monde entier, dont par exemple Maha Yammine et Marwan Moujaes, le mois dernier. La villa Empain a déjà présenté les travaux de plusieurs artistes libanais, comme Gregory Buchakjian ou l’écrivain Olivier Rohe, mais jamais avec une telle ampleur. À travers une centaine de pièces réalisées par 40 artistes, il s’agit de présenter de manière intergénérationnelle l’exigence de leur création et la survivance de leur travail », ajoute la jeune femme, qui se dit ravie de la réception enthousiaste d’une exposition qui a ému son public depuis son inauguration début décembre 2021.

Ayman Baalbaki, « Sans titre ». Photo DR

Une scénographie inventive qui interroge le réel et sa représentation

« Le parcours proposé est thématique : pour commencer, plusieurs artistes semblent documenter le réel malgré eux, avec Ayman Baalbaki qui a peint les silos du port le jour du 4 août, et les aquarelles de Lamia Ziadé, en face, qui sont des portraits de toutes les victimes, extraits de son livre Mon port de Beyrouth. Bettina Khoury a quant à elle représenté les cieux de Beyrouth qui s’obscurcissent », décrit Louma Saadé, qui explique que le titre de la séquence suivante, « Images latentes », est celui d’une pièce de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, d’ordinaire conservée au Centre Pompidou. Cette deuxième partie rassemble des œuvres qui suggèrent que même avant les explosions, le drame était déjà présent. « Nous attendions l’apocalypse et enfin l’apocalypse est venue », écrit Grégory Buchakjian. Le travail de Stéphanie Saadé suggère lui aussi que le tragique était déjà présent avant de se manifester. « Puis on parle de l’histoire à travers le prisme des objets, ajoute Salamé, et l’idée très orientale qu’ils ont une âme, avec des artistes qui s’intéressent à la dimension patrimoniale de leur terre. Cette section s’intitule “La permanence de l’impermanence”, elle met en valeur la vulnérabilité du pays dans sa matérialité. Ainsi, Dala Nasser a fait une vidéo où elle saisit l’empreinte des colonnes de Tyr ; Ali Cherri, lui, a réalisé deux sculptures magnifiques, Staring at a Thousand Splendid Suns. Il y a l’idée d’un éternel recommencement et d’un patrimoine qui assiste à sa destruction. Paola Yacoub est l’auteure d’une série sur le territoire, dont le titre, How will it end is not the question, nous a inspirés pour nommer notre exposition », ajoute la directrice de la villa Empain, qui insiste sur le point de basculement de la scénographie de l’exposition, où le domestique l’emporte sur les événements extérieurs.

Mireille Kassar, « Children of Uzaï – Anti Narcissus », 2014, Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, Paris.

« On peut citer le travail de Maha Yammine et sa vidéo où on la voit jouer aux cartes avec sa famille, mais les cartes sont blanches : il y a l’idée de reproduire des rituels, dans l’indifférence de ce qui se passe autour. On peut aussi admirer les céramiques de Samar Mogharbel ou les collages de la jeune Maria Kassab. Plusieurs artistes ont quitté la ville de Beyrouth pour s’installer dans leur village natal, c’est ce qu’évoque Rami Talleh, qui a cessé de peindre à l’acrylique et qui s’est mis à brûler ses propres pigments : la situation l’a amené à changer ses pratiques. Omar Fakhoury, comme bien d’autres, a arrêté de créer pendant plusieurs mois après les explosions, et c’est en constatant qu’un plant de maïs avait germé dans les décombres des silos qu’il s’est mis à peindre à nouveau. Ce motif qu’il a peint est une manière indirecte de parler de l’exigence de la création. On peut aussi admirer des œuvres de Simone Fattal et Ettel Adan, et une très belle vidéo de Mireille Kassar où des enfants jouent dans la mer à Ouzaï : c’est un moyen de rappeler le soleil qu’on porte en nous et les plaisirs simples que le pays peut encore offrir », commente Louma Saadé. Une performance, réalisée spécialement pour l’exposition par Abed al-Kadiri, semble avoir été particulièrement appréciée par les visiteurs. « Il s’agit d’une surface sombre installée dans un escalier, que le public est invité à venir gommer, pour faire apparaître des oiseaux blancs. En vis-à-vis, sont disposés ses dessins des manifestations d’octobre », conclut celle qui a su mettre en valeur une scène artistique foisonnante, dans un joyau architectural de Bruxelles.

Les explosions du 4 août sont-elles le point de départ de cette proposition artistique riche qui tend à mettre en valeur les œuvres les plus récentes d’une quarantaine d’artistes libanais contemporains à la villa Empain, siège de la Fondation Boghossian à Bruxelles ? Louma Salamé, directrice des lieux, acquiesce et insiste sur une volonté de réagir au plus vite pour venir en aide...

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