Le point de vue de... Le point de vue d'Antoine Messarra

Historiographie bornée et pédagogie de l’État

Historiographie bornée et pédagogie de l’État

D.R.

Il y a des historiens reconnus qui ont écrit à l’occasion du centenaire de l’État du Grand Liban de 1920. Je ne vais pas les contester sur le plan de l’investigation historique, mais sur un autre plan, celui du bon sens élémentaire.

1. N’est-il pas normal, parfaitement normal pour des habitants du Liban en 1920, et je ne dis pas de Libanais, après quatre siècles d’occupation ottomane, d’hésiter à propos de quel choix, quelle option ? Comme une personne qui voudrait s’engager en mariage. Elle hésite, réfléchit, peut-être tergiverse. Son épouse, après cinquante ans et même un siècle de mariage, réussi ou non réussi, va-t-elle l’accuser d’avoir un peu hésité, trop hésité, pas suffisamment hésité ? À quoi ça sert ? Quel intérêt ? Quelle logique élémentaire ?

2. Des historiens qui fouillent encore et toujours dans les attitudes des habitants du Liban en 1920 pour dénicher ce que tel chrétien ou tel musulman voulait ou ne voulait pas, pourquoi présupposent-t-ils qu’une autre option que celle de l’État (sic) du Grand Liban de 1920 aurait été viable, mieux viable, ou moins déplorable ?

Nombre d’écrits ne sont pas de l’historiographie scientifique. C’est du camouflage de position politique à propos de l’identité même du Liban. C’est de l’idéologie qui exploite le passé pour le projeter sur le présent ! L’ouvrage récent d’Antoine Hokayem apporte des éclairages inédits sur les pressions exercées par les autorités occupantes sur plusieurs représentants communautaires (Kira’a fi mawaqif fa’illiyat al-tawa’if min dawlat Loubnan al-Kabîr, USEK, librairie Le Point, 2021).

Quel historien suisse sérieux va-t-il se concentrer sur les trois premiers cantons suisses ? Quel Américain va-t-il rêver des premières provinces américaines ? Quel Français va-t-il déplorer l’annexion de l’Alsace ou la Lorraine ? Perte de temps, inutile.

Un travail de mémoire commence par une remise en question radicale d’une historiographie à fleur de peau. Un travail en profondeur a été entrepris dans le cadre du Plan de rénovation pédagogique au Centre de recherche et de développement pédagogiques sous la direction du professeur Mounir Abou Asly en 1996-2002, notamment dans le cadre des deux commissions, Éducation civique et Histoire. Le travail sur les programmes d’histoire a été publié au Journal officiel en plus de 90 pages à la suite du décret approuvé à l’unanimité du Conseil des ministres et avec le soutien de toutes les institutions éducatives (Décret no 3175, 8 juin 2000, Journal officiel, no 27, 22/6/2000, pp. 2114-2195).

La mise en application a été ensuite sabotée ! Il ne convient pas à l’autorité occupante, ni à des idéologues, de remédier à desmémoires fragmentées propagées par des intellectuels sans connaissance élémentaire de la psychologie historique et de l’histoire des mentalités, ni à des idéologues qui se couvrent de scientificité historique.

Dans les nouveaux programmes d’Histoire, il est expressément souligné l’exigence d’enseigner l’histoire de « tout le Liban », et non d’une partie du Mont-Liban. Il est aussi souligné, en vue d’une perception globale de l’interaction et de la solidarité interrégionale, qu’il faut relater les événements importants dans leurs répercussions sur l’ensemble du territoire national.

N’accusons pas tellement le Libanais moyen de manquer d’allégeance, d’appartenance, de solidarité nationale, c’est-à-dire globale des 10 452 km2. Où est la culture, ou plutôt l’inculturation, de l’État (sic) du Grand Liban ? Pour répondre à cette lacune dans la psychologie historique, la culture vraiment nationale et la pédagogie de l’État, l’association Gladic (Groupement libanais d’amitié et de dialogue islamo-chrétien), en coopération avec la chaire Unesco d’étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue à l’Université Saint-Joseph, et d’autres institutions, organise des séminaires et des concours interscolaires dans plusieurs écoles au Liban. Il s’agit de retrouver les pères fondateurs et les valeurs républicaines du Liban des années 1920-1943 pour la mémoire collective et partagée de demain.

Il y a des historiens reconnus qui ont écrit à l’occasion du centenaire de l’État du Grand Liban de 1920. Je ne vais pas les contester sur le plan de l’investigation historique, mais sur un autre plan, celui du bon sens élémentaire. 1. N’est-il pas normal, parfaitement normal pour des habitants du Liban en 1920, et je ne dis pas de Libanais, après quatre siècles d’occupation...

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