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Monde - Éclairage

Un mois après la révolte, le Kazakhstan à l’ombre du grand frère russe

Il y a presque un mois, des manifestations sans précédent se sont emparées du Kazakhstan avant de se muer en émeutes, provoquant les troubles les plus graves qu’ait connus le pays depuis son indépendance en 1991.

Un mois après la révolte, le Kazakhstan à l’ombre du grand frère russe

Fragment d’une œuvre d’art représentant le premier président du Kazakhstan, Noursultan Nazarbaïev, qui a été enduite de boue lors des récentes manifestations déclenchées par l’augmentation du prix du carburant, sur une place à Almaty, au Kazakhstan, le 11 janvier 2022. Pavel Mikheyev/File photo/Reuters

C’était en 1986. Dans l’URSS agonisante, la ville d’Alma-Ata est en ébullition. Des milliers d’étudiants s’emparent spontanément des rues de celle qui était alors la capitale de la République du Kazakhstan. En cause : la nomination de Gennadiy Kolbin, natif de Russie, à la tête du parti communiste local. Un parachuté, sans aucune attache à la terre, et venant, de surcroît, prendre la place d’un homme du cru, Dinmukhamed Kunaev. Face à l’arrogance de Moscou, la population kazakhe se soulève, avant d’être réprimée dans le sang. La tragédie est connue sous le nom de « Zheltoksan », ou décembre en kazakh. Et jusqu’à présent, d’aucuns la considèrent comme l’un des moments fondateurs du dernier chapitre soviétique.

Si l’histoire ne se répète jamais, la séquence politique qui s’est jouée au début du mois dernier au Kazakhstan – avec le déclenchement d’une contestation sans précédent dans le pays – convoque des souvenirs : l’ampleur du phénomène ; le tournant qu’il représente ; la puissance de Moscou. En filigrane, c’est le mythe d’un modèle de stabilité en Asie centrale qui vole en éclats, avec deux dynamiques à l’œuvre. D’une part, une population qui n’en peut plus des inégalités sociales et de la pauvreté dans un pays riche en hydrocarbures, premier producteur au monde d’uranium et de chrome, qui compte parmi les centres mondiaux du minage de bitcoins, où l’opulence d’un pouvoir autocratique et ultracorrompu est affichée avec ostentation. De l’autre, une lutte de clans au sommet qui semble, là aussi, marquer la fin d’une époque. Presque un mois après, le Kazakhstan ne fait plus la une des journaux et les craintes d’une intervention russe à plus grande échelle semblent avoir été dissipées. Mais le calme reste fragile. Les raisons de la colère sont toujours là, galvanisées par les violations des droits humains commises contre les contestataires.

«  Ivrognes  » et «  terroristes  »

Les manifestations pacifiques qui éclatent à partir du 2 janvier dans l’ouest du pays pour protester contre la hausse brutale du prix du gaz liquéfié gagnent rapidement la plupart des grandes villes et mêlent des demandes politiques aux revendications économiques initiales. Mais elles se muent vite en émeutes auxquelles le pouvoir répond par une répression dont la férocité va crescendo. Pour nombre d’analystes, la contestation a été détournée par une violence organisée, illustratrice de dissensions au sein de l’élite kazakhe entre le président en fonction, Kassym-Jomart Tokaïev, et son prédécesseur, le mégalomane Noursoultan Nazarbaïev. Certes, ce dernier a officiellement démissionné en 2019 – après trente ans de règne autocratique – en prenant soin de nommer son successeur. Mais en coulisses, l’autoproclamé «  père de la nation  » a conservé une redoutable influence.

Depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, jamais le pays n’avait connu troubles plus graves. Le bilan humain est lourd : près de 225 morts officiellement reconnus, des milliers d’arrestations, des personnes toujours à la recherche de leurs proches.

En plus de trente ans, certains éléments de langage n’ont pas changé. En 1986, les étudiants avaient été étiquetés «  ivrognes  », «  toxicomanes  » ou encore «  hooligans  ». En 2022, les manifestants sont des «  bandits  » et des «  terroristes  » formés à l’étranger. Et Moscou veille toujours au grain, même s’il le fait selon des modalités différentes. À l’appel de Tokaïev – qui avait ordonné aux forces de sécurité de «  tirer pour tuer, sans sommation » –, le grand frère russe envoie ses troupes le 6 janvier dans son ancienne «  province  » pour une opération de maintien de la paix, par le biais de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Le message est clair : Moscou soutient Tokaïev. Nazarbaïev voulait en faire une marionnette, le Kremlin l’a adoubé, ouvrant la voie à une purge au sein de l’État. L’ancien président et son entourage sont écartés, notamment des postes-clés de l’appareil sécuritaire. Vendredi dernier, Kassym-Jomart Tokaïev a pris la tête du parti au pouvoir, Nour Otan – seule véritable formation politique dans le pays. Hier, le maire d’Almaty a été limogé.

Prisme colonial

L’intervention de Moscou – bien que de courte durée – est hautement symbolique. Elle s’est déroulée dans un contexte particulièrement tendu, les Occidentaux accusant le Kremlin d’amasser des dizaines de milliers d’hommes à la frontière entre la Russie et l’Ukraine. Et même si les circonstances sont tout autres, elle résonne avec l’annexion en 2014 de la Crimée, en Ukraine, et avec l’appui aux séparatistes dans le Donbass frontalier.

La Russie postsoviétique n’a toujours pas fait le deuil d’une partie de ses territoires perdus. Déjà à l’orée des années 90, l’écrivain Alexandre Soljenitsyne, figure de proue de l’opposition intellectuelle au totalitarisme soviétique, avait exhorté Moscou à créer un nouvel État slave qui réunirait la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et les zones russifiées du Kazakhstan. Le président russe Boris Eltsine exprimait quant à lui la volonté d’étendre les frontières de la nouvelle Russie à toutes ces régions. «  Dans les années 1990, des mouvements sécessionnistes dans le nord du Kazakhstan, notamment à Oskemen en 1999-2000, cherchaient à unir ce territoire à la Russie  », rappelle Kristoffer Rees, spécialiste du nationalisme et du postcommunisme en Asie centrale.

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Des épisodes qui ont pu nourrir les angoisses existentielles d’un État en construction. C’est d’ailleurs l’une des raisons – pas la seule – qui ont amené le gouvernement kazakh à bâtir en 1997 une nouvelle capitale, délaissant Almaty pour Astana – rebaptisée, en 2019, Noursoultan – 1 000 km plus au nord. Les autorités espéraient ainsi provoquer des migrations kazakhes pour modifier l’équilibre démographique dans les zones proches de la Russie. «  Les politiques de nationalité après l’indépendance, combinées à la rhétorique officielle et au sentiment populaire, ont contribué à l’émigration des populations d’origine slave, un phénomène qui se poursuit  », explique Kristoffer Rees. «  Aujourd’hui, les Kazakhs constituent la majorité et composent près des deux tiers de la population. C’est un processus qui s’accélère. Ils sont en moyenne plus jeunes que les Russes, dont la proportion a grandement décliné  », commente de son côté Azamat Junisbai, professeur associé de sociologie au Pitzer College en Californie et spécialiste du Kazakhstan. La population d’origine russe s’élève désormais à moins de 20 % dans un pays de 18 millions d’habitants qui compte plus de 130 groupes ethniques.Ce bruit de bottes russes s’est ainsi fait l’écho d’une histoire tourmentée. «  L’arrivée de l’armée russe, même si elle a eu un effet de stabilisation sur le court terme, n’est pas bien perçue par une partie significative de la société kazakhe du fait du prisme colonial. Cela fait peur et ravive des souvenirs douloureux  », avance Vera Ageeva, professeure associée à la Higher School of Economics, à Saint-Pétersbourg. Les bouleversements démographiques qu’a traversés le pays tout au long du XXe siècle en témoignent. En 1989, à la veille de l’indépendance, les Kazakhs ne forment que 40 % de la population, tandis que 38 % est d’origine russe. « Dans les années 20, il y avait près de 58 % de Kazakhs et près de 20 % de Russes. Dans les années 70, ces chiffres s’élevaient respectivement à 32 % et 42 %  », souligne Vera Ageeva. Le résultat des politiques soviétiques de collectivisation forcée extrêmement brutales ayant mené à la destruction du mode de vie traditionnel nomade et des moyens de survie. Les mémoires croulent encore sous le poids de la famine de 1930-1932. À quoi se conjugue également l’opération terres vierges élaborée dans les années 50 par Khrouchtchev et fondée sur la migration de millions de ressortissants issus des autres républiques – à commencer par la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine – vers le Kazakhstan, pour y défricher les steppes du nord.

Multivectorielle, multiculturelle

Malgré tout, le Kazakhstan n’est ni la Géorgie ni l’Ukraine. Les revendications des contestataires se sont ainsi focalisées sur des enjeux économiques et politiques intérieurs. Il n’est question ni de remettre en cause les liens avec la Russie ni de rejoindre l’OTAN ou l’Union européenne. Qui plus est, les élites ont, tout au long des trois dernières décennies, joué la carte de l’équilibre en misant, dans leurs relations extérieures, sur une approche dite multivectorielle. « Nazarbaïev a essayé de restreindre les ultranationalistes, ceux qui considèrent qu’il faut se séparer entièrement de la Russie et limiter l’influence d’autres puissances telles que la Chine », souligne Ageeva. « Par opposition, il y a ceux que l’on appelle les “centristes” qui défendent l’idée d’un équilibre entre toutes les puissances, de ne pas rompre les connexions avec les uns et les autres tout en étant indépendants », explique Vera Ageeva.

Le pendant interne de la politique multivectorielle repose sur la promotion officielle d’un modèle multiculturel théoriquement fondé sur une identité civique kazakhstanaise commune. « En général, les politiques et leur mise en œuvre ont été ambiguës dès 1991 concernant la priorisation des identités nationales ethniques par rapport à l’identité civique, et vice versa », estime Kristoffer Rees. Le pouvoir s’est, en somme, efforcé de ménager la chèvre et le chou, en tentant de canaliser les élans nationalistes des uns et de gagner l’allégeance des autres. Résultat, beaucoup parmi les groupes minoritaires ont longtemps soutenu Nazarbaïev, perçu comme le garant d’une certaine stabilité interethnique. Mais en même temps, le Kazakhstan interdit la double citoyenneté. L’ancien président avait également annoncé en 2017 une transition de l’alphabet cyrillique au latin – au grand dam de Moscou –, même si le pays compte deux langues officielles, le russe et le kazakh.

La question linguistique, justement, est au cœur de la construction nationale, d’autant que sous Nazarbaïev, le gouvernement a manifesté une forme d’ambivalence envers la langue russe, à la fois langue de la modernité et des sciences et langue de médias et de propagande politique au potentiel déstabilisateur. En 2021, des patrouilles d’inspecteurs linguistiques autoproclamés ont défrayé la chronique en filmant leurs visites dans des bâtiments gouvernementaux à la recherche de panneaux en russe contre lesquels s’insurger. Une fracture qui ne peut toutefois pas se résumer à une opposition entre Kazakhs et Russes. «  Il y a une grande distinction à faire entre les Kazakhs qui vivent dans les zones urbaines et ceux qui vivent dans les zones rurales, ceux qui sont d’abord russophones et ceux qui parlent le kazakh. Ce n’est pas la même sociologie  », explique Azamat Junisbai.

Au cours du mois dernier, c’est en russe, et non en kazakh, que le président Tokaïev a prononcé ses discours les plus importants. L’ère Nazarbaïev est peut-être terminée, mais son achèvement s’ouvre sur l’inconnu.

C’était en 1986. Dans l’URSS agonisante, la ville d’Alma-Ata est en ébullition. Des milliers d’étudiants s’emparent spontanément des rues de celle qui était alors la capitale de la République du Kazakhstan. En cause : la nomination de Gennadiy Kolbin, natif de Russie, à la tête du parti communiste local. Un parachuté, sans aucune attache à la terre, et venant, de...
commentaires (1)

LE KAZAKHSTAN FUT UN FIASCO POUR JO L,ENDORMI ET SES ACOLYTES. ILS SE SONT RABATTUS SUR L,UKRAINE POUR REDORER LEUR BLASON. MAIS LA AUSSI LE FIASCO LES ATTEND CAR ILS MELENT LE NEZ DANS LES GUEPIERS QUI SONT A L,INTERIEUR DES TERRITOIRES RUSSES.

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 16, le 01 février 2022

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Commentaires (1)

  • LE KAZAKHSTAN FUT UN FIASCO POUR JO L,ENDORMI ET SES ACOLYTES. ILS SE SONT RABATTUS SUR L,UKRAINE POUR REDORER LEUR BLASON. MAIS LA AUSSI LE FIASCO LES ATTEND CAR ILS MELENT LE NEZ DANS LES GUEPIERS QUI SONT A L,INTERIEUR DES TERRITOIRES RUSSES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 16, le 01 février 2022

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