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Des portes et des trappes

Exit, vraiment, Saad Hariri ? Renoncement sans appel ou vacances stratégiques, semi-retraite ou même fausse retraite ?


Si la question peut se poser, cela tient d’abord au caractère très particulier des traditions politiques telles qu’elles sont observées dans notre pays. Perpétuation des dynasties et népotisme y sont la règle ; en l’absence d’héritier direct, on se rabat même volontiers sur un gendre ou un frère. Si par ailleurs les assassinats n’y sont guère rares, les politiciens ratés et autres cadavres politiques ont la vie étonnamment dure, et peuvent souvent se relever des revers les plus cuisants. Plus d’un président libanais y est allé de son petit chantage au départ, alors qu’il brûlait de se laisser faire une douce violence par ses partisans lui adjurant en chœur de demeurer vissé à son poste. Et demeure présente dans les mémoires la vieille et célèbre boutade d’un Walid Joumblatt dégoûté de la politique et préférant se faire plutôt éboueur à New York, cette mégapole du rêve américain.


Entonnant lundi son chant du cygne avec des larmes dans la voix, Saad Hariri a annoncé la suspension – mais non la clôture – de son activité publique, engageant dans son geste l’intégralité de sa formation politique, le courant du Futur. Mieux encore, il postait hier sur son site une vidéo relatant la seconde naissance d’un de ces aigles à la longévité proverbiale et capables, à force de ténacité (et aussi d’automutilation !), de se doter d’un bec et de serres flambant neufs.


Tout cela paraît laisser la porte ouverte à un éventuel come-back, au cas où s’y prêterait la conjoncture interne, régionale et internationale. L’ancien Premier ministre escompterait-il donc de cet électrochoc un retour en grâce auprès de ses anciens parrains saoudiens, qui se retrouveraient bien en peine d’aligner en piste un nouveau champion apte à tenir la course ?


Le même et tortueux calcul est évoqué à propos de l’imprudente démobilisation de son électorat – écorné, mais encore substantiel – à laquelle se livre Saad Hariri, à l’approche des législatives. Tant de désintérêt face à une échéance aussi cruciale, de laquelle dépend, de surcroît, l’élection d’un nouveau président de la République, ne pourrait qu’être l’expression de l’un ou l’autre de ces deux hasardeux paris. Le premier repose sur le défaut de conformité au consensus national qui frapperait toute législature dégarnie d’une notable représentation sunnite. Les chrétiens s’y étaient essayés en boycottant massivement, mais en vain, la première consultation populaire de l’après-guerre ; mais s’il est bien vrai que l’occupant syrien n’est plus là pour faire la loi, c’est le Hezbollah, agissant pour le compte de l’Iran, qui a pris le relais. Nombreux par ailleurs sont les rivaux du chef du Futur, qui ne demanderaient pas mieux que de combler un vide si gracieusement offert. Encore plus aléatoire cependant – et plus alarmant – serait le second de ces paris. Celui-ci s’inspirerait en effet de la conviction que rien ne sert de plancher sur des élections qui, de toute manière, risquent fort de n’avoir pas lieu, en raison de graves développements locaux et/ou régionaux.


Loin de toutes ces supputations frisant la politique-fiction, demeure le fait certain, indéniable, qu’il y a là un peu glorieux abandon de responsabilités se doublant, le plus paradoxalement du monde, d’un singulier abus d’autorité. Car Saad Hariri a naturellement toute liberté de rompre avec un métier politique pour lequel il n’était pas fait, et dont il a hérité dans des circonstances on ne peut plus tragiques. Mais même s’il s’engage à garder ouvertes les portes de la maison Hariri, il n’a pas le droit de rendre orpheline pour la deuxième fois sa base populaire, laissée à elle-même sans plus d’encadrement. Il a encore moins le droit de précipiter dans la trappe ses compagnons de route, dont certains ont entouré son père avant de guider ses premiers pas en politique. Cette continuité du courant du Futur, il la doit enfin aux centaines de milliers de citoyens qui, sans forcément adhérer à l’idéologie du Futur, étaient descendus dans la rue pour dénoncer l’assassinat de Rafic Hariri. Et finissaient par arracher aux Syriens cette deuxième indépendance du Liban.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

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