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Moyen-Orient - ISRAËL / PALESTINE

Sous la plage du lagon bleu, les « fantômes de Tantura »

Les confessions inédites d’anciens combattants, diffusées dans un nouveau documentaire, brisent le silence sur les événements ayant frappé le village palestinien de Tantura en 1948, relançant le débat sur la « Nakba » dans l’État hébreu.

Sous la plage du lagon bleu, les « fantômes de Tantura »

Une vue aérienne de l’ancien village palestinien de Tantura rasé, dont il ne reste aujourd’hui qu’une seule maison en bord de mer. À la place, le kibboutz de Nahsholim a été construit, avec notamment la plage de Dor Beach au Sud. Photo tirée du documentaire « Tantura », du réalisateur Alon Schwarz (2022).

Sable fin, lagon bleu turquoise, palmiers et bungalow. « Dor Beach » est une station balnéaire comme il y en a des dizaines le long de la côte israélienne. À un détail près : à une trentaine de kilomètres au sud de Haïfa, la plage a été bâtie sur les ruines de Tantura, un village rayé de la carte il y a près de 74 ans. Sous le parking de l’un des rivages les plus populaires d’Israël, s’entassent les cadavres de centaines de Palestiniens tués lors de la guerre de 1948-1949, ayant opposé les groupes paramilitaires juifs pré-étatiques aux contingents arabes. Si les faits avaient déjà été établis par certains historiens, ils sont désormais accessibles au grand public grâce aux révélations apportées par un nouveau documentaire projeté en avant-première le week-end dernier dans le cadre du Sundance Film Festival, aux États-Unis.

Tantura, du réalisateur Alon Schwarz, plonge au cœur d’une mémoire ultrasensible, ces quelques jours décisifs qui ont scellé le sort des habitants du bourg méditerranéen. Le 14 juin 1948, un mois jour pour jour après la déclaration d’indépendance du nouvel État israélien, des soldats de la brigade « Alexandroni » achèvent la conquête militaire de ce qui n’était alors qu’un modeste village de pêcheurs palestiniens. Mais en place et lieu des images policées diffusées par la propagande officielle, le documentaire donne à voir la partie la plus noire de l’épopée sioniste. Après avoir « trié » femmes et enfants, les soldats tuent les prisonniers à tour de bras et pillent les maisons, laissant derrière eux un amoncellement de cadavres qui seront déchargés dans une fosse commune, quelques jours plus tard.

Tandis qu’un mémorial a été érigé sur place pour rendre hommage aux soldats juifs tombés au front, le véritable récit des événements de Tantura avait sombré dans l’oubli pendant des décennies. « Je ne l’ai dit à personne, pas même à ma femme. Qu’est-ce que je suis censé lui dire, que je suis un meurtrier ? », reconnaît un ancien soldat de la brigade.

Car le documentaire repose sur les témoignages inédits de combattants qui, à parfois plus de 90 ans, ont décidé de sortir de leur silence. À travers les confessions de Yitzaak, Yaakov, Haïm et les autres, le tableau des événements de mai 1948 est peu à peu reconstitué. Beaucoup affirment ne pas se souvenir. Certains nient l’existence d’un « massacre » à proprement parler. Mais la plupart relatent des faits qui, mis bout à bout, concordent. Cette « vérité sans équivoque », selon les mots du quotidien Haaretz, est celle de l’assassinat en masse de prisonniers palestiniens, désarmés, en marge des combats militaires.

Les chiffres ne sont pas clairs. Quelques dizaines, jusqu’à plusieurs centaines de victimes. « 270 ou 280 corps » se souvient Motel Sokoler, en charge de l’enterrement à l’époque. Parmi les combattants, certains occuperont par la suite des postes de responsabilité, comme cet officier ayant abattu « un Arabe après l’autre », qui deviendra « un gros calibre au sein du ministère de la Défense ». L’épisode est décrit comme « sauvage » ou « inhumain ». « Bien sûr que nous les avons tués », admet l’un deux, pendant qu’un autre s’interroge : comment « est-ce possible de rester normal après cela ? ».

Tantura, l’ancien village Palestinien de pêcheurs, vidé de ses habitants puis rasé en juin 1948. Photo tirée du documentaire « Tantura », du réalisateur Alon Schwarz (2022)

1998, les débuts de l’« affaire Tantura »

Si la sortie du documentaire a fait polémique, ce n’est pas la première fois que le pays tremble au souvenir de Tantura. En 1998, Teddy Katz, un étudiant alors quinquagénaire de l’Université de Haïfa, déclenche l’ire de l’establishment militaire en publiant une thèse de Master, sous la direction de l’historien israélien Ilan Pappé, qui dénonce le massacre. La thèse, qui contient de nombreuses sources reprises dans le documentaire, est validée par l’université. Mais son entrée dans le débat public, après la publication d’un article en janvier 2000 dans le journal israélien Maariv, change la donne. Une association d’anciens combattants intente un procès en diffamation et un nouveau comité universitaire disqualifie la thèse. Sous pression, Teddy Katz signe une lettre d’excuse qui invalide ses propres écrits et accélère l’expédition du dossier judiciaire. L’« affaire Tantura » pousse Ilan Pappé à quitter l’université, en 2007, poursuivant sa carrière universitaire au Royaume-Uni.

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Une fois le scandale retombé, seul le débat entre historiens spécialisés se prolonge au sein de quelques cercles restreints. Certains, à l’instar de Yoav Gelber, reconnaissent qu’il y a eu des morts, mais nient l’existence d’un « massacre ». D’autres comme Benny Morris, chef de file des nouveaux historiens (mouvement israélien des années 80 ayant remis en question la version officielle des événements de 1948-1949) estiment que le « nettoyage forcé » du village est indéniable. S’il reste circonspect quant à l’existence de « preuves irréfutables d’un massacre à grande échelle », l’historien déclare en 2009 dans un entretien au Haaretz que des « crimes de guerre » et « un ou deux cas de viols » ont également été documentés à Tantura.

Le parking adjacent à la plage de Dor Beach, au sud du kibboutz de Nahsholim, construit sur les ruines de l’ancien village palestinien Tantura. Sous le parking ont été entassés les corps de centaines de Palestiniens tués en juin 1948 suite à la conquête du village par les forces paramilitaires juives. Photo tirée du documentaire « Tantura », du réalisateur Alon Schwarz (2022)

Aujourd’hui, les révélations du documentaire d’Alon Schwarz apportent une reconnaissance inédite, publique, à ceux qui dénoncent les faits depuis plusieurs décennies. La presse israélienne y consacre des sujets, comme Haaretz qui titre sur « les fantômes de Tantura » et la « fin du silence ». « À l’époque, le journal avait tourné en ridicule mes recherches, me présentant au mieux comme peu sérieux, au pire comme un cinglé », se souvient sur son compte Facebook Ilan Pappé, en réaction au débat suscité ces derniers jours par la sortie du documentaire.

Ce n’est pas la première fois que des documentaires tentent d’aborder la question de la Nakba, ni que des anciens soldats témoignent, face caméra, afin de partager leur souvenir des combats. De (très) timides avancées ont également été enregistrées dans le secteur éducatif, comme par exemple la publication en septembre dernier d’un manuel scolaire mentionnant, pour la première fois dans l’histoire du pays, une responsabilité israélienne dans le départ des populations arabes. Mais si les lignes bougent, c’est en marge et de manière exceptionnelle. Pour les autres, c’est-à-dire une majorité, le sujet de 1948 n’existe tout simplement pas. « Il n’y a même pas l’ombre de tout cela à l’horizon au sein de la vie publique ici », regrette Avner Giladi, professeur à l’Université de Haïfa, en fin de documentaire.

Sable fin, lagon bleu turquoise, palmiers et bungalow. « Dor Beach » est une station balnéaire comme il y en a des dizaines le long de la côte israélienne. À un détail près : à une trentaine de kilomètres au sud de Haïfa, la plage a été bâtie sur les ruines de Tantura, un village rayé de la carte il y a près de 74 ans. Sous le parking de l’un des rivages les plus...

commentaires (9)

Ce sont des crimes de guerre, nom de nom. Je croyais que l’on avait dit plus jamais ça, ni pour les uns et encore moins pour les autres.

TrucMuche

13 h 58, le 27 janvier 2022

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Commentaires (9)

  • Ce sont des crimes de guerre, nom de nom. Je croyais que l’on avait dit plus jamais ça, ni pour les uns et encore moins pour les autres.

    TrucMuche

    13 h 58, le 27 janvier 2022

  • C’est glaçant. Bravo à cette journaliste talentueuse qui défriche depuis un moment pour les lecteurs de l’OLJ un drame que beaucoup (y compris parmi les Arabes) voudraient oublier.

    Marionet

    22 h 08, le 26 janvier 2022

  • drôle de référence "ilan papé" : Un gars en exil considéré comme traitre par son pays. Si maintenant les références sont les traitres à leur pays?? Donc l'histoire du liban si elle est écrite actuellement par ceux de la classe politique: Ca sera du beau !!! Les libanais seront cités comme agresseurs et les palestino syro irano etc... seront considérés comme libérateurs? !!!!! Une fois de plus ces articles vont en contre sens des affinitiés et orientations des libanais souverains et....Intelligents. Bonne journée/ fin de journée

    LE FRANCOPHONE

    21 h 40, le 26 janvier 2022

  • ILAN PAPE! C'est une anti-sioniste connu en Israel. A la guerre one ne fait pas des omelette sans casser des oeufs. Fallait pas attaquer le nouvel etat des sa naissance. Le reste c'est de l'histoire ancienne

    IMB a SPO

    16 h 50, le 26 janvier 2022

  • Puis je savoir pourquoi mon commentaire n'est pas publié? Il répond parfaitement à la charte. Est-ce une censure?

    Bachir Karim

    15 h 47, le 26 janvier 2022

  • Les habitants de Tantura sont les authentiques sémites. Mais ce massacre perpétré par des espèces de Einsatzgruppen sionistes venus d’Europe de l’Est ne sera jamais qualifiée d’acte antisémite, appellation dorénavant jalousement contrôlée par ceux-là mêmes…

    Gros Gnon

    13 h 44, le 26 janvier 2022

  • Les Israéliens au moins reconnaissent leur tords, contrairement aux Turcs et aux Arabes, qui eux ont ont commis de véritables génocides, sans parler du statut de dhimmis imposé aux Juifs et aux Chrétiens qui étaient pourtant chez eux, bien avant les malheureuses invasions. Pire, lorsque le Liban, au nom d'une stupide "solidarité arabe" (née de cerveaux malades et corrompus), et sous la pression de nos islamistes et gauchistes toujours unis contre le Liban, accueillons chez nous des "réfugiés" fuyards palestiniens, pour le plus grand malheur des populations du sud de notre pays d'abord, les voilà qu'ils tentent une OPA sur notre petit Liban, provoquant la fuite des Juifs Libannais, puis celle des Chrétiens qui ont dû s'organiser en milice pour survivre et délivrer le pays face aux collabos et aux envahisseurs. Plus tard d'autres vont s'emparer du pays, tout en participant à sa ruine, pour défendre des intérêts étrangers, toujours solidaire des mêmes bourreaux du pays, Syriens, Palestiniens et maintenant Iraniens

    Nicolas ZAHAR

    10 h 46, le 26 janvier 2022

  • Commémoration de deux massacres, page 6 et 11, dans un seul numéro de l’OLJ. Celui de Tantura commis par les sionistes sur des Palestiniens, et l’autre commis par les milices palestiniennes sur des Libanais. Suite à ces deux massacres sur le littoral méditerranéen, les villages ont été rasés. Les historiens de métier parleront un jour, feront des commentaires, des thèses, et de "laborieux travaux d’écriture". De part et d’autre on a la mémoire anachronique, défaillante. Les responsables de ces deux massacres n’avoueront jamais leurs crimes, et on est sûr que la vérité est la seule victime qu’on ne trouvera jamais.

    Nabil

    03 h 01, le 26 janvier 2022

  • Bonjour. bah oui. Désolé mais 1948 n'existe plus pour nous libanais. Bonne tentative pour nous faire verser une larme pour la "nakba" comme ils disent. Malheureusement, les palestiniens nous ont vidé toutes nos larmes à Damour, à Beyrouth et tous les rackets, abus et agressions qu'ils faisaient subir à nos parents et à nous ( vous, Madame, n'étiez pas encore née ? ou étiez trop jeune ? les années 70 , sans doute, n'avez vous pas connu ce qu'on enduré les libanais à cause des palestiniens). Bref, ca ne nous touche pas pour la plupart d'entre nous libanais. "Tamssahna" comme on dit en libanais :) Bonne journée.

    LE FRANCOPHONE

    01 h 03, le 26 janvier 2022

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