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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban : message ou leçon ?

Le Liban : message ou leçon ?

La visite de Jean-Paul II au Liban, en mai 1997. Photo Archives L’OLJ

« Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message » (Pape Jean-Paul II dans une lettre apostolique du 9 septembre 1989). Ces mots souvent répétés avec tant d’autres sont aujourd’hui jugés par beaucoup comme faisant partie de ces phrases reflétant un idéal ne pouvant être réalisé vu la réalité quotidienne intolérable d’un peuple fatigué. Mais, qu’on le veuille ou non, le rôle de ce petit pays est beaucoup plus grand qu’il n’en a l’air.

Non, personne n’a abandonné le Liban. Non, la communauté internationale ne l’a pas oublié. Mais aujourd’hui ce pays est appelé à se connaître et assumer son « message ». Le Liban, message de tolérance et de paix ou le Liban leçon d’intolérance pour l’humanité. Aller d’un côté ou de l’autre n’est qu’une question d’exercice constructif ou non de liberté.

La réalité pluriculturelle et pluriconfessionnelle au Liban représente un « exercice » mondial de tolérance, d’acceptation d’autrui et d’amour si crucial que son succès menace de faire trembler les mouvements extrémistes. En effet, les modèles politique, économique, social et culturel pouvant prendre naissance dans un tel pays transcendent les limites spatiales et temporelles et peuvent servir de bases pour apprendre à détruire ces « murs de Berlin » de l’humanité. Oui, telle est la grande mission de ce peuple capable qui ne manque pas de générosité, d’ouverture et de foi intérieure lui permettant crise après crise de se remettre debout et en marche. L’histoire de l’humanité sera sûrement affectée par les choix du peuple libanais d’aujourd’hui. Le choix de dire oui ou non au vivre ensemble. Oui ou non à l’union face au séparatisme. Oui ou non à la possibilité de construire ensemble.

Non, les intérêts des grandes puissances ne sont pas capables de primer sur la volonté clairement exprimée d’un peuple qui se connaît. Si cela était vrai nous serions toujours mondialement à l’époque coloniale, révolue aujourd’hui.

Mais que faire lorsque le principe d’autodétermination n’est plus reconnu ni défendu ? Que faire lorsque ce peuple attend constamment les signes d’une volonté externe faute de se connaître soi-même ?

Les murs formés par les acteurs extrémistes ces dernières années, trouvant leur place faute de non-mobilisation des acteurs constructeurs, constituent les germes des guerres de demain. Les mauvais prêcheurs déguisés sous un manteau communautaire ou religieux créant par leur ignorance des polarisations et mouvement de haine entre communautés et groupes religieux sont fatals dans un système politique comme celui en place au Liban. Cette réalité ne touche pas seulement le Liban. C’est d’ailleurs ce que l’on constate dans les pays les plus développés aujourd’hui où l’on ne sait comment pratiquement dénoncer ces acteurs sans bercer dans la stigmatisation de toute une communauté ou groupement religieux. N’est-ce pas là la principale raison de la montée de courants d’extrême droite et d’extrême gauche aux pouvoirs en Europe, aux États-Unis et dans le monde ces dernières années ?

Oui, l’enjeu est tellement crucial. Mais alors quelle position adopter ? Quoi faire ? Cela commence au niveau individuel et s’étend ensuite à tous groupements : syndicats, écoles, municipalités, partis politiques, etc. Quels choix faites-vous ? Le choix de bâtir des ponts, de trouver les points communs dans le respect des singularités communautaire et religieuse, de se regrouper autour d’objectifs non communautaires mais progressistes qui rassemblent tout citoyen libanais (et non des critères strictement communautaires) voulant le meilleur pour son pays pluriconfessionnel ; ou le choix de l’avant-guerre civile qui consiste à la destruction de tous ces ponts, la construction abusive de murs après murs, la stigmatisation de toute une communauté et la recherche de moyens pour faire primer un projet communautaire local ou externe sur un autre. Hélas, le second choix est jusqu’à nos jours le choix qui s’exprime le plus dans nos formations politiques, syndicales et municipales actuelles. Où sont les coalitions qui se regroupent autour d’objectifs purement étatiques ? Chers Libanais, le point culminant qui fait pencher la balance d’un côté constructeur ou destructeur est celui-ci, et tout autre discours ne vise pas le point essentiel du « message » libanais : « Êtes-vous prêts à aller chercher les bâtisseurs de toute confession ou communauté, qui désirent se rassembler sous des objectifs étatiques précis ? Ou préfériez-vous vous rassembler encore une fois autour de ces critères qui élisent des porte-parole de communauté et d’idéologie mais non des hommes d’État ? » (Manière conflictuelle de réflexion et basée sur les peurs héritées des guerres précédentes).

Faire ce choix, c’est ne pas connaître la réalité de son pays et de son peuple. Cela signifie que pour que le Liban fonctionne vraiment il faut garantir la montée simultanée au pouvoir de plusieurs chefs de communauté qui n’ont pas l’intérêt étroit de leurs communautés en compte. Exercice rendu impossible par la venue d’un « fauteur de troubles » ou d’un conservateur applaudi par sa communauté pour ses choix étroits.

L’initiative à l’échelle d’une communauté ou groupement isolé sera inefficace dans un régime de partage de pouvoir entre communautés religieuses. Seule une mobilisation des bâtisseurs de toutes confessions, regroupées autour d’objectifs étatiques non communautaires pourra créer un climat propice au changement.

Non, ce discours n’est pas en avance sur la réalité du terrain, car rien n’empêche les mouvements de tolérance peu importe le contexte dans lequel ils prennent naissance, ni les armes ni les plus grandes dictatures. Si le contraire était vrai ces dernières seraient toujours en place mondialement. Mais ces mouvements doivent émaner d’une intention manifeste d’aller vers l’autre, d’une intention démontrée de se délaisser du caractère purement communautaire et de prêcher avant tout l’objectif étatique bien précis (Chose difficile à faire pour les groupements traditionnels à caractère communautaire).

Mais que faire lorsque le feu d’une certaine idéologie communautaire brûle démesurément ?

« On n’éteint pas un feu en allumant un autre feu à l’opposé. Le feu ne s’éteint que par l’eau. » Cela ne sous-entend pas la négociation non fructueuse avec ceux qui ont longuement entretenu le feu communautaire. Mais la recherche active de sources d’eau qui permettra d’éteindre le plus de feux. Il est vrai qu’en appelant et en regroupant les voix modérées de toutes confessions (ces figures qui sont prêtes à placer l’objectif étatique avant la communauté), le feu du discours communautaire ne brûlera plus et un réel et permanent changement aura lieu. Ces figures modérées que le discours politique a oubliées sont présentes dans toutes les confessions et communautés et sont plus nombreuses que les quelques séparatistes tenant le microphone. Oui, dans toute communauté il y a ceux qui sont sensibles aux progrès, à la tolérance et à l’acceptation d’autrui et ceux qui préfèrent se renfermer par peur de l’autre ou par ignorance. Il y a aussi les indécis et les jeunes qui peuvent facilement être pris et influencés par les vagues de discours irresponsables de dirigeants qui se croient puissants mais qui ne savent pas que leur puissance est bâtie sur l’ignorance des autres. Ignorance qui fut ébranlée le 17 octobre 2019.

Un groupement traditionnel ne peut pas rassembler ces modérés et éteindre ces feux communautaires lorsque ce dernier, intentionnellement, par sa pratique et son histoire, a tenu durant une période, haut et fort, les intérêts de sa communauté. Cela ne veut pas dire que ses objectifs ne sont pas pour le moins étatiques mais cela veut dire que son parfum communautaire ne s’est pas encore dissipé. C’est d’ailleurs ce que prouve le non-succès de l’intégration des partis traditionnels de l’opposition au mouvement du 17 octobre 2019.

Oui, le 17 octobre 2019 est un jour d’éveil national. Certains ne voient pas ce jour comme une réelle « thaoura » (révolution) parce qu’ils n’ont pas été témoins de mouvements de violence, de sang et de destruction tels qu’ils aimeraient en voir. Le 17 octobre, une révolution de grande envergure a eu lieu, c’est un jour de révolution des esprits, de prise de conscience sur l’ignorance. Oui, les dirigeants sont toujours en place, oui, ils sont toujours sur leurs chaises mais le sol sur lequel ces chaises se tiennent se fissure jour après jour. Se croyant être élus par un peuple libre lors des dernières élections, et tirant leur légitimité de là, ils prendront conscience bientôt que leur électorat était endormi. La lumière est entrée et le peuple se réveille (pour certains, petit à petit, mais sûrement). Ce parfum du 17 octobre, que chaque Libanais a pu sentir pour quelques jours sans savoir comment le qualifier, n’est autre que la promesse d’un avenir ensoleillé pour un peuple qui est désormais prêt à cultiver l’objectif étatique, prêt à reconnaître la suprématie de l’intérêt collectif.

Chers Libanais, aujourd’hui vous écrivez le réel message de notre pays et le monde vous observe. Le Liban réveillé : message de tolérance et de paix.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message » (Pape Jean-Paul II dans une lettre apostolique du 9 septembre 1989). Ces mots souvent répétés avec tant d’autres sont aujourd’hui jugés par beaucoup comme faisant partie de ces phrases reflétant un idéal ne pouvant être réalisé vu la réalité quotidienne intolérable d’un peuple fatigué. Mais, qu’on le veuille...
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