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Moyen-Orient - Justice

Verdict historique en Allemagne contre un ex-colonel du régime Assad

L’ex-colonel des services de renseignement syriens a été condamné, ce jeudi par la justice allemande, à la prison à perpétuité dans le cadre du premier procès au monde lié aux exactions attribuées au régime syrien.

Verdict historique en Allemagne contre un ex-colonel du régime Assad

Anouar Raslan, jeudi 13 janvier 2022, au dernier jour de son procès au tribunal de Coblence, en Allemagne. Un procès à l’issue duquel il a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et condamné à la prison à perpétuité. Le visage de Raslan est flouté par les agences de presse conformément à ce que requiert la justice allemande. Thomas Frey / POOL / AFP

Il aura fallu attendre plus d’un an et demi après le début du procès d’Anouar Raslan, le 23 avril 2020, pour que tombe le verdict. L’ex-colonel des services de renseignement syriens de 58 ans a été condamné ce jeudi par le tribunal régional de Coblence (Allemagne) pour crimes contre l’humanité à la prison à perpétuité, comme l’avait requis le Parquet fédéral allemand. Anouar Raslan a été reconnu coupable de 27 meurtres et de torture sur des milliers d’autres personnes ainsi que de violences sexuelles et d’autres crimes. Un verdict historique scellant le sort du plus haut gradé de l’appareil répressif syrien jamais appréhendé par une instance judiciaire basée à l’étranger. Le condamné a toujours la possibilité de faire appel du verdict.

Pour pouvoir le juger, l’Allemagne a eu recours au principe juridique de la « compétence universelle », qui existe dans plusieurs autres pays européens à l’instar de la France, et qui permet de poursuivre les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis et la nationalité des auteurs ou des victimes.

Branche 251

Moins d’un an plus tôt, le premier volet de ce procès scindé en deux avait abouti à la condamnation à quatre ans et demi de prison pour « complicité de crimes contre l’humanité » de Iyad el-Gharib. Cet ancien membre des services de renseignement âgé de 44 ans avait participé à l’arrestation, à l’automne 2011, d’au moins 30 manifestants antirégime à Douma, près de la capitale syrienne, ainsi qu’à leur transfert dans le redoutable centre de détention de Damas, baptisé « branche 251 ». Son supérieur n’était autre que Anouar Raslan. A cette époque, ce dernier dirigeait la section des investigations de la « branche intérieure » des services de renseignements, la 251 également appelée al-Khatib. C’est là qu’il a commis les crimes dont il a été reconnu coupable, entre avril 2011 et septembre 2012. C’est à près de 3000 kilomètres, dans la vieille ville de Coblence, située à la confluence du Rhin et de la Moselle, que justice a enfin été rendue aux victimes de cet ex-colonel syrien, plus de neuf ans après les derniers faits. Un procès hors du commun, au cours duquel 106 audiences ont été tenues, avec plus de 80 témoins, dont plus de 50 survivants du centre de détention. Un procès lors duquel, pour la première fois, ont été présentés des clichés du dossier César, du nom d’un transfuge du régime syrien ayant fui en 2013 en emportant avec lui plus de 45 000 photographies de cadavres de détenus.

Pour mémoire

La chasse aux criminels syriens s’accélère en Allemagne

« Il ne s’agit pas d’une victoire personnelle. Ce procès est pour toutes les victimes du régime Assad et pour l’avenir de la Syrie », estime l’avocat syrien Anouar al-Bunni, qui traque les criminels de guerre syriens depuis Berlin, afin de les traîner devant les cours de justice européennes. Arrivé dans la capitale allemande en 2014, Anouar al-Bounni a lui-même eu affaire à Anouar Raslan, comme il l’a expliqué à la barre du tribunal de Coblence les 4 et 5 juin 2020. C’était en 2006. Le sexagénaire, né à Hama dans une famille d’opposants politiques de gauche, est alors arrêté par les forces de sécurité syriennes après avoir signé la Déclaration de Damas appelant à des réformes « pacifiques et graduelles ». Des hommes armés le kidnappent et le passent à tabac dans une rue de la capitale. Au tribunal, il apprend que Anouar Raslan est derrière son arrestation. Libéré en mai 2011 après cinq ans passés en prison, où il a été torturé, c’est dans les rues de Berlin, près d’un foyer de demandeurs d’asile qui - par le plus grand des hasards - les abrite à l’époque tous les deux, que l’activiste syrien tombe en 2014 sur Anouar Raslan, avant de le recroiser quelques mois plus tard dans un grand magasin de la capitale allemande. « Beaucoup de criminels syriens ont fui vers l'Europe. Certains d'entre eux ont essayé de se cacher tandis que d'autres ont continué de collaborer avec le régime depuis le pays dans lequel ils avaient trouvé refuge, raconte Anouar al-Bounni. C’est une bonne chose qu’ils fuient, car nous ne pourrions jamais les attraper s’ils restaient en Syrie ».

Anouar Raslan est finalement arrêté en février 2019 en Allemagne dans le cadre d’une opération commune avec la France permettant l’interpellation dans les deux pays de trois Syriens soupçonnés de crimes contre l’humanité entre 2011 et 2013. Son procès a surtout été possible grâce à la collaboration d’activistes syriens exilés en Europe avec des ONG internationales, bien décidées à traduire en justice les bourreaux de la machine de répression syrienne. Leur travail de documentation et de récolte de témoignages d’abus auprès de citoyens syriens a permis aux policiers et aux procureurs allemands d’étayer leurs enquêtes sur ces crimes commis en Syrie.

Politique systématique

Symbole de la brutalité d’un régime qui poursuit toujours ces pratiques, le cas d’Anouar Raslan a fait débat parmi les opposants syriens, alors que certains d’entre eux ont rappelé que l’ancien colonel avait fui le pays en décembre 2012 pour rejoindre leur camp, participant même en 2014 à une conférence de paix à Genève en tant que représentant de l’opposition syrienne. Des relations grâce auxquelles il avait obtenu la même année un visa lui permettant de voyager de la Jordanie vers l’Allemagne. Durant son procès, Anouar Raslan s’est contenté de nier en bloc les crimes dont il était accusé, affirmant ne plus avoir eu de responsabilités au sein de la division 251 peu après le début de la révolution. « Je n’ai jamais ordonné arbitrairement l’arrestation de quiconque. Je n’ai ni ordonné ni soutenu la torture », avait-il déclaré, avant d’ajouter : « Je suis devenu un réfugié parce que je n’ai pas accepté ce qui se passait en Syrie. Je n’ai pas commis les crimes dont je suis accusé ». Pour l’accusation, les prises de position adoptées par Anouar Raslan après avoir fui le pays ne sont qu’une couverture. « Sa responsabilité est la même quelle que soit l'évolution de ses convictions politiques », rappelle également l’avocat et défenseur des droits humains syrien Mazen Darwish. Ce dernier a fondé en 2004 le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM) et est lui-même passé par les centres de détention des services de renseignement syriens durant plus de trois ans à partir de 2012. « Anouar Raslan était jugé pour des crimes commis au cours de sa carrière d'officier de l'appareil de sécurité de l'État, qui ont entraîné la mort de dizaines de civils et la torture et l'arrestation de milliers de personnes. Une politique systématique menée par les services de sécurité syriens depuis des décennies, surtout après le début du soulèvement populaire en 2011 », ajoute-t-il.

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Wafa Mustafa, la voix puissante des Syriens en quête de vérité

Anouar al-Bunni est, pour sa part, convaincu que le condamné travaillait toujours pour le régime Assad avant son arrestation en fournissant aux services de sécurité des « rapports, des informations ou des noms de personnes recherchées ». « Il ne s’est jamais excusé auprès des victimes devant la Cour et adopte les mêmes éléments de langage que le régime syrien », souligne l’avocat.

Si plus de dix ans après le début de la guerre en Syrie, le procès d’Anouar Raslan est, certes, historique, il ne saurait pallier l’incapacité de la justice internationale à mettre fin à l’impunité en Syrie, alertent les défenseurs des droits humains. « La communauté internationale a laissé tomber les victimes et les survivants de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre en Syrie dans le sens où elle n'a pas été en mesure de déférer le dossier devant la Cour pénale internationale (CPI), qui est la voie naturelle vers la justice et la responsabilité dans un pays où il n’y pas de justice, où aucune transition n'a eu lieu et qui continue à ce jour à commettre ces actes », fustige Lynn Maalouf, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. Alors que Damas n'est pas partie au statut de Rome, texte fondateur de la CPI, seul le Conseil de sécurité des Nations unies peut saisir cette juridiction. Une option à laquelle la Russie oppose, sans surprise, son veto.

Moments les plus durs

Wafa Mustafa, une Syrienne de 31 ans exilée en Allemagne et toujours sans nouvelles de son père depuis son arrestation par le régime Assad en 2013, préfère parler du procès d’Anouar Raslan comme d’une « étape importante », bien qu’insuffisante face à l’ampleur des massacres perpétrés par le régime syrien et les disparitions forcées. Devant le tribunal de Coblence, Wafa Mustafa avait exposé plus de cent portraits de personnes disparues en Syrie pour alerter sur leur sort. Et sur celui de son père, pour qui elle continue coûte que coûte de rechercher la vérité. « Assister à ces audiences à été l’un des moments les plus durs de ma vie », confie-t-elle. Le contraste entre le traitement infligé aux accusés syriens dans leur pays et celui réservé d’Anouar Raslan devant la justice allemande est saisissant, ajoute Wafa Mustafa. « Je me suis dit qu'il était fou qu’une personne ayant commis des crimes de guerre soit en bonne santé, ait le droit de recevoir de la visite de sa famille, n’ait pas été torturée alors que mon père, dont le seul crime est d’être descendu dans la rue pour chanter en faveur de la liberté, de la justice et de la démocratie, a disparu depuis huit ans maintenant. Huit ans que je ne me pose qu’une seule question : est-il toujours vivant », poursuit Wafa Mustafa. En quête de réponses, elle est d’ailleurs parvenue à envoyer une lettre à Anouar Raslan via son avocat pour lui demander s’il a des informations sur son père. « Il m’a dit qu’il ne savait rien et a conclu sa lettre par ces mots : j’espère qu’il est toujours vivant, dit-elle. Je lui ai dit que cette phrase, je la prononce dix fois par jour et que je veux qu’il sache que personne, personne, n’arrêtera jamais de rechercher ses biens aimés ».

Il aura fallu attendre plus d’un an et demi après le début du procès d’Anouar Raslan, le 23 avril 2020, pour que tombe le verdict. L’ex-colonel des services de renseignement syriens de 58 ans a été condamné ce jeudi par le tribunal régional de Coblence (Allemagne) pour crimes contre l’humanité à la prison à perpétuité, comme l’avait requis le Parquet fédéral allemand....

commentaires (8)

his face is like a devil they should do to him what he did to people and also the libanese people stay in hell devil forever

Souraya Fakhoury

23 h 30, le 14 janvier 2022

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Commentaires (8)

  • his face is like a devil they should do to him what he did to people and also the libanese people stay in hell devil forever

    Souraya Fakhoury

    23 h 30, le 14 janvier 2022

  • Et des gens, dirigeants de pays arabes, et supplétifs du régime Assad, voudraient reprendre langue avec ce dictateur sanguinaire, quelle horreur! Il faut un tribunal pour juger les protagonistes de la guerre civile en Syrie, le Liban n’a pas su le faire.

    TrucMuche

    20 h 51, le 13 janvier 2022

  • Le prochain sur la liste sera Le gendre et son maître ?

    sarraf antoine

    14 h 51, le 13 janvier 2022

  • Bravo pour la justice allemande, allez jusqu’au bout, convoquez le chef suprême de la Syrie pour le juger de crimes contre l’humanité

    Lecteur excédé par la censure

    14 h 00, le 13 janvier 2022

  • C’est pas juste. Ils auraient dû le renvoyer chez lui, la prison à perpétuité en Allemagne valant mieux qu’un jour en liberté sous le régime Assad…

    Gros Gnon

    13 h 57, le 13 janvier 2022

  • Tout dictateur a besoin de petites mains pour exécuter ses projets de terreur et les candidats sont toujours nombreux à postuler pour le servir. Un bon début pour la justice dans le monde en espérant que le tour des nôtres arrive vite pour le plaisir de les voir condamnés et enfermés à vie derrière les barreaux pour tous les crimes qu’ils ont commis sur le peuple libanais.

    Sissi zayyat

    13 h 56, le 13 janvier 2022

  • ON JUGE DES SUBALTERNES ET LA TETE COURT TOUJOURS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 21, le 13 janvier 2022

  • Bonne nouvelle ! Mais le grand chef reste intouchable sur son trône.

    Yves Prevost

    13 h 02, le 13 janvier 2022

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