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Lifestyle - Jeu vidéo

Le retrogaming libanais, une vieille passion qui tente de survivre à la crise

Quelques passionnés s’attellent encore à faire vivre un hobby qui est devenu un marché à part entière dans le reste du monde.

Le retrogaming libanais, une vieille passion qui tente de survivre à la crise

La photo de couverture de la page Facebook de Hadi Rama. Photo DR

Alors que les leaders de l’industrie du jeu vidéo cherchent inlassablement à impressionner les joueurs du monde entier avec leurs nouveautés, les nostalgiques du retrogaming, au Liban comme ailleurs, préfèrent se replonger dans les écrans de machines qui ont un jour incarné le futur avant que ce dernier ne les relègue au rang d’antiquité.

Le Liban, où ont été importées nombre de consoles connues et qui possédait même un joli parc de salles de jeux vidéo d’arcades (des bornes sur lesquelles les joueurs pouvaient se payer une partie en insérant une pièce ou un jeton), compte quelques-uns de ces passionnés. Des adeptes du pad et du pixel, qui s’extasient bien plus volontiers devant un Mario ou un Tetris d’époque sur un écran jaunâtre à cristaux liquides que sur une franchise plus récente déployée à grand renfort de haute définition sur des écrans à l’image toujours plus détaillée. C’est d’ailleurs des designs à l’ancienne représentant les icônes de cette époque révolue que l’on retrouve sur une partie des tee-shirts exhibés par Hadi Rama sur sa page Facebook Retro Gaming Lebanon. Et pour cause, ce gamin de quarante ans résidant à Beyrouth est devenu ces dernières années une des rares voix encore audibles de ce petit phénomène dans un Liban en crise. Employé d’une société en ressources humaines rattachée à l’Aéroport international de Beyrouth, il a commencé fin 2014 à acheter et vendre de vieilles consoles et cartouches de jeux vidéo à des amateurs du marché local.

La boutique Games Station Retro à Elissar (Metn) a fermé ses portes il y a environ un an. Photo DR

Snes, Megadrive et Neo Geo
Ce hobby, qui a pu être passablement lucratif avant la crise – quelques centaines de dollars de profits les bons mois –, ne rapporte plus grand-chose aujourd’hui, la dépréciation de la livre ayant coupé l’appétit des acheteurs potentiels de ces objets dont les prix grimpent à l’étranger. « Je me suis investi dans ce passe-temps parce que l’idée était originale et que j’aime particulièrement les consoles à cartouche des années 1980 et 1990, avec lesquelles j’ai grandi », récite-t-il avec un regard pétillant. « Ce sont des objets très attachants qui incarnent les technologies de l’époque et leurs limites. Leur principale qualité, au-delà de leur valeur sentimentale, c’est qu’elles sont beaucoup plus robustes que la plupart des générations de consoles qui ont été commercialisées avec l’avènement du support CD au milieu des années 1990, porté notamment par les PC et la Playstation de Sony », ajoute encore Hadi Rama. L’emblématique console portable Game Boy de Nintendo sortie en 1989 ; la console 16 Bits Super Nintendo Entertainment System (Super NES, ou Snes), commercialisée en 1990 ; sa rivale, la Megadrive, sortie deux ans plus tôt par Sega, font partie des produits les plus demandés à Hadi Rama depuis qu’il a mis le pied à l’étrier. En revanche l’onéreuse Neo Geo de SNK lancée en 1990 est celle qui a été la moins recherchée avec seulement deux demandes clients depuis 2015, devant la Game Gear portable de Sega, sortie la même année et réputée pour être trop gourmande en batteries. Selon Hadi, les amateurs libanais de retrogaming sont aussi bien des vieux nostalgiques que des joueurs plus jeunes intéressés par l’histoire du jeu vidéo. Avant la crise, il n’était d’ailleurs pas rare que toute cette faune soit appelée à se réunir à l’occasion de microévénements dédiés à cette passion.

« À l’époque des consoles, il n’y avait pas internet. Il fallait donc se fier aux avis des revues spécialisées ou aux illustrations des boîtes de jeux pour choisir sa console ainsi que les meilleurs jeux à acheter », se souvient un trentenaire amateur de retrogaming qui s’est déjà fourni chez Hadi Rama. « Les jeux étaient moins complexes mais souvent plus durs, sans option de sauvegarde ni mot de passe ! Un faux pas, et on était bon pour tout recommencer. Et je ne parle même pas de l’argent que j’ai pu dépenser dans les salles d’arcades, surtout pour les jeux de tirs », se rappelle-t-il encore.

Une Game Boy Color achetée au Liban. Photo P.H.B.

Carlo le pionnier

Si elle n’a pas découragé Hadi Rama, la conjoncture déprimante a malheureusement eu raison de la motivation de Carlo, le patron de Games Station Retro, un magasin spécialisé ouvert une trentaine d’années plus tôt à Elissar (dans le Metn) et qui a définitivement fermé ses portes il y a environ d’un an. L’enseigne vendait des consoles d’époque, mais aussi des bornes d’arcades ou d’anciens micro-ordinateurs. « J’ai vendu de tout. Je suis un pionnier du retrogaming dans le pays, et la plupart de ceux qui se sont lancés dans ce segment ont fait leurs classes chez moi », assure-t-il au téléphone. Un curriculum vitae confirmé par Hadi. « Exploiter ce créneau avec succès ne se fait pas en un jour. Le mieux, c’est d’avoir constitué des stocks en rachetant des consoles d’occasion à ceux qui cherchaient à s’en débarrasser pour ne les revendre que longtemps après », poursuit-il. Pour les deux hommes, le retrogaming ne se limite pas aux consoles à cartouches des années 1980 et 1990. En France, le spécialiste Valentin Simony, alias Link-Tothepast (un pseudo en hommage à la série de jeux Zelda), fait partie de ceux qui en parlent le mieux. Lors d’une conférence en février 2020, le créateur du site france.retrogaming.fr en mai 2008 décrit un phénomène protéiforme mû par le désir de connaître l’histoire du jeu vidéo, de se replonger dans des jeux anciens et/ou d’en collectionner.

Mais à partir de quand un jeu ou un support peut-il être considéré comme ancien ? Comme pour le point de départ de l’histoire du jeu vidéo, qui peut osciller entre 1947 et 1978 en fonction du spectre inclus dans la définition du terme (les premiers jeux électroniques expérimentaux, notamment conçus avec des oscilloscopes), aucun consensus ne semble gravé dans le marbre. « Certains vous diront que le retrogaming concerne tout ce qui se passait avant la 3D. D’autres prétendront qu’il concerne tout ce qui a précédé le support CD. D’autres encore affirmeront qu’un jeu est rétro lorsque deux générations de consoles le suivent (…) D’autres enfin vous assureront que le retrogaming concerne tous les jeux vintage, c’est-à-dire les jeux qui ont plus de 20 ans », résumait ainsi Valentin Simony en 2020.

S’il existe des collectionneurs d’artefacts vidéoludiques depuis des décennies, l’entrain pour le retrogaming commencera finalement à se développer dans les années 2000 pour devenir un marché porteur. Les prix des vieilles consoles fourguées pour deux sous dans des brocantes ou cédées à des amis lors d’un déménagement affichent depuis une nette tendance à la hausse et ont même bondi de 33 % en moyenne entre mars 2020 et mars 2021 pendant la pandémie Covid-19, selon une étude de PriceCharting.com publiée en 2021. Cet engouement a même fait quelques vaguelettes dans un Liban confiné.

« Mes ventes de consoles et de jeux ont sensiblement augmenté pendant cette période, avant de se tasser », se souvient Hadi Rama. Enfin, signe de cette reconnaissance mondiale, les éditeurs de jeux remettent fréquemment au goût du jour des titres des temps anciens soit via de simples refontes, soit via des remakes ou des suites. Certains constructeurs ont même ressorti de nouvelles versions de leurs anciennes consoles, à l’image de Nintendo et la Snes mini lancée en 2017. Au Liban, l’essor qu’aurait pu connaître le retrogaming ces quelques dernières années a été coupé net par la crise. « Ça a toujours été un marché de niche, mais là, il n’en reste presque plus rien », explique Carlo. « Nous sommes encore une poignée à vouloir faire vivre ce hobby ici. En ce qui me concerne, je continue pour le plaisir », conclut-il.

Alors que les leaders de l’industrie du jeu vidéo cherchent inlassablement à impressionner les joueurs du monde entier avec leurs nouveautés, les nostalgiques du retrogaming, au Liban comme ailleurs, préfèrent se replonger dans les écrans de machines qui ont un jour incarné le futur avant que ce dernier ne les relègue au rang d’antiquité. Le Liban, où ont été importées nombre de...

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