Critiques littéraires Critique

On n'a pas fini d'évoluer

Sans diversité, sans différence, il n’y a pas d’évolution ni de progrès

On n'a pas fini d'évoluer

D'où Venons Nous ? / Que Sommes Nous ? / Où Allons Nous ? de Paul Gauguin / 1897

Lluis Quintana-Murci, professeur du Collège de France, présente ici une synthèse abordable par le grand public des derniers résultats de la génétique des populations au service de l’histoire. Dans cette discipline, les progrès sont fulgurants grâce à la diminution des coûts (en 2001, le premier séquençage du génome humain avait coûté 2,7 milliards de dollars, la même opération en 2021 représente 500 dollars) et à la possibilité d’analyser des restes anciens (paléogénomique).

Partant de Darwin et de Mendel, l’auteur commence par un bref historique qui lui permet d’introduire les concepts essentiels comme celui de dérive génétique ou fluctuation aléatoire, au fil des générations, des fréquences des mutations au sein d’une population. Cette dérive peut conduire à une meilleure adaptation de cette population à son environnement biologique ou physique. En moyenne, chaque individu naît avec 70 mutations par rapport à ses parents, 55 provenant du père et 15 de la mère.

Il faut ajouter les goulots d’étranglement et les effets fondateurs créés par une diminution drastique d’une population ou l’établissement d’une nouvelle population à partir d’un nombre relativement faible au départ. Par exemple, les quelques dizaines de milliers de Canadiens français du XVIIIe siècle ont aujourd’hui plusieurs millions de descendants.

Il s’ensuit la possibilité de faire une brève histoire de l’humanité. Homo sapiens est apparu en Afrique il y a 300 000 ans. Dans ce continent, il s’est métissé avec des hominidés antérieurs inconnus de nous. Avec la sortie d’Afrique, il s’est métissé en Asie avec l’homme de Néandertal et celui de Denisova. Les gênes conservées représentent des avantages adaptatifs, au moins sur le moment. Les populations africaines présentent le plus haut niveau de diversité génétique de la planète. En outre, la diversité des populations non africaines diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Afrique en raison des goulots d’étranglement.

En ce qui concerne l’Europe, on peut dire que ses populations actuelles sont le résultat d’un fort métissage entre trois composantes génétiques qu’on associe à des ascendances différentes : les chasseurs-cueilleurs de l’ouest de l’Europe au mésolithique, les peuples fermiers provenant de l’Anatolie au néolithique et les migrations provenant des steppes de l’Asie centrale, associées à la culture Yamna. Ces composantes sont en proportion très variables selon la région géographique étudiée. Ainsi, les analyses de l’ADN datant de différentes époques, du mésolithique à nos jours, montrent que la composante génétique « chasseur-cueilleur » a commencé à être fortement diluée par l’arrivée des fermiers du Levant et l’assimilation des chasseurs-cueilleurs locaux, il y a environ 8 500 ans.

Les populations européennes d’aujourd’hui sont donc hautement métissées, porteuses de matériel génétique emprunté à différents groupes de migrants – et auquel il faut également ajouter la composante néandertalienne.

L’auteur donne des indications sur le reste du monde. La variation génétique permet une meilleure adaptation à l’environnement. Ainsi, les peuples éleveurs de bétail ont la capacité de digérer le lait à l’âge adulte aussi bien en Europe qu’en Afrique.

Il en est de même de la couleur de la peau. À la différence de celle d’autres primates, la peau humaine n’est pas couverte d’une épaisse couche de poils et est en contact direct avec l’environnement. L’exposition aux rayonnements du soleil est ainsi le moteur principal de l’évolution de la pigmentation avec de fortes pressions de sélection favorisant une pigmentation plus foncée aux latitudes basses, en raison de la protection évidente qu’elle offre contre les photos-dommages (par exemple les mélanomes), et surtout pour éviter la photo-dégradation du folate, un métabolite essentiel au développement du tube neural embryonnaire et à la spermatogenèse. En revanche, la sélection a favorisé une pigmentation plus claire aux latitudes élevées, afin de maintenir la production de la vitamine D, synthétisée dans la peau sous l’effet des rayons ultraviolets, dans les régions où les niveaux d’irradiation UV sont plus faibles.

Le variant génétique associé à une peau plus claire a probablement atteint son point de fixation chez les Européens à une période relativement récente, au cours des quatre mille dernières années.

Le livre fourmille d’informations de ce genre que l’on ne peut reprendre ici. Il montre que les mécanismes adaptatifs continuent d’agir dans notre contemporain. Il existe ainsi une génétique humaine des maladies contagieuses. Une mutation ancienne profitable peut devenir ensuite un désavantage : un morceau d’ADN hérité de Neandertal serait aujourd’hui un facteur aggravant de la Covid-19 !

Bien évidemment la génétique évolue aussi en fonction de la culture, ne serait qu’en raison des règles de parenté.

En conclusion : « Indépendamment de sa nature ou de son intensité actuelle, la sélection naturelle n’est qu’un des mécanismes par lesquels l’évolution se produit. Il va de soi que notre espèce continue à évoluer, puisque l’évolution n’est que le changement progressif d’une population dans un environnement donné, qui change lui aussi au fil du temps. Nous avons vu comment le métissage entre populations humaines, particulièrement en Amérique latine, en Afrique ou à Madagascar, est non seulement un catalyseur de la diversité humaine, à la fois génétique et culturelle, mais aussi un accélérateur de l’adaptation biologique des humains à leurs milieux changeants. Il est donc probable qu’au rythme auquel les environnements sont aujourd’hui modifiés (par le changement climatique, l’exploitation massive des ressources naturelles, la déforestation et l’arrivée de nouveaux défis infectieux comme la Covid-19, etc.) les migrations et les métissages grandissants entre populations humaines suite à la mondialisation représentent des mécanismes primordiaux d’évolution de notre espèce dans le futur proche. De ce fait, Homo sapiens n’a pas fini d’évoluer… »


Une histoire génétique : notre diversité, notre évolution, notre adaptation de Lluis Quintana-Murci, Collège de France/Fayard, 2021, 96 p.

Lluis Quintana-Murci, professeur du Collège de France, présente ici une synthèse abordable par le grand public des derniers résultats de la génétique des populations au service de l’histoire. Dans cette discipline, les progrès sont fulgurants grâce à la diminution des coûts (en 2001, le premier séquençage du génome humain avait coûté 2,7 milliards de dollars, la même opération...

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