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Politique - Interview

"Pour un véritable changement en 2022, les Libanais devront défier leurs dirigeants"

Le politologue Sami Atallah, fondateur du think tank The Policy Initiative, répond aux questions de L’Orient-Le Jour sur les principaux enjeux de cette nouvelle année potentiellement porteuse de changement au Liban.

Une séance parlementaire présidée par Nabih Berry le 7 décembre 2021. Photo Nabil Ismail

Après deux années particulièrement difficiles, les Libanais s’apprêtent à affronter une nouvelle année riche en défis, mais potentiellement porteuse de changement. Les élections parlementaires et présidentielle, les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les dynamiques régionales liées à l’accord sur le nucléaire iranien seront, en effet, des échéances décisives pour l’avenir du Liban. Le politologue Sami Atallah, fondateur du think tank The Policy Initiative, répond aux questions de l’Orient-Le Jour sur les principaux enjeux de cette année.

Les Libanais peuvent-ils espérer que l’année 2022 soit porteuse de changement avec les législatives prévues en mai ?

Les élections de 2022 sont effectivement perçues par une partie de la société comme le véhicule démocratique du changement. Toutefois, je ne partage pas totalement ce point de vue. En analysant empiriquement les élections de ces trente dernières années, il est clair que les consultations populaires sont toujours contrôlées par le pouvoir, que ce soit au niveau du financement, de la campagne dans les médias, ou même du découpage électoral. Il ne s’agira donc pas d’une bataille équitable entre le système et le camp réformateur. Cela est d’autant plus vrai que les partis traditionnels disposent d’un arsenal clientéliste important, qui fera pencher les résultats en leur faveur. Le risque, c’est que le scrutin soit une opportunité pour la classe politique de se réapproprier une légitimité perdue aux yeux des Libanais et des pays étrangers, et non pas une opportunité de changement.

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Comment les groupes du camp réformiste peuvent-ils espérer faire une percée en 2022 ?

Pour que les groupes du camp réformiste puissent obtenir de bons résultats lors des élections cette année, ils doivent surtout s’organiser. Il existe aujourd’hui plus d’une dizaine de mouvements se réclamant de la contestation du 17 octobre 2019. En soi, ce n’est pas un problème, mais il faut éviter que ces mouvements se fassent de l’ombre et opter plutôt pour une stratégie unitaire. Il faut également que ces groupes atteignent la plus large frange possible de la population. Certains mouvements parient sur les programmes politiques pour attirer les électeurs. Si cette stratégie est efficace pour attirer un électorat urbanisé et éduqué, il en faut plus pour mobiliser les masses. En préparation des élections de 2022, il est primordial que les partis de l’opposition se mobilisent sur le terrain et partent à la rencontre de leurs électeurs potentiels. Il est aussi crucial qu’ils fassent comprendre aux électeurs que même s’ils les élisent, ils pourront toujours les défier plus tard s’ils ne tiennent pas leurs promesses. C’est cela la condition cruciale pour entamer un véritable changement dans le pays en 2022 et à l'avenir : que les Libanais apprennent à défier leurs dirigeants.

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Outre la bataille entre le camp réformateur et les partis traditionnels, quelles dynamiques pourrions-nous voir lors du scrutin législatif entre les partis du système eux-mêmes ?

En analysant les partis traditionnels, il faut toujours réfléchir par confession. Sur la scène chrétienne, la bataille sera déterminante, car elle est directement liée à l’élection du successeur de Michel Aoun à la magistrature suprême. Les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et les Marada vont donc tout investir dans ce scrutin. Mais quel que soit le résultat, difficile d’imaginer un scénario où l’élection du président ne se ferait pas via un large consensus entre les différents partis, comme ce fut le cas avec Michel Aoun et le fameux compromis présidentiel de 2016. D’ailleurs, il se peut qu’il y ait un vide présidentiel le temps de trouver un candidat consensuel.

Bien entendu, les autres groupes seront également de la partie. Par exemple, alors que tout semble indiquer que son allié aouniste risque de reculer au profit de groupes qui lui sont plus hostiles, le Hezbollah sera probablement sur la défensive et voudra avoir son mot à dire. Dans la même veine, le Courant du futur, ou le nouveau leadership sunnite qui pourrait émerger, prendrait part aux tractations. La réalité c’est que du fait du système politique libanais, la majorité parlementaire importe peu, les groupes politico-confessionnels finissant par gouverner ensemble.

Le président Aoun a évoqué, dans son dernier discours, un dialogue national sur le système politique libanais et le passage vers un État civil. Il s’agit également d’une demande du mouvement de contestation. Pensez-vous que des négociations à ce sujet pourraient être entamées en 2022 ?

C’est une possibilité. Toutefois, il faut savoir que la classe politique traditionnelle ne s’engagera dans cette voie que si celle-ci est conforme aux intérêts des différents acteurs. Il peut s’agir d’une façon de sortir d’un blocage politique ou de se redistribuer les ressources du pays. Par exemple, la question de la décentralisation administrative risque de se transformer en partage du fromage entre les différents protagonistes, et ne sera donc pas discutée sous l’angle du développement ou de la représentativité des régions. Une étude à laquelle j’ai participé montre, en effet, que sur les questions de politiques publiques, au sein d’un même parti politique et d’un même groupe confessionnel, les points de vue divergent souvent radicalement. C’est simple, les partis au pouvoir ne peuvent pas exister hors du cadre confessionnel.

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Pourtant, ce sont les questions de politiques publiques qui intéressent le plus les Libanais. Face à la paupérisation croissante de la société, pensez-vous que l’année 2022 pourra être celle de la reprise économique ?

Tout dépend ce qu’on entend par reprise. Il serait illusoire de s’attendre à une distribution équitable des pertes ou à un programme économique qui redéfinisse le contrat social au Liban sur des bases plus égalitaires. Si elle arrive à débloquer des fonds, la classe dirigeante les orientera de façon compatible avec ses intérêts et ceux des cercles financiers qui lui sont proches, tout en restaurant un semblant de normalité et en promouvant l’idée que la crise touche à sa fin. Pour contenir les masses, elle aura probablement recours au clientélisme et à la distribution d'argent liquide. La classe politique fera tout pour éviter la mise en place d’un État providence qui permettrait aux différentes bases confessionnelles de devenir indépendantes des réseaux clientélistes.

Une baisse des tensions au Moyen-Orient en 2022 pourrait-elle profiter au Liban ?

La stabilité de la région est nécessaire, mais pas suffisante. Si le Moyen-Orient est stable, cela épargnera aux Libanais les aléas de la géopolitique. Mais cela n’exonère pas la classe dirigeante de ses responsabilités : réfléchir aux intérêts du Liban dans la gestion des affaires étrangères et lui permettre de desservir le monde arabe tant au niveau des services que de la production. Or, encore une fois, les décideurs agiront toujours selon leurs intérêts aux dépens de ceux du pays.



Après deux années particulièrement difficiles, les Libanais s’apprêtent à affronter une nouvelle année riche en défis, mais potentiellement porteuse de changement. Les élections parlementaires et présidentielle, les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les dynamiques régionales liées à l’accord sur le nucléaire iranien seront, en effet, des échéances...

commentaires (6)

Faut pas rêver !

Chucri Abboud

12 h 56, le 04 janvier 2022

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Commentaires (6)

  • Faut pas rêver !

    Chucri Abboud

    12 h 56, le 04 janvier 2022

  • Sombres augures... M. Atallah décrit hélas un avenir probable. J’aurais aimé une analyse plus fouillée de l’effet dévastateur de la main-mise iranienne. Le Liban est aujourd’hui un porte-avions au service de Téhéran. La coloration sectaire du Hezbollah et son emprise sur le pouvoir font les affaires des autres seigneurs féodaux. Ils sont en réalité l’épouvantail dont les autres sangsues ont besoin pour exister, Dans un Liban débarassé du Hezbollah et doté d’un pouvoir civil normal, les FL seraient complètement obsolètes...

    El moughtareb

    09 h 23, le 04 janvier 2022

  • J,AI JAMAIS VU UN JOURNAL QUI HUMILIE EN CENSURANT LEURS LIBRES EXPRESSIONS A SES ABONNES ET QUI A LE CULOT DE LEUR DEMANDER EN SU DE S,ABONNER DE LE SOUTENIR. PUBLIEZ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 58, le 03 janvier 2022

  • Les prochaines élections sont l'occasion de renover le système politique, modifier la classe politique et réduire la féodalité!!

    LTEIF Salim

    11 h 50, le 03 janvier 2022

  • IL FAUT FINIR AVEC LES FILS ET FILLES DE PAPA, PETITS FILS ET PETITES FILLES DE GRAND-PAPA, GENDRES ET BELLES FILLES DES BEAU-PERES ET BELLES MERES, DE TOUS LES ZAIMS HERITIERS ET HERITIERES, DE TOUS LES IMPOSES ET LEURS FAMILLES ET ENTOURAGES, DE TOUS LES MERCENAIRES DE TOUTES SORTES ET... ET... ET,... LE JOB EST IMMENSE. IL FAUT UN HERCULE POUR NETTOYER TOUTES LES ETABLES DE BETAILS DIVERS AVEC LEURS PANURGES. ET CE HERCULE N,EST AUTRE QUE LE PEUPLE LUI-MEME. CHOSE, HELAS ! IMPOSSIBLE QUAND L,ECRASANTE MAJORITE DU PEUPLE S,EST TRANSFORMEE EN MOUTONS, EN ANES, EN MULETS ET EN BETAIL DIVERS QUI TOUS BROUTENT L,HERBE SECHE QU,ON LEUR JETTE DANS LES ETABLES RESPECTIVES DE LEURS PANURGES ZAIMS. UN TEL PEUPLE N,EST PAS DIGNE DE PLUS DE CE QU,IL A. - MAIS QUELLE EST LA FAUTE DU RESTE DES CITOYENS PATRIOTES QUI SONT PRIS DANS LES MOUVANCES NEFASTES D,UNE MAJORITE ESCLAVE DE GRAND GRAND PERES A ARRIERES PETITS FILS ET FILLES D,ARCHAIQUES INSTINCTS ? LE RESTE DEVRAIT S,UNIR AVEC POUR EMBLEME : LA LIBERTE OU LA MORT ! ET RISQUER TOUT POUR DERACINER CETTE PESTE QUI CONDUIT LE PAYS A SA MORT CERTAINE. RESISTANTS QUI AVEZ VAINCU ET CHASSER ARAFAT ET LIBERE LE LIBAN, LA VRAIE LIBERATION, OU ETES-VOUS HEROS DE LA PREMIERE HEURE ? LE LIBAN VOUS ATTEND. IL ATTEND SA SECONDE VRAIE LIBERATION. SI ON VOUS DEMANDE : GUERRE CIVILE OU DISPARITION DU LIBAN, REPONDEZ : GUERRE CIVILE ET SAUVETAGE DU LIBAN. AINSI SOIT-IL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 22, le 03 janvier 2022

  • En conclusion: pas d'optimisme exagéré. Si (et ce n'est pas garanti, loin de là!) l'opposition réussit à dépasser ses divergences et s'organiser en ordre de bataille, elle peut espérer, dans les circonscriptions urbaines (les montagnards restent toujours attachés à leur zaïm) quelques petites victoires. En aucun cas un tsunami. Tant que le LIban sera sous le régime de la "démocratie consensuelle" (un euphémisme libanais pour définir un système où tout projet, toute décision doit faire l'objet de marchandages), aucun salut ne sera possible. Pas d'autre solution qu'une mise sous tutelle.

    Yves Prevost

    07 h 45, le 03 janvier 2022

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