Après deux années particulièrement difficiles, les Libanais s’apprêtent à affronter une nouvelle année riche en défis, mais potentiellement porteuse de changement. Les élections parlementaires et présidentielle, les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les dynamiques régionales liées à l’accord sur le nucléaire iranien seront, en effet, des échéances décisives pour l’avenir du Liban. Le politologue Sami Atallah, fondateur du think tank The Policy Initiative, répond aux questions de l’Orient-Le Jour sur les principaux enjeux de cette année.
Les Libanais peuvent-ils espérer que l’année 2022 soit porteuse de changement avec les législatives prévues en mai ?
Les élections de 2022 sont effectivement perçues par une partie de la société comme le véhicule démocratique du changement. Toutefois, je ne partage pas totalement ce point de vue. En analysant empiriquement les élections de ces trente dernières années, il est clair que les consultations populaires sont toujours contrôlées par le pouvoir, que ce soit au niveau du financement, de la campagne dans les médias, ou même du découpage électoral. Il ne s’agira donc pas d’une bataille équitable entre le système et le camp réformateur. Cela est d’autant plus vrai que les partis traditionnels disposent d’un arsenal clientéliste important, qui fera pencher les résultats en leur faveur. Le risque, c’est que le scrutin soit une opportunité pour la classe politique de se réapproprier une légitimité perdue aux yeux des Libanais et des pays étrangers, et non pas une opportunité de changement.
Comment les groupes du camp réformiste peuvent-ils espérer faire une percée en 2022 ?
Pour que les groupes du camp réformiste puissent obtenir de bons résultats lors des élections cette année, ils doivent surtout s’organiser. Il existe aujourd’hui plus d’une dizaine de mouvements se réclamant de la contestation du 17 octobre 2019. En soi, ce n’est pas un problème, mais il faut éviter que ces mouvements se fassent de l’ombre et opter plutôt pour une stratégie unitaire. Il faut également que ces groupes atteignent la plus large frange possible de la population. Certains mouvements parient sur les programmes politiques pour attirer les électeurs. Si cette stratégie est efficace pour attirer un électorat urbanisé et éduqué, il en faut plus pour mobiliser les masses. En préparation des élections de 2022, il est primordial que les partis de l’opposition se mobilisent sur le terrain et partent à la rencontre de leurs électeurs potentiels. Il est aussi crucial qu’ils fassent comprendre aux électeurs que même s’ils les élisent, ils pourront toujours les défier plus tard s’ils ne tiennent pas leurs promesses. C’est cela la condition cruciale pour entamer un véritable changement dans le pays en 2022 et à l'avenir : que les Libanais apprennent à défier leurs dirigeants.
Outre la bataille entre le camp réformateur et les partis traditionnels, quelles dynamiques pourrions-nous voir lors du scrutin législatif entre les partis du système eux-mêmes ?
En analysant les partis traditionnels, il faut toujours réfléchir par confession. Sur la scène chrétienne, la bataille sera déterminante, car elle est directement liée à l’élection du successeur de Michel Aoun à la magistrature suprême. Les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et les Marada vont donc tout investir dans ce scrutin. Mais quel que soit le résultat, difficile d’imaginer un scénario où l’élection du président ne se ferait pas via un large consensus entre les différents partis, comme ce fut le cas avec Michel Aoun et le fameux compromis présidentiel de 2016. D’ailleurs, il se peut qu’il y ait un vide présidentiel le temps de trouver un candidat consensuel.
Bien entendu, les autres groupes seront également de la partie. Par exemple, alors que tout semble indiquer que son allié aouniste risque de reculer au profit de groupes qui lui sont plus hostiles, le Hezbollah sera probablement sur la défensive et voudra avoir son mot à dire. Dans la même veine, le Courant du futur, ou le nouveau leadership sunnite qui pourrait émerger, prendrait part aux tractations. La réalité c’est que du fait du système politique libanais, la majorité parlementaire importe peu, les groupes politico-confessionnels finissant par gouverner ensemble.
Le président Aoun a évoqué, dans son dernier discours, un dialogue national sur le système politique libanais et le passage vers un État civil. Il s’agit également d’une demande du mouvement de contestation. Pensez-vous que des négociations à ce sujet pourraient être entamées en 2022 ?
C’est une possibilité. Toutefois, il faut savoir que la classe politique traditionnelle ne s’engagera dans cette voie que si celle-ci est conforme aux intérêts des différents acteurs. Il peut s’agir d’une façon de sortir d’un blocage politique ou de se redistribuer les ressources du pays. Par exemple, la question de la décentralisation administrative risque de se transformer en partage du fromage entre les différents protagonistes, et ne sera donc pas discutée sous l’angle du développement ou de la représentativité des régions. Une étude à laquelle j’ai participé montre, en effet, que sur les questions de politiques publiques, au sein d’un même parti politique et d’un même groupe confessionnel, les points de vue divergent souvent radicalement. C’est simple, les partis au pouvoir ne peuvent pas exister hors du cadre confessionnel.
Pourtant, ce sont les questions de politiques publiques qui intéressent le plus les Libanais. Face à la paupérisation croissante de la société, pensez-vous que l’année 2022 pourra être celle de la reprise économique ?
Tout dépend ce qu’on entend par reprise. Il serait illusoire de s’attendre à une distribution équitable des pertes ou à un programme économique qui redéfinisse le contrat social au Liban sur des bases plus égalitaires. Si elle arrive à débloquer des fonds, la classe dirigeante les orientera de façon compatible avec ses intérêts et ceux des cercles financiers qui lui sont proches, tout en restaurant un semblant de normalité et en promouvant l’idée que la crise touche à sa fin. Pour contenir les masses, elle aura probablement recours au clientélisme et à la distribution d'argent liquide. La classe politique fera tout pour éviter la mise en place d’un État providence qui permettrait aux différentes bases confessionnelles de devenir indépendantes des réseaux clientélistes.
Une baisse des tensions au Moyen-Orient en 2022 pourrait-elle profiter au Liban ?
La stabilité de la région est nécessaire, mais pas suffisante. Si le Moyen-Orient est stable, cela épargnera aux Libanais les aléas de la géopolitique. Mais cela n’exonère pas la classe dirigeante de ses responsabilités : réfléchir aux intérêts du Liban dans la gestion des affaires étrangères et lui permettre de desservir le monde arabe tant au niveau des services que de la production. Or, encore une fois, les décideurs agiront toujours selon leurs intérêts aux dépens de ceux du pays.
commentaires (6)
Faut pas rêver !
Chucri Abboud
12 h 56, le 04 janvier 2022