En l’espace de quatre jours, le secrétaire général adjoint du Hezbollah Naïm Kassem a prononcé deux discours, l’un plus virulent que l’autre. Une initiative qui contraste avec la paralysie qui prévaut au niveau des institutions publiques et de la vie politique dans le pays. Qu’avait donc de si important à dire le numéro deux du parti chiite pour déployer autant d’énergie et de temps sur des sujets et des positions qui n’avaient rien d’inédit ?
Aussi bien samedi dernier, que mardi soir, date du second discours, c’est de la « Résistance » et des ennemis de la « Résistance » qu’il s’agissait, encore et toujours. Sauf que, ce qui a changé cette fois-ci, c’est le ton particulièrement provocateur que le dignitaire chiite a utilisé.
« La double prestation de Naïm Kassem relevait d’une réaction teintée d’émotivité, ce qui est rare pour les hauts responsables du parti connus pour leur sang-froid lors de ce type d’exercice », commente l’analyste Ali el-Amine, un indépendant chiite hostile au Hezbollah. Samedi dernier, Naïm Kassem a créé la polémique en invitant ceux qui ne sont pas d’accord avec le style et les choix du Hezbollah à « aller voir ailleurs ». « Nous sommes avec un Liban qui veut assurer l’avenir des générations à venir, un pays souverain, indépendant et fort (…). Un Liban qui s’est fait connaître aux quatre coins du monde grâce à sa Résistance et les victoires qu’elle a enchaînées. C’est ce Liban que nous voulons. Que ceux qui partagent ce choix nous rejoignent. Sinon qu’ils aillent voir ailleurs », a-t-il dit.
Cette bravade a aussitôt déclenché des réactions furieuses, notamment parmi les personnalités hostiles au parti pro-iranien qui ont estimé que le dignitaire chiite était allé trop loin. « Ne prenez pas vos rêves pour la réalité. C’est à vous d’aller voir ailleurs », a aussitôt riposté le chef des Kataëb, Samy Gemayel.
Mardi, le secrétaire général adjoint est revenu à la charge, pour accuser les adversaires du parti chiite d’être à la solde des puissances étrangères, en l’occurrence les États-Unis et les pays du Golfe. Dans une tirade manichéenne, Naïm Kassem a fait, comme à son habitude, l’apologie de la « Résistance » et des armes du Hezbollah, le seul rempart selon lui contre les agressions israéliennes, avant de diaboliser tous ceux qui cherchent à « nuire à la réputation » du parti. Le dignitaire chiite a accusé les États-Unis et les pays du Golfe d’orchestrer cette campagne de dénigrement en soudoyant « les résidus de ce qui fut jadis le camp du 14 Mars ».
Attaquer pour mieux se défendre
Ce n’est pas la première fois que le Hezbollah recourt à ce style lorsqu’il se sent cerné ou isolé. Pour mieux dissimuler ses craintes, il passe à l’offensive et sort ses griffes pour montrer qu’il reste en position de force. Dans ces deux allocutions, Naïm Kassem, qui n’a pas hésité à rappeler la force du parti et sa prééminence sur le terrain libanais aussi bien que régional, s’est placé dans la position de la « victime » que ses ennemis cherchent à « isoler » à l’aide « d’agents » de l’intérieur qui travaillent pour le compte des grandes puissances. Dans les milieux proches du parti chiite, on reconnaît certes qu’il s’agit effectivement d’un changement d’intonation qui s’expliquerait par le fait que le Hezbollah se sent de plus en plus la cible d’attaques coordonnées à l’intérieur comme à l’extérieur. « L’escalade est, pour le parti, une manière de couper la voie à ceux qui parient sur sa faiblesse et ceux qui pensent qu’il est en voie de déclin. Il dit haut et fort qu’il ne fera pas de concession sous la pression », commente pour L’Orient-Le Jour Kassem Kassir, un analyste connaisseur des milieux chiites. Pour lui, ce sont surtout les propos accusant la formation chiite d’œuvrer à « iraniser » le Liban qui irritent le parti au plus haut point. Téhéran aide effectivement le Hezbollah « sans pour autant demander quoi que soit en retour, encore moins pour servir ses intérêts », a insisté Naïm Kassem.
Depuis l’affaire de l’enquête sur l’explosion de Beyrouth, suivie des incidents meurtriers de Tayouné, dont la responsabilité a été attribuée par le Hezbollah aux Forces libanaises mais aussi, à une main invisible saoudienne, la paranoïa du parti s’est exaspérée entraînant un durcissement de ton qu’il fait fluctuer selon les circonstances, maniant tantôt la carotte tantôt le bâton. « Réglons ce problème avant qu’il ne s’amplifie », a prévenu Naïm Kassem en évoquant le besoin d’écarter l’enquêteur judiciaire Tarek Bitar pour trouver une solution à la paralysie de l’exécutif.
Turbulences régionales
Cependant, ce n’est pas uniquement sur le plan intérieur qu’il faut rechercher les causes des appréhensions du Hezbollah et les raisons de cette escalade, mais également au niveau des bouleversements sur le plan régional. La tentative de rapprochement entre les Émirats arabes unis et la Syrie, l’incertitude du terrain irakien et yéménite, mais aussi le récent sommet entre le président français Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien, qui ont placé dans leur viseur l’arsenal du parti chiite, sont autant de sources d’inquiétude pour ce dernier qui craint de faire les frais des turbulences de la géopolitique. Son attitude que certains croient souvent dictée par l’Iran ne serait d’ailleurs pas complètement indissociable des négociations irano-américaines sur le nucléaire qui semblent faire du surplace. « Il faut toujours partir du point de vue selon lequel ce sont les calculs régionaux qui comptent le plus pour le Hezbollah et qui dictent généralement le tempo de ses discours », dit Ali el-Amine.
À qui veut l’entendre, le message du Hezbollah à saisir sur les deux scènes interne et externe serait le suivant : le parti chiite n’est pas prêt à envisager des compromis. Il reste le plus fort et accroît son emprise sur le pays. Ceux qui souhaitent jouer, doivent le faire selon ses règles. Quant à l’autre message, il est adressé à tous ceux qui envisageraient un changement de système politique ou une modification des équilibres en place. « Il consiste à dire : oubliez la question de la stratégie de défense pour le moment », commente Ali el-Amine, en référence à la volonté de désarmer la milice pro-iranienne au profit de l’armée libanaise.
Le parti chiite a horreur du changement. Il ne veut pas que l’on touche au statu quo et cherche à tout prix à préserver l’establishment politique actuel qui a assuré sa survie à ce jour. « Le Hezbollah est très dérangé par le retrait du chef du courant du Futur de la scène politique. Il donnerait tout pour que Saad Hariri soit remis en selle », conclut Ali el-Amine.
commentaires (29)
Vous m’avez censuré qu’à cela ne tienne. Je réaffirme que ces barbus déguisés en homme de foi et de lois sont aussi dangereux que les terroristes qu’ils défendent. Le Kassem vient d’annoncer aux libanais que le pays est sous tutelle iranienne grâce aux mercenaires armés et que si les libanais ne sont pas contents qu’ils s’en aille? Oui bien sûr, nous partirons mais sur vos cadavres qu’on utilisera comme passerelles et chevauchera pour monter dans les avions ou les bateaux qui viendraient nous récupérer. Les libanais sont prêts à défendre leur pays et ce sont eux qui décideraient de l’endroit et de l’heure.
Sissi zayyat
12 h 52, le 17 décembre 2021