Rechercher
Rechercher

Les mirages de Djeddah

À la tatillonne manière des experts-comptables, on n’a pas fini de décortiquer, dresser, retoucher et peaufiner le bilan de ce lumineux samedi de décembre qui a vu poindre à Djeddah les prémices d’un dégel des relations libano-saoudites.


À peu de chose près, les pertes et profits demeurent jusqu’à nouvel ordre inchangés, pour les trois protagonistes de cet important développement. De sa tournée express dans le Golfe, le président Emmanuel Macron ramène, outre une masse de contrats commerciaux et financiers, la double satisfaction d’avoir réalisé un éclatant succès diplomatique en tirant le Liban d’un mauvais pas. À quelques mois de l’élection présidentielle française il y a largement là de quoi faire taire ceux qui ne manqueront pas de lui reprocher sa poignée de main, puis ses échanges, avec le prince héritier d’Arabie, boudé des chefs d’État occidentaux depuis l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.


Ainsi confirmé dans son incontournable statut de monarque de facto, daignant prendre acte de la démission d’un ministre libanais par trop bavard que lui apportait dans ses bagages le président français, l’émir Mohammad ben Salman pouvait bien alors faire preuve de magnanimité ; de là où il ne voulait plus entendre parler d’un Liban arraisonné par le Hezbollah, le voilà en effet disposé à rétablir les ponts. L’heureux lauréat du troisième prix est le chef du gouvernement libanais, aussitôt joint au téléphone par les deux vedettes du sommet de Djeddah pour lui faire part des belles volutes de fumée blanche. Gros succès de prestige pour Nagib Mikati, consacré en tant qu’interlocuteur libanais non seulement agréé mais nettement privilégié, Macron se promettant d’appeler plus tard le président Michel Aoun, que briefait hier seulement l’ambassadrice de France. Mais Dieu, qu’il va falloir se démener pour honorer le cahier des charges conjointement établi par la France et l’Arabie et décrocher la timbale !


Car ce sont de véritables travaux d’Hercule qui sont requis d’un État libanais trop oublieux de ses obligations et bien trop loqueteux aujourd’hui pour se résoudre à y faire face. Bien longue en effet est la liste des exigences, qui vont du strict respect de la Constitution et des résolutions de l’ONU à la lutte contre la corruption et la contrebande, en passant par le désarmement des milices. Peut-on raisonnablement en demander autant à l’homme malade de la région qu’est devenu notre pays ? Une quelconque période de grâce nous est-elle ou non concédée ?


Non moins pressantes sont les autres interrogations que suscite l’injonction franco-saoudite. Parlant de bilan, on ne sait toujours pas comment comptabiliser le subit feu vert qu’ont fini par donner les alliés de Damas et Téhéran à la démission du ministre Cordahi, dont les propos avaient entraîné les sanctions saoudites contre le Liban. Du coup ont fleuri les spéculations quant à certains trocs actuellement négociés dans les coulisses. C’est bien vrai que nous sommes après tout au Liban, où la tradition politique n’a retenu de l’héritage phénicien que le culte du mercantilisme. Mais il doit bien exister, bon sang, des limites à l’outrecuidance, à l’heure où la course à la présidence et la sauvegarde de l’impunité pour les corrompus servent de toile de fond à tous ces marchandages, dans un pays rongé jusqu’à l’os par les loups. Encore plus révoltantes deviennent ces manœuvres quand elles visent l’enquête sur la meurtrière explosion d’août 2020 dans le port de Beyrouth.


D’un côté de la balance, le courageux juge d’instruction Tarek Bitar et, de l’autre, les tristes prétendants au trône : rien que d’imaginer la cauchemardesque scène devrait déjà relever du déséquilibre mental.

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

À la tatillonne manière des experts-comptables, on n’a pas fini de décortiquer, dresser, retoucher et peaufiner le bilan de ce lumineux samedi de décembre qui a vu poindre à Djeddah les prémices d’un dégel des relations libano-saoudites.À peu de chose près, les pertes et profits demeurent jusqu’à nouvel ordre inchangés, pour les trois protagonistes de cet important...