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Nos Lecteurs ont la Parole

Aux origines de la Sainte-Barbe

Aux origines de la Sainte-Barbe

La plus ancienne photo attestée d’une célébration de la fête de la Sainte-Barbe au Liban fut prise à Amchit en 1914 par un frère mariste qui a photographié ses élèves déguisés. Photo publiée par Bassam Lahoud (archives des frères maristes, Amchit)

La Sainte-Barbe est un rendez-vous annuel de la tradition libanaise. Célébrée la veille du 4 décembre, il s’agit de l’unique fête avant Noël qui est marquée par des festivités tant culinaires qu’humaines : les fameuses « kataefs », « oueimats », « amhiyas » et autres pâtisseries orientales sont confectionnées en famille ou achetées et offertes aux visiteurs, mais c’est surtout une occasion pour se déguiser afin de prendre le rôle de personnages divers et faire le tour des maisons du village.

Cette fête concerne toutes les tranches d’âge, mais ce sont plutôt les enfants qui circulent en entonnant des chants. Comme la plupart des traditions, elle est née autour du culte de la sainte éponyme. Barbara, ou Barbe, d’Héliopolis vécut au IIIe siècle à Héliopolis (Baalbeck), même si d’autres sources citent Nicomédie (l’actuel Izmit en Turquie). À Baalbeck, on peut repérer des détails géographiques surprenants en relation avec sa vie, comme la place où elle fut exécutée par son père qui la décapita ou une roche divisée en deux parties permettant un passage pour la sainte martyre.

Naturellement, on retrouve des églises dédiées à la sainte à Baalbeck et dans d’autres villages du Liban. Dans ces endroits, c’est la présence de ces églises qui est à l’origine de l’engouement de la population pour cette fête.

À Amchit, village réputé pour la Sainte-Barbe, on rencontre des prénoms tels que Barbara pour les filles ou même Barbar pour les garçons. La tradition culinaire a sans doute précédé la tradition vestimentaire. Les gens portaient des costumes et se rendaient les uns chez les autres dès le début du XXe siècle. Les tout premiers déguisements étaient simples : un chapeau, une robe empruntée à la grand-tante, un « gumbaz » emprunté à son père, etc. Les gens partaient de village en village cherchant des célébrations, et Amchit était une destination prisée. On y venait de Zouk, de Batroun. Éléonore Karam, une habitante de Amchit décédée depuis peu, se souvenait qu’étant petite, ses parents recevaient à Amchit des gens inconnus qui venaient de loin ; alors que son mari racontait qu’à l’âge de 13 ans, il avait emprunté la soutane de son oncle prêtre et il s’était rendu chez les voisins. C’était en 1943. On retrouve ce même engouement pour la Sainte-Barbe encore aujourd’hui, mais la tenue vestimentaire est plus élaborée.

Pour Paul Sleiman, peintre et acteur de Amchit, un féru de cette fête, c’est un rendez-vous à ne pas rater. Il possède dans son album des centaines de photos le montrant déguisé avec ses amis. Chaque année, il jette son dévolu sur un personnage différent : personnalités politiques, religieuses, un vieil homme marchant à l’envers, deux personnages en une seule personne, l’un vieux et l’autre jeune, etc. Dans son atelier, où l’on est embarqué dans une randonnée artistique, il explique avec enthousiasme : « À Amchit, cette fête est particulière. On respecte un certain code, on tient à ce que le costume ou le personnage soit bien choisi. Les maisons s’ouvraient toujours la veille de la Sainte-Barbe. Mais avec l’avènement des bals masqués au club du village dès les années 1960, les gens préféraient aller à ces soirées plutôt que dans les maisons et, peu à peu, la tradition de faire des visites disparaissait. » Aujourd’hui, la crise due au Covid-19 diminue encore les festivités.


Fabrication de « katayefs » à Amchit pour la Sainte-Barbe : une façonneuse horizontale de pâtons spéciale est installée chaque année dans une boulangerie. Photo Frédéric Zakhia (2017)

La plus ancienne photographie de la célébration au Liban

Bassam Lahoud, photographe et directeur de la Maison libanaise de la photographie, brandit une photo datant de 1914 qui serait la plus ancienne qui atteste de cette célébration au Liban. Elle est prise le 4 décembre à Amchit chez les frères maristes. « L’un des frères a dû la prendre, mais son nom n’est pas mentionné. Les personnes dans la photo sont des élèves de cette époque, mais je ne connais pas les noms », indique-t-il. Et le photographe de poursuivre : « Dans le temps, on prenait des portraits individuels ou de couples, mais comme célébration, ce cliché regroupant plusieurs individus en même temps doit être le plus ancien au Liban. » De son côté, Michel B. Karam, un passionné des archives historiques et un adhérent invétéré de cette fête qui a posté sur son compte Facebook une centaine de photos en noir et blanc de personnes déguisées, analyse la photo de 1914 en disant que le fait de porter des chapeaux de cow-boy montre que ces individus ont été habillés par des immigrants revenus des Amériques. Selon lui, les célébrations à Amchit ont dû commencer avec la restauration d’une vieille église en ruine dont la sainte patronne était Barbara, et avec la consécration de cette église au cours du XIXe siècle.

Quant à Éléonore Karam, dont le second prénom était Barbara (le second prénom est généralement un nom de saint qu’on reçoit lors du baptême), elle racontait que si l’on fait un vœu à sainte Barbara, on doit absolument l’exécuter.

Du point de vue sources écrites, le bienheureux Jacques de Voragine, évêque dominicain de Gênes (XIIIe siècle), relate dans sa Légende dorée (recueil de vies de saints, ou « sinksar ») que la conversion de Barbara au christianisme s’est produite sous l’influence d’Origène, un théologien d’Alexandrie. Se consacrant au Christ, elle fuit la haute tour où son père, un dignitaire païen (il aurait dirigé la construction de la citadelle de Baalbeck), l’enferma. Errant dans les champs de blé, le récit hagiographique raconte que le blé poussa miraculeusement pour la dissimuler dans sa fugue (et de là vient la coutume de préparer des « amhiyas », une préparation à base de blé cuit, avec du sucre, de l’eau de rose, des noix et des amandes). Adulée de son vivant par les filles de sa ville, elles se faisaient enduire le visage de suie pour l’aider dans sa fuite : les soldats qui la cherchaient étaient complètement perdus en voyant des visages maquillés. Mais finalement, la jeune femme est rattrapée et conduite vers son père. Morte en martyre, son culte se répand rapidement dès le IVe siècle dans tout l’Orient et jusqu’en Europe.

Quant à Halloween, c’est une fête païenne née en Écosse au courant du XIXe siècle. Elle est tout le contraire de la Sainte-Barbe et n’est pas son équivalent occidental, comme on a tendance à le croire. Il s’agit d’une fête en l’honneur du dieu de la mort, avec des déguisements et maquillages sanguinolents en sorciers, zombies, alors que les costumes et les visages de la Sainte-Barbe restent avant tout une commémoration affectueuse et « pacifique » de la sainte.

Pr Frédéric ZAKHIA

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

La Sainte-Barbe est un rendez-vous annuel de la tradition libanaise. Célébrée la veille du 4 décembre, il s’agit de l’unique fête avant Noël qui est marquée par des festivités tant culinaires qu’humaines : les fameuses « kataefs », « oueimats », « amhiyas » et autres pâtisseries orientales sont confectionnées en famille ou achetées et...

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