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Idées - Législatives 2022

La mobilisation des expatriés, un espoir réel mais loin d’être suffisant pour le changement

La mobilisation des expatriés, un espoir réel mais loin d’être suffisant pour le changement

Des responsables libanais procèdent au comptage des bulletins dans un bureau de vote de Beyrouth, le 6 mai 2018. Photo d'archives Anwar Amro/AFP

Alors que la très grande majorité des Libanais attend avec impatience la tenue des élections législatives de 2022, l’incertitude dont le pays du Cèdre est malheureusement coutumier continue de planer sur la bonne tenue du scrutin à la date prévue… L’ensemble des citoyens et observateurs reste ainsi suspendu à la décision que doit prendre, d’ici à la mi-décembre, le Conseil constitutionnel sur le recours en invalidation, présenté par le Courant patriotique libre, des amendements parlementaires portant respectivement sur l’avancement des élections du 8 mai au 27 mars, et les modalités de vote des émigrés (avec la suspension de la circonscription spécifique à six députés qui leur a été dévolue par la loi électorale de 2017).

Ce dernier point est particulièrement crucial pour les forces en présence compte tenu de l’importante campagne menée par les partis d’opposition et les organisations de la société civile pour mobiliser une diaspora libanaise toujours plus sensible au sort politique de son pays d’origine à la suite du mouvement de protestation d’octobre 2019, de la crise multidimensionnelle que traverse le pays et de l’explosion du port de Beyrouth. Avec un succès indéniable : jeudi dernier, le ministère des Affaires étrangères a annoncé que 230 466 expatriés pourront voter lors des prochaines législatives, sur 244 442 inscrits à la date du 20 novembre et un contingent de 800 à 900 000 non-résidents en âge de voter. Un chiffre qui dépasse les prévisions initiales les plus optimistes – un baromètre diffusé par l’ONG Sawti sur les réseaux sociaux avait par exemple fixé un objectif de 150 000 inscrits, avant d’être mis à jour à 200 000 pendant la procédure. Surtout, cela représente près du triple du nombre d’expatriés inscrits (83 000) lors du précédent scrutin en 2018, lorsqu’ils avaient été autorisés pour la première fois à voter, et une hausse d’environ 7,9 % par rapport au nombre total d’électeurs enregistrés en 2018.

Première étape

Mais quel impact réel ce chiffre, a priori impressionnant, peut-il avoir sur le scrutin prévu au printemps prochain ? Avant de faire la danse de la victoire, plusieurs facteurs, et non des moindres, sont en effet à prendre en compte. Le premier concerne le profil de ceux qui se sont inscrits pour voter, inconnu jusqu’à présent. S’agit-il de Libanais expatriés depuis des années et qui ne se réveillent que maintenant avec le désir de sauver leur patrie ? Dans ce cas, l’augmentation des inscriptions pourrait avoir un impact significatif sur le résultat global et représenter un réel espoir pour les forces anti-establishment. Mais cet espoir pourrait néanmoins être tempéré par les contre-efforts déployés par les partis traditionnels pour mobiliser leurs partisans vivant de longue date à l’étranger et tenter ainsi d’équilibrer la balance. On peut dès lors supposer qu’au moins une partie du surplus d’inscrits devrait leur être acquis. En outre, si les inscriptions supplémentaires correspondent à des personnes qui ont quitté le pays au cours des deux dernières années de crise, alors le réservoir d’électeurs pourrait ne pas changer tellement par rapport à 2018. Partons en effet d’une double hypothèse (faute de données disponibles précises) : d’abord, que ce contingent de nouveaux expatriés (possédant souvent déjà des passeports étrangers) soit principalement issu de catégories sociales plus aisées et éduquées, et ensuite que ces dernières tendent probablement vers des sentiments anti-establishment, alors il s’agit sans doute principalement d’un déplacement de voix qui auraient été de toutes façons acquises aux forces d’opposition.

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Quoi qu’il en soit, l’augmentation du nombre d’inscriptions sur les listes électorales change au moins un peu la donne. Cependant l’inscription n’est que la première étape, et elle a été relativement facile, ne nécessitant qu’une connexion en ligne avec un passeport ou une carte d’identité libanaise et une preuve de résidence hors du Liban. Vient ensuite la deuxième étape : combien de ceux qui sont maintenant inscrits se présenteront effectivement pour voter physiquement le 27 mars ? C’est une barrière bien plus difficile à franchir que la simple inscription, car elle nécessite du temps, des efforts et des frais de déplacement, d’autant que le vote des expatriés ne peut avoir lieu que dans une ambassade ou un consulat libanais. À titre d’exemple, en 2018, il n’y avait que 126 bureaux de vote ouverts dans le monde et seuls 56 % des expatriés inscrits avaient fini par voter.

Impacts relatifs

Ensuite, bien sûr, pour les forces d’opposition qui espèrent capitaliser sur ce réservoir d’électeurs expatriés, vient la troisième étape : dans quelle mesure ces électeurs qui prennent effectivement le temps, le 27 mars, de se rendre physiquement dans un consulat porteront-ils leurs voix sur une liste d’opposition dans chaque circonscription ?

Pour tenter de répondre à cette question, modélisons l’impact potentiel que ces « nouveaux » 147 000 électeurs (par rapport à ceux de 2018) pourraient avoir sur le résultat des élections. Pour ce faire, nous utiliserons les résultats détaillés du précédent scrutin comme base de calcul, avec plusieurs hypothèses implicites (que nous remettrons en question par la suite) : que ceux qui ont voté en 2018 voteront en 2022 (et selon une participation avec un taux de participation identique par circonscription) ; que les électeurs « loyalistes » restent fidèles à leurs partis traditionnels respectifs ; que ceux qui ont voté pour des listes d’opposition dans chaque circonscription le feront à nouveau, et que les inscriptions des expatriés sont réparties proportionnellement dans toutes les circonscriptions.

Dans le meilleur des cas, si les 147 000 « nouveaux » électeurs expatriés n’ont jamais voté auparavant et que la quasi-totalité d’entre eux votent effectivement en personne le jour du scrutin, on obtient une augmentation de 8 % de la participation électorale. Si 90 % d’entre eux se regroupent derrière une liste d’opposition, cela se traduira par 16 députés antisystème

Projection basée sur le taux de participation et des résultats électoraux par conscription électorale selon les données de 2018. Crédit George Ajjan

Si toutefois, 20 000 de ces « nouveaux électeurs » demeurent fidèles aux partis traditionnels, et 20 000 sont sympathisants de l’opposition mais avaient voté dans le pays lors des dernières élections, il ne nous reste que 107 000 « nouveaux » électeurs. Et si, cette fois, le taux de participation des expatriés passe de 56 % à 70 %, il ne restera que 75 000 électeurs supplémentaires antisystème, soit une hausse de 4 %. Mais même dans le cas où seule la moitié d’entre eux voteraient pour une seule liste d’opposition, cela devrait suffire cela suffire à élire 10 députés.

Sur la base de ces calculs, il ne devrait pas être trop difficile d’atteindre 10 à 12 députés sur la seule base des expatriés, à moins que les batailles d’ego ne produisent un nombre confus de listes d’opposition. Les querelles d’ego ou idéologiques entre partis aspirant tous à ébranler la classe politique traditionnelle sont loin d’être de bon augure pour modifier substantiellement la composition du Parlement. Les récentes élections au barreau de Beyrouth constituent un exemple édifiant à cet égard et il est impératif d’éviter que ce schéma ne se répète.

Au final, l’accent mis sur les expatriés permettra probablement d’obtenir plusieurs députés d’opposition supplémentaires, mais l’impact est loin d’être décisif. C’est pourquoi se concentrer autant sur l’inscription des expatriés et ne monter pratiquement aucune campagne locale avant la fin novembre a sans doute constitué une stratégie peu judicieuse. Oui, les expatriés peuvent voter. Et parce qu’ils envoient de l’argent à leurs familles restées au pays, leurs voix ont également une influence considérable sur les préférences des électeurs. Plus important encore, ils sont une source évidente de fonds de campagne potentiels pour les candidatures d’opposition qui se concrétiseront.

Mais les expatriés ne suffisent pas. Pour changer radicalement la donne au Parlement, les forces antisystème doivent mobiliser davantage d’électeurs à l’intérieur du pays. Pour cela, il faudra des listes composées de personnes respectées et crédibles, connues et appréciées dans leurs circonscriptions, capables d’inspirer les citoyens ordinaires en leur faisant croire que le changement est possible et qu’aller voter vaut cette fois-ci la peine. S’ils y parviennent, voici ce qui pourrait se passer :

Projection basée sur le taux de participation et des résultats électoraux par conscription électorale selon les données de 2018. Crédit George Ajjan

Pour atteindre plus de 20 députés, il faudrait que 100 à 120 000 Libanais résidents qui n’ont jamais voté auparavant se rendent aux urnes, en plus des nouveaux électeurs expatriés. Une bonne campagne à Beyrouth serait le meilleur point de départ, car le taux de participation dans Beyrouth 1 en 2018 était à 33,2 %, bien en deçà du taux de participation de 49,7 % à l’échelle du pays. À Beyrouth 2, la situation n’était guère meilleure, puisque le taux de participation n’a atteint que 41,8 %. Il s’agit des deux taux les plus bas enregistrés en 2018, suivis de près par Tripoli avec 43,3 %.

D’un autre côté, il existe des contre-exemples de circonscriptions qui ont eu un taux de participation anormalement élevé, qu’il faut étudier pour comprendre comment reproduire cette tendance dans tout le pays. Par exemple, la circonscription de Baalbeck/Hermel a connu un taux de participation de 60,3 %, le deuxième plus élevé du pays en 2018, tandis que Jbeil/Kesrouan a enregistré un taux impressionnant de 66,6 %.

Stratégie agressive

Ce modèle souligne également de manière spectaculaire à quel point il sera crucial d’éviter les luttes intestines entre les listes d’opposition, comme évoqué plus haut. Plus le taux de participation augmente, plus la consolidation du vote antisystème derrière une seule liste est payante. Par exemple, si le taux de participation augmente de 10 % et que la moitié de ces nouveaux électeurs se regroupent derrière une liste unique, on obtient 13 députés d’opposition. Mais si la quasi-totalité d’entre eux se consolident, le résultat passe à 20 députés. Et si la campagne est exceptionnellement efficace et parvient à augmenter la participation de 15 %, elle pourrait engendrer de 16 à 26 députés en fonction du nombre de votants se ralliant à la même liste. On ne peut donc qu’insister sur l’impact d’une unité préalable des lites sur le résultat final.

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En résumé, il n’est ni impossible, ni trop tard, pour monter une campagne appropriée et intégrée qui exploite les hypothèses qui limitent ce modèle. Tout d’abord, il est crucial d’avoir des candidats forts qui peuvent s’identifier aux personnes mécontentes dans les circonscriptions rurales. Ce sont eux, et non les élites de Beyrouth, qui sont le cœur et l’âme du pays et qui, en fin de compte, décideront qui le dirigera. Deuxièmement, une campagne résolument agressive contre les partis traditionnels doit être montée, non pas pour convaincre de nouvelles personnes de voter, mais plutôt pour tenter d’affaiblir la mobilisation des électeurs loyalistes. Enfin, la tâche la plus difficile est de convaincre les électeurs qui ont précédemment soutenu l’establishment de l’abandonner et de voter pour une liste d’opposition. Ce dernier phénomène dépendra largement de l’élan perçu par les électeurs vers la fin de la campagne.

Tout cela nécessite une stratégie infiniment plus complexe qu’une campagne d’inscription en ligne des électeurs expatriés et exigera une discipline, une organisation et une détermination dont les forces antisystème n’ont pas encore fait preuve. S’ils relèvent le défi, cependant, un objectif de 22-23 députés est à portée de main. Même si cela reste loin de la majorité parlementaire (65 sièges), un tel résultat permettrait d’ores et déjà de fissurer le mur de la stagnation politique qui bloque le pays depuis des décennies. Bien sûr, il n’est pas interdit d’espérer un changement encore plus significatif.

Par George AJJAN

Consultant en stratégie politique et ancien candidat (républicain) au Congrès américain en 2004.

Alors que la très grande majorité des Libanais attend avec impatience la tenue des élections législatives de 2022, l’incertitude dont le pays du Cèdre est malheureusement coutumier continue de planer sur la bonne tenue du scrutin à la date prévue… L’ensemble des citoyens et observateurs reste ainsi suspendu à la décision que doit prendre, d’ici à la mi-décembre, le Conseil...

commentaires (3)

LE DOIGT SUR LA PLAIE , PIRE ENCORE EN PROFONDEUR DANS LA PLAIE : 1-L'EGO DES POSTULANTS NEO REVOLUTIONNAIRES, 2-DES CANDIDATS QUI NE SE SONT PAS ENCORE IDENTIFIES . dans l'espoir qu'ils ne se laisseront pas faire , qu'ils ne soient pas appates par KELLON !

Gaby SIOUFI

16 h 00, le 04 décembre 2021

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Commentaires (3)

  • LE DOIGT SUR LA PLAIE , PIRE ENCORE EN PROFONDEUR DANS LA PLAIE : 1-L'EGO DES POSTULANTS NEO REVOLUTIONNAIRES, 2-DES CANDIDATS QUI NE SE SONT PAS ENCORE IDENTIFIES . dans l'espoir qu'ils ne se laisseront pas faire , qu'ils ne soient pas appates par KELLON !

    Gaby SIOUFI

    16 h 00, le 04 décembre 2021

  • Inscrit pour la première fois, je voterai pour un programme visant à mettre en place un pouvoir autocratique d’urgence dont le but sera de démanteler les structures mafieuses actuelles et de faire juger les criminels que notre propre vote a mis en place par le passé et qui ont trait la vache de l’état jusqu’à sa mort. Plus de clientélisme plus d’ingérence des autorités religieuses dans la politique et une loi martiale pour le crime de haute trahison en faveur d’un état étranger ? Excessif? Trouvez moins qui fonctionnerait. Je crains malheureusement que seul un pouvoir autoritaire et même violent aura une chance de nous débarrasser des sangsues. Ces gens sont diaboliques, fourbes et très expérimentés.

    El moughtareb

    09 h 35, le 04 décembre 2021

  • Mais , bien sûr, tout cela tombe à l'eau si Bassil arrive à ses fins en faisant voter ;es émigrés pour seulement 6 députés.

    Yves Prevost

    07 h 23, le 04 décembre 2021

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