
Le port de Beyrouth, après le cataclysme du 4 août. Photo archives AFP
C’est une méthodologie orchestrée et synchronisée que semblent utiliser les responsables politiques mis en cause dans l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth pour déboulonner le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, chargé de l’affaire. On ne compte plus les offensives de nature judiciaire lancées contre lui. Une ultime tentative, enclenchée jeudi, aura-t-elle raison de celui qui n’a pas hésité à poursuivre de hauts responsables de l’État ? En effet, l’ancien ministre des Transports Youssef Fenianos, proche de Sleiman Frangié, chef des Marada, a présenté un recours en récusation contre le magistrat, dont la notification par la chambre civile de la cour d’appel de Beyrouth, présidée par le juge Habib Mezher, a eu pour effet de le dessaisir d’office, le temps que ce tribunal tranche l’affaire. Fait exceptionnel, la notification a eu lieu à domicile alors qu’elle est ordinairement effectuée au Palais de justice.
Ce n’est pas la première fois que M. Bitar est momentanément dessaisi, puisqu’il a déjà fait l’objet de recours similaires, mais le fait que M. Mezher soit connu pour être proche du mouvement Amal de M. Berry, auquel sont affiliés les deux députés Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil mis en cause dans le dossier, suscite cette fois de vives appréhensions quant à une mise à l’écart définitive du juge d’instruction. Selon la décision judiciaire dont L’Orient-Le Jour a pu prendre connaissance, M. Mezher a demandé au juge Bitar de lui fournir le dossier de l’enquête afin qu’il puisse statuer sur la demande de dessaisissement. Son examen pourrait alors se prolonger longtemps et remettre ainsi les compteurs à zéro, quinze mois après la tragédie du 4 août 2020.
Habib Mezher préside depuis jeudi la douzième chambre civile de la cour d’appel de Beyrouth chargée de statuer sur les recours en dessaisissement des magistrats, en remplacement du juge Nassib Élia, dessaisi mercredi ainsi que ses deux conseillères, Mariam Chamseddine et Rosine Hjeily, suite à la notification d’un recours en récusation porté contre eux par MM. Zeaïter et Khalil. Ceux-ci avaient auparavant porté jeudi dernier un recours en dessaisissement contre Tarek Bitar devant le premier président de la cour d’appel de Beyrouth, Habib Rizkallah, qui l’avait alors déféré au juge Élia. Ce dernier avait alors soulevé le principe juridique de l’autorité de la chose jugée, en référence au fait qu’il avait rejeté début octobre leur premier et même recours contre M. Bitar, ainsi qu’un recours similaire du député et ancien ministre Nouhad Machnouk.
Saïd Malek, spécialiste de droit public, explique qu’en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée, aucune juridiction ne peut statuer sur un recours déjà tranché. « La 12e chambre s’étant déjà déclarée incompétente pour étudier la question, ni elle ni tout autre tribunal ne pouvait s’y pencher de nouveau et rendre une décision, d’autant que le point litigieux, la requête et les demandeurs sont les mêmes. » Représentés par leur avocat Samer Hajj, MM. Zeaïter et Khalil ont toutefois demandé la récusation de la cour présidée par Nassib Élia parce qu’elle s’était déclarée incompétente sur la forme sans statuer sur le fond. La chaîne al-Jadeed indiquait déjà mercredi soir que la manœuvre utilisée viserait à transférer la demande de dessaisissement de M. Bitar à une autre chambre, plus précisément celle présidée par Habib Mezher. Me Samer Hajj rappelle par ailleurs avoir demandé il y a 8 jours à l’assemblée plénière de la Cour de cassation de déterminer quelle est la juridiction compétente pour statuer sur une demande de dessaisissement du juge Bitar. « Sachant que la décision de la cour risque de n’être rendue que dans plusieurs mois, nous avons choisi entre-temps de nous adresser au premier président de la cour d’appel dans l’espoir qu’une chambre de la cour d’appel se déclare compétente dans un délai de quelques jours », avance-t-il. Un espoir qui semble réalisé puisque la cour d’appel présidée par M. Mezher a déjà notifié le juge Bitar...
Depuis un peu plus d’un mois, une avalanche de plaintes déferle pour entraver l’action de Tarek Bitar. Et le verdict de la Cour de cassation pénale présidée par Randa Kfoury, devant laquelle les anciens ministres Nouhad Machnouk et Youssef Fenianos ont porté un recours pour « suspicion légitime », est toujours attendu. Ce dernier avait présenté, il y a un mois, une demande d’ouverture d’une information judiciaire contre M. Bitar devant le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, pour falsification pénale de documents. De son côté, l’ancien chef de gouvernement Hassane Diab a intenté le 27 octobre une action en responsabilité de l’État à l’encontre de Tarek Bitar. Si la cour d’appel décide de récuser le juge d’instruction, il n’y aura plus besoin d’attendre les décisions concernant les autres plaintes portées contre lui.
Quoi qu’il en soit, le juge d’instruction ne peut plus, jusqu’à nouvel ordre, poursuivre sur sa lancée. Il ne pourra plus par exemple entendre Ghazi Zeaïter lors d’une séance prévue mardi prochain, après que son avocat Samer Hajj s’est présenté le 29 octobre et a soumis des exceptions de forme liées à la seule compétence de la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres.
C’est une méthodologie orchestrée et synchronisée que semblent utiliser les responsables politiques mis en cause dans l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth pour déboulonner le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, chargé de l’affaire. On ne compte plus les offensives de nature judiciaire lancées contre lui. Une ultime tentative, enclenchée...
commentaires (22)
Dans quel pays qui se respecte et se dit "démocratique"trouve-t-on un parti financé et armé par un pays étranger "islamique" ? Et qui se permet d'interférer dans le cours de la Justice et accepter ou refuser tel ou tel Juge, comme c'est actuellement le cas avec le Juge Tarek Bitar qui enquête sur la tragédie du Port du 4/8/2020 ? Et nos dirigeants, du plus haut-placé à Baabda à tous les "chefs de"...ministres et autres responsables, que font-ils au juste dans notre pays, et à quoi servent-ils ??? - Irène Saïd
Irene Said
14 h 30, le 05 novembre 2021