Le président de la République, Michel Aoun, a renvoyé hier à la Chambre le texte de loi adopté lors de la toute dernière séance parlementaire, apportant d’importants amendements à la loi électorale. Ce faisant, le chef de l’État a donné le coup d’envoi à une épreuve de force qui pourrait avoir des retombées sur les préparatifs des élections législatives, sur la campagne électorale et peut-être même sur la tenue du scrutin.Réunie mardi dernier au palais de l’Unesco à Beyrouth, la Chambre avait adoptée à la majorité des groupes parlementaires (exception faite du bloc du Liban fort dont le Courant patriotique libre est la principale composante) une législation avançant au 27 mars 2022 la date des élections, initialement prévues le 8 mai. En vertu du même texte, les Libanais de l’étranger sont autorisés à voter pour les candidats en lice dans leur circonscription d’origine, et non pour six parlementaires qui représenteraient la diaspora au sein d’une circonscription qui viendrait s’ajouter aux quinze locales prévues par la loi de 2017.
Ces amendements sont le fruit d’un long processus initié il y a plusieurs semaines. Dans le cadre de réunions informelles entre des représentants de tous les groupes parlementaires, des députés relevant du tandem Amal-Hezbollah avaient proposé de tenir les élections en mars au lieu de mai en arguant du fait que le mois du ramadan tombe en avril. Ils s’étaient également opposés à ce que les émigrés se rendent aux urnes, estimant que cela n’est pas dans leur intérêt, à l’heure où le Hezbollah est la cible de sanctions américaines et internationales.
Outre le fait que les amendements apportés à la loi portent sur des points dont le CPL et son chef, Gebran Bassil, en font leur cheval de bataille, la séance parlementaire s’est tenue dans un contexte politique tendu marqué par les rapports en dents de scie entre la présidence et Aïn el-Tiné, d’une part, et le CPL et le reste des formations politiques, de l’autre. Dès lors, nombre d’observateurs s’attendaient à ce que le président Aoun renvoie la balle dans le camp du Parlement.
Détaillant les motifs de sa décision, M. Aoun dénonce, dans un décret dont le texte a été publié par le bureau de presse de Baabda, des « violations » contenues dans la loi, « notamment pour ce qui est du raccourcissement du délai constitutionnel de la date de la tenue des élections législatives ». Il indique, en outre, que les électeurs pourraient ne pas voter en raison « des conditions naturelles et climatiques du mois de mars (pluies, tempêtes et neige), notamment dans les régions montagneuses ». Dans son décret, le chef de l’État souligne également que raccourcir le délai empêche les Libanais à l’étranger « d’exercer leur droit politique ». Aussi, « 10 685 citoyens et citoyennes, toutes communautés confondues, qui auront 21 ans durant la période entre le 1er mars et le 30 mars 2022 ne pourront pas voter », est-il ajouté dans le texte.
Pour ce qui est du vote des émigrés, le décret rappelle que la loi adoptée mardi a suspendu « pour une fois et à titre exceptionnel la mise en application (de l’article portant sur) les six sièges qui leur sont consacrés ». « Cela est à même de les empêcher d’exercer leur droit politique de voter pour leurs représentants lors des élections qui devraient se tenir prochainement, un droit garanti par la loi électorale en vigueur », peut-on lire dans le texte.
Ces arguments se recoupent avec le discours brandi par le leader du CPL, Gebran Bassil, qui s’efforce de se présenter comme le premier défenseur des droits des Libanais de la diaspora. Lors de la séance de mardi, le leader du courant aouniste avait annoncé que son parti entendait présenter un recours en invalidation de cette loi devant le Conseil constitutionnel. « Cette procédure est suspendue pour le moment. Mais nous pourrons toujours présenter le recours si le Parlement insiste sur sa position », confie un député aouniste à L’Orient-Le Jour sous couvert d’anonymat. « Ce qui nous importe le plus, c’est le message que nous avons adressé à Nabih Berry : nous ne laisserons pas passer tout ce que vous voulez », assure le parlementaire aouniste. Selon lui, « ils (le mouvement Amal et le reste des protagonistes) ne veulent pas permettre à la diaspora (dont les chrétiens constituent une bonne proportion) d’avoir son mot à dire ».
La contre-attaque de Berry
Du côté de Nabih Berry, la contre-attaque ne tardera pas. Quelques heures après l’annonce de la décision de Michel Aoun, le chef du législatif a convoqué les commissions mixtes à une réunion conjointe, mardi à 10h30, pour étudier la réponse à la requête du président Aoun. « La Chambre a deux options : soit elle modifie le texte en fonction des remarques formulées par le président, soit elle s’attache à la version initiale du texte », explique Ziad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur. « Nous pouvons insister sur la position de la Chambre que le chef de l’État voudrait défier », confie Mohammad Khawaja, député berryste de Beyrouth, donnant ainsi le ton de la prochaine étape pour le chef du législatif. En vertu de l’article 57 de la Constitution, le Parlement devrait prendre sa décision à la majorité absolue (la moitié plus un) du nombre total de députés qui composent la Chambre. « La majorité requise est donc de 65 députés sur 128 », explique M. Baroud, précisant que le calcul est indépendant du fait que onze sièges sont vacants à la Chambre actuelle, huit parlementaires ayant démissionné, alors que trois sont décédés.
Le même article stipule en outre que le chef de l’État peut demander la révision d’une loi après en avoir informé le Conseil des ministres. Sauf que les réunions ministérielles du gouvernement Mikati sont suspendues depuis plus d’une dizaine de jours après la menace de démission brandie par les ministres chiites, sur fond de profonds désaccords autour du maintien du juge Tarek Bitar à la tête de l’enquête sur le drame de la double explosion au port de Beyrouth. Michel Aoun a-t-il donc commis une infraction à la Constitution ? « Il revient à la Chambre de trancher sur ce point », répond Ziad Baroud.
commentaires (13)
Les Libanais vivant à l’étranger demeurent Libanais dans leurs gènes avant d’être bi- nationaux, ils ont des parents et amis qui sont resté au Liban. Et par l’intermédiaire des médias Libanais et entre autres l’Orient le jour, les chaines MTV Al Jadid etc …ils sont au diapason de tout ce qui se passe au Liban. Nous sommes au 21ième siècles pour ceux qui sont resté encore au 19ième siècles lol …Le vote dans les pays démocratiques reste secret, laissons chacun élire le député, qui lui semble à même de défendre le Liban dans son identité, sans référence aux pays tiers. Il est clair que le CPL a des accords voire il est inféodé au Hezbollah, et que Amal n’est pas mieux lotie. Partant de là, chacun pourra choisir pour qui il votera en son âme et conscience. Merci à L’Orientlejour et à ses journalistes qui nous donnent leur avis et leur analyse toujours surprenantes et clairevoyantes.
Le Point du Jour.
23 h 40, le 23 octobre 2021