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Nos Lecteurs ont la Parole

Les fantômes de la guerre

Les mêmes images qu’en 1975, celles qui ont marqué toute une génération de Libanais. Celles qui ont montré un autre visage du Liban à l’étranger. Des parents inquiets ne pouvant pas rejoindre leurs enfants effrayés à l’école, pris en otages par des échanges de tirs. À la seule différence qu’aujourd’hui, les téléphones portables et les réseaux sociaux sont les témoins de cette guerre sans fin. Ces images, qui ont valu à Beyrouth dans les années 80 l’expression « C’est Beyrouth » utilisée en France pour décrire une situation chaotique. Ce jeudi 14 octobre 2021, fidèle à sa réputation, Beyrouth a prouvé ne jamais être sortie de ce chaos. Nous sommes loin de la Suisse ou du Paris du Moyen-Orient décrit par les nostalgiques de l’âge d’or libanais.

Ces images toujours aussi choquantes, mais pas si surprenantes, car en fin de compte, la guerre n’a jamais pris fin. Comment peut-elle prendre fin quand les seigneurs de la guerre sont encore au pouvoir ? Quand tout ce qu’ils savent faire, c’est détruire, voler, tuer et diviser ? Une foule scandant « Chiites, chiites, nous te défendrons corps et âme, cher Nabih », en référence au président du Parlement Nabih Berry, en règne depuis 30 ans. Comment des personnes peuvent être prêtes à mourir pour quelqu’un qui n’est pas leur père, mère ou enfant ? Cette foule d’hommes composée de partisans du Hezbollah et d’Amal sont descendus pour manifester contre l’enquête sur a double explosion du 4 août 2020 et le juge Bitar. Ou plutôt une tentative d’intimidation déguisée en manifestation pour que l’enquête n’aboutisse pas. Avec un État inexistant, tout événement au Liban peut rapidement prendre une tournure de guérilla urbaine. Comme un déjà-vu, le 7 mai 2008 où la même démonstration de force a été perpétrée à Beyrouth-Ouest par le Hezbollah et son fidèle allié Amal. À l’époque, certains Libanais se sont réjouis de ce terrorisme organisé imposé à une partie des habitants de la capitale. Comment peut-on se réjouir de la mort de ses compatriotes ? Comme durant l’été 2006, où d’autres étaient contents des bombardements israéliens sur le sud du Liban. Ces seigneurs de la guerre ont réussi à créer des monstres à force de renforcer l’extrémisme religieux à travers leur discours sectaire. Quand ils se sentent en danger, le sunnite comme le chiite, le chrétien et le druze se mettent d’accord et jouent de cette division pour défendre leurs intérêts personnels. Faisant croire aux Libanais que l’appartenance religieuse est plus importante que l’identité culturelle. Une mauvaise habitude adoptée depuis longtemps dans un pays où la majorité des partis politiques tournent autour d’un homme et d’une religion. Nous sommes malheureusement bien loin des valeurs du christianisme et de l’islam. La preuve en est le Liban d’avant-guerre où tous les Libanais, toutes religions confondues, vivaient ensemble en harmonie avant que les ingérences étrangères et la politique s’en mêlent.

L’histoire ne fait que se répéter. Jusque-là, tout est normal. Mais ce qui n’est pas normal, c’est d’avoir cru que les fantômes de la guerre ne reviendraient pas. C’est de ne pas avoir jugé les responsables en 1990. C’est d’avoir collaboré avec la Syrie, pays ennemi au même titre qu’Israël, pour avoir occupé ses terres et abusé de son peuple. C’est d’avoir laissé tous les meurtres commis depuis 2005 non résolus. C’est d’avoir un État dans un État avec une milice armée qui prend en otage tout un pays dès qu’elle le souhaite. C’est d’avoir subi la quatrième plus grande explosion au monde et que, plus d’un an après, l’enquête piétine toujours. Il n’y a vraiment rien de normal dans ce pays, alors arrêtons de vouloir vivre normalement. Car tant qu’on n’aura pas affronté cette réalité, rien ne changera. Et attendre l’aide de l’extérieur, c’est comme n’avoir rien appris de ce passé douloureux où les États-Unis, Israël, la Libye, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Syrie ont tous alimenté cette guerre pour leurs intérêts respectifs. Le seul perdant dans l’histoire est le Liban. Alors, arrêtons de croire que le changement viendra de l’extérieur ou du moins pas avant d’avoir bâti un État, un vrai. Car c’est comme croire que nous n’avons que des droits sans avoir de devoirs. Mais tenir ce discours fait de vous quelqu’un d’anormal dans un pays où la normalité est la corruption et le clientélisme. Puis enfin, l’hypocrisie d’avoir accepté socialement des personnes proches de ces criminels sous prétexte qu’ils portent un costume, une cravate, des bijoux ou un beau sac. Des corrompus qui ont eu des postes dans la fonction publique pour servir leurs chefs de clan en échange de généreuses sommes d’argent. Des fonctionnaires devenus millionnaires, oubliant qu’ils sont au service du peuple. Des personnes incapables dont la plus grande preuve d’incompétence est la faillite de l’État libanais à tous les niveaux. Cela fait d’eux des coupables tout autant que leurs chefs.

Certes, aujourd’hui, le Hezbollah et ses alliés font la loi au Liban, mais leurs « opposants » ne sont que leurs acolytes. Ils ont participé à la chute de l’État, à la corruption des administrations publiques et à l’effondrement de la société libanaise, permettant au parti de Dieu d’accéder au pouvoir. En notant que les vrais opposants ont tous été assassinés. Aujourd’hui, ce n’est pas « eux » contre « nous » comme le veut cette mentalité héritée de la guerre. Ce n’est pas le musulman contre le chrétien ou le chiite contre le sunnite. Non, aujourd’hui, c’est le Libanais contre l’extrémiste, le Libanais contre le corrompu, le Libanais contre le traître qui a vendu le pays comme en 1975.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les mêmes images qu’en 1975, celles qui ont marqué toute une génération de Libanais. Celles qui ont montré un autre visage du Liban à l’étranger. Des parents inquiets ne pouvant pas rejoindre leurs enfants effrayés à l’école, pris en otages par des échanges de tirs. À la seule différence qu’aujourd’hui, les téléphones portables et les réseaux sociaux sont les témoins de...

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