
Les partisans du Hezbollah et d’Amal rassemblés hier devant le Palais de justice de Beyrouth. Photo Mohammad Yassine
L’objectif était clair dès le départ : pour le Hezbollah et Amal, il fallait coûte que coûte déboulonner le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion du port le 4 août 2020. Peu importait les moyens mis en œuvre pour y parvenir, seule comptait la suspension de l’enquête, dans le cadre de laquelle sont mis en cause plusieurs responsables chiites proches du parti. Pour ce faire, le tandem chiite a procédé en deux temps : d’abord la voie judiciaire, ensuite la rue.
Pour tenter de contourner le système judiciaire, il a eu recours à toute la palette de procédures destinées à contester la compétence du juge, tout en le décrédibilisant. C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire les quatre recours présentés par les quatre ministres mis en cause (Youssef Fenianos, Nouhad Machnouk, Ghazi Zeaïter et Hassan Khalil) en vue du dessaisissement de Tarek Bitar. Mais cela s’est soldé, jusqu’à maintenant, par un échec.
Visiblement déterminées à utiliser toutes leurs cartes pour venir à bout de Tarek Bitar, les deux composantes chiites ont même été jusqu’à essayer de forcer la main du gouvernement Mikati pour prendre une décision en ce sens, mettant la démission de leurs ministres dans la balance cette semaine. Mais là encore, ce fut un échec, les réunions du Conseil des ministres ayant été reportées. Le tandem a donc décidé de sortir l’artillerie lourde : le coup de force dans la rue.
Officiellement, les deux alliés chiites prétendent avoir appelé à une manifestation pacifique devant le Palais de justice pour réclamer le départ de Tarek Bitar, que Hassan Nasrallah a accusé cette semaine de « politiser l’enquête ». Lequel Tarek Bitar peut reprendre son enquête après la décision de la cour de Cassation, annoncée hier, de rejeter le dernier recours déposé contre lui par les députés et ex-ministres d’Amal, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter.
L’annonce, qui est intervenue quelques minutes avant le début de la manifestation, sonnait comme le symbole de la défaite de la stratégie du tandem chiite. Mais pas question pour lui d’en rester là pour autant.
Des centaines de militants des deux partis se sont rassemblés hier devant le Palais de justice de Beyrouth à 11 heures. Avec un objectif on ne peut plus limpide : montrer les muscles afin d’intimider le juge, mais aussi faire une démonstration de force dans une zone chrétienne, dans laquelle sont présentes les Forces libanaises (FL). Dans ces circonstances, les affrontements qui ont marqué la journée, faisant au moins six morts et une trentaine de blessés, peuvent laisser penser que le tandem chiite est venu chercher la confrontation avec les FL.
Changement de rhétorique
Quels que soient le ou les premiers fauteurs de troubles qui ont déclenché les affrontements – on évoque pour l’heure une piste menant aux FL–, la rapidité et la violence de la riposte des partisans du tandem chiite mobilisés ont été édifiantes. Sont également significatives les accusations mettant en cause les FL, les deux parties chiites s’étant empressées de leur faire assumer la responsabilité des dérapages. Les menaces proférées il y a deux jours par le ministre proche de Amal, Mohammad Mortada, qui a promis une journée d’enfer en évoquant la mobilisation d’hier, sonnaient déjà comme une mise en garde. Elles constituent en outre un indicateur supplémentaire du degré de mobilisation des partisans du tandem chiite, dont plusieurs étaient cagoulés dès les premières heures de la manifestation. Des hommes qui, rapidement aussi, ont sorti un véritable arsenal. D’où la tentation de dire que le camp chiite s’était au moins préparé en amont à une possible altercation.
Dans quel but ? Peut-être celui de souder la rue chiite autour d’un ennemi commun et de détourner l’attention de l’enquête du port.
« Le Hezbollah a réussi aujourd’hui à changer la rhétorique : désormais, on ne va plus parler de l’explosion du port, mais du guet-apens imputé aux FL », décrypte pour L’Orient-Le Jour Mohannad Hajj Ali, chercheur et directeur de la communication du Carnegie Middle East Center. Ce sont donc deux enquêtes qui vont désormais s’affronter : celle concernant les explosions du 4 août et celle relative aux incidents violents d’hier, cette dernière devant servir à torpiller la première, explique le chercheur. C’est dans le même sens que se prononce d’ailleurs la journaliste Dima Sadek qui, dans un tweet, évoque le recours « stupide » aux armes par les FL. « Le Hezb et Amal n’avaient pas d’adversaire dans la rue, mais uniquement un juge et des victimes en face d’eux. Ils ont donc provoqué les FL qui sont tombées dans le piège. L’enjeu n’est plus celui de la justice qui doit être rendue, mais un affrontement entre deux milices », écrit-elle.
Le tandem chiite a peut-être marqué des points au niveau de sa rue, mais en a certainement perdu sur le terrain où il a laissé des plumes. Plusieurs victimes semblent appartenir à ses rangs. Quelle que soit la thèse adoptée sur l’identité des francs-tireurs qui auraient mis le feu aux poudres, les scènes de guerre, qui ont réveillé les pires souvenirs de la guerre civile, ont démontré au Hezbollah que le rapport de force milicien est clair pour ce qui est du départage des frontières entre quartiers chiites et chrétiens : le Palais de justice est une ligne rouge à ne pas dépasser. Tel est le message clairement envoyé aux milices chiites, indique ainsi un analyste du 14 Mars qui a requis l’anonymat.
Signe que du côté FL, on ne cherche pas à s’en cacher, Samir Geagea a évoqué hier les « armes illégales » qui, selon lui, sont la « principale cause » des incidents d’hier, mais n’a pas démenti les accusations lancées contre sa formation. Ce n’est que plus tard que le bureau de presse des FL a démenti les accusations du tandem chiite se rapportant à une « volonté intentionnelle de tuer ».
L’histoire pourrait toutefois ne pas s’arrêter là. « Je ne peux pas dire s’il s’agit d’une victoire ou d’un échec pour le Hezbollah, mais si l’on ne résout pas la crise judiciaire (dans l’affaire du port NDLR), cela va inévitablement conduire à une grande explosion », estime Kassem Kassir, proche des milieux du Hezbollah. Comprendre : le parti chiite ne compte pas lâcher l’affaire.
Le Hezbollah n'est pas le parti de la résistance nationale, mais celui de la collaboration islamo-iranienne. Son drapeau n'est pas celui du Liban, son hymne n'est celle du Liban, son idéologie n'est pas libanaise. Le Hezbollah est un mouvement terroriste qui terrorise d'abord les Libanaise, y compris de plus en plus de Libannais chiites. Le Hezbollah est prêt à sacrifier le Liban, et même certains chiites, sur ordre de ses maîtres iraniens, par haine d'Israël, comme en 2006, comme très bientôt. Leur dépôt de nitrate a explosé à la tête des beyroutins. Ils trouveront encore des explosifs pour terroriser les Libanais et des armes pour déclencher une guerre civile. Le Hezbollah est l'antidote à l'avenir déjà très hypothéqué du pays.
02 h 59, le 18 octobre 2021