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Lifestyle - La carte du tendre

Il n’avait pour tout territoire que sa personne

Il n’avait pour tout territoire que sa personne

Le général de Gaulle à Beyrouth, août 1942. Coll. Georges Boustany

Août 1942, place des Martyrs de Beyrouth, face au Petit Sérail. Figé dans le salut militaire, voici, à droite, le général de Gaulle. À ses côtés se tient le général Catroux, qui a remplacé un an auparavant le dernier haut commissaire français : avec la défaite de l’armée française du Levant, restée fidèle à Vichy, et la prise en charge de la Syrie et du Liban par les Forces françaises libres (FFL), nous avons changé d’époque. Est-ce un hasard si cette photo inédite apparaît aujourd’hui à un moment critique de l’histoire du Liban ? Depuis le soulèvement avorté d’octobre 2019, d’aucuns se demandent, parfois avec une fausse naïveté, « pourquoi le peuple libanais, qui s’est révolté pour une malheureuse taxe de six dollars, ne le fait plus maintenant qu’il est menacé de mourir de faim ». La réponse est peut-être dans cette image : pour faire une révolution, il faut un homme d’État qui a l’audace de dire non au fait accompli et qui sait rassembler les énergies vers un objectif clairement défini.

Le Liban aime le général de Gaulle et celui-ci le lui rend bien : il se sent un peu chez lui chez nous, et il y est à ce point à l’aise qu’il se déplace à pied. Dans trois ans presque jour pour jour, au lendemain de la Libération de Paris, il fera preuve d’un flegme identique quand, au moment d’entrer dans Notre-Dame, il essuiera sans broncher des coups de feu qui provoqueront la panique autour de lui. Non, décidément, cet homme n’a peur de rien, qui a une confiance absolue dans son destin. Depuis son appel du 18 juin 1940, il ne représente pas seulement la Résistance, il est la France et l’empire, et autour de lui, ceux qui l’ont rejoint admettent cette prééminence : Catroux, par exemple, est le plus haut gradé de l’armée française à s’être rallié à de Gaulle, reconnaissant ainsi en lui le chef politique et non le militaire d’un rang subalterne.

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Le jour du déclenchement de l’offensive britannique et gaulliste à partir de la Palestine, le 8 juin 1941, Catroux a fait larguer au-dessus de Beyrouth des dizaines de milliers de tracts proclamant « l’abolition du mandat et l’indépendance de la Syrie et du Liban » afin de s’assurer le soutien des populations. C’était aller un peu vite en besogne, car de Gaulle n’avait encore « pour tout territoire que sa personne »* et le ralliement de l’empire était un préalable à la reconquête de la métropole. Saisissant la balle au bond, le général britannique Edward Spears donne depuis lors du fil à retordre au général en encourageant les populations locales à réclamer l’indépendance. D’où ce voyage à Beyrouth : de Gaulle est venu réaffirmer la place et le rang de la France libre face aux Anglo-Saxons auxquels il dénie désormais la faculté de commander les FFL. Cette photo a été prise lors d’un défilé de ces dernières : deux ans tout juste après la débâcle, on imagine avec quelle fierté leur chef salue en elles la France renaissante.

C’est également lors de ce séjour que le général fera une de ses plus belles déclarations d’amour aux Libanais : « Si nous sommes heureux de prendre de nouveau contact avec le Liban, c’est d’abord, évidemment, parce que dans tout cœur de Français digne de ce nom, je puis vous dire que le seul nom du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. Et j’ajoute que c’est d’autant plus justifié que les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple du monde, à travers les siècles, quelles qu’aient été les péripéties, les malheurs, les honneurs, les destins, le seul peuple dont jamais, aucun jour, le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France. »

Et ce ne sont pas des paroles de politicien : le général de Gaulle a déjà séjourné au Liban avec sa famille entre 1929 et 1932 comme chef de bataillon ; il a même donné des conférences sur l’armée au Lycée français de la Mission laïque française, rue de Damas. Il est revenu en 1941 pour célébrer la première victoire de ses troupes. Lorsqu’il sera, plus tard, président de la République, de Gaulle se tiendra systématiquement au chevet du Liban.

L’étendue du drame libanais

Au-delà de son poids historique, cette image représente aujourd’hui tout un symbole pour nous autres Libanais. De Gaulle n’est pas seulement l’homme providentiel, il est celui qui identifiera très tôt le mal dont souffre son pays : les « politichiens » et les partis politiques, qu’il accusera d’œuvrer à leur bénéfice propre plutôt qu’au bien du pays. « Les partis n’existent qu’en divisant les Français », dira-t-il souvent**. Et pour cause : l’ayant chassé du pouvoir à la Libération, les partis vont revenir à leur jeu parlementaire stérile, provoquant une instabilité chronique. Entre 1946 et 1958, la France sera successivement livrée à 24 gouvernements, tous plus impuissants les uns que les autres.

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Revenu aux affaires en mai 1958 après douze ans de « traversée du désert », le général de Gaulle prend sa revanche en fondant la Ve République et en imposant la figure rassembleuse, au-delà des clivages traditionnels, d’un président de la République symbole de la nation. Il limite l’influence des partis au Parlement et leur enlève la faculté d’élire le président, que le peuple pourra dès lors choisir au suffrage universel. Désormais souverain, le peuple pourra également s’exprimer par référendum sur toutes les questions qui engagent son avenir. Et le jour où il perdra un de ces référendums, de Gaulle se considérera comme désavoué par les Français et démissionnera aussitôt, se retirant définitivement de la vie politique.

Il est des moments critiques dans la vie des nations où se révèle l’homme providentiel. Cet homme, le Liban pris en otage par une oligarchie dont les agendas ne tiennent aucun compte de l’intérêt d’une population poussée au désespoir, ce Liban « outragé, brisé, martyrisé » l’attend toujours. Et pour cause : avec un acharnement qui s’étend sur des décennies, les malfaisants ont pris soin d’éliminer, les uns après les autres, ceux qui auraient pu prétendre à ce rôle. Et les divisions archaïques – communautaires, religieuses, claniques – ont fait le reste. Là où nous avons aujourd’hui cruellement besoin d’un de Gaulle, on ne nous propose que des Pétain qui n’ont pas même l’envergure du maréchal victorieux de 1918. C’est dire l’étendue du drame libanais.

*Georges Naccache, dans son éditorial écrit à la mort du général de Gaulle, dans « L’Orient » du 11 novembre 1970.

**Dans « C’était de Gaulle » d’Alain Peyrefitte.

Auteur d’« Avant d’oublier » (Les Éditions L’Orient-Le Jour), Georges Boustany vous emmène, toutes les deux semaines, visiter le Liban du siècle dernier à travers une photographie de sa collection, à la découverte d’un pays disparu.

L’ouvrage est disponible au Liban à la Librairie Stephan et mondialement sur www.BuyLebanese.com

Août 1942, place des Martyrs de Beyrouth, face au Petit Sérail. Figé dans le salut militaire, voici, à droite, le général de Gaulle. À ses côtés se tient le général Catroux, qui a remplacé un an auparavant le dernier haut commissaire français : avec la défaite de l’armée française du Levant, restée fidèle à Vichy, et la prise en charge de la Syrie et du Liban par les...

commentaires (3)

Quel militarisme français ! L'article parle de "la France libre face aux Anglo-Saxons". Franchement il me semble que ni Anglais ni Francais ils ont quelque chose à chercher au Moyen-Orient. Que les orientaux se débrouillent eux-memes ...

Stes David

14 h 10, le 16 octobre 2021

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Commentaires (3)

  • Quel militarisme français ! L'article parle de "la France libre face aux Anglo-Saxons". Franchement il me semble que ni Anglais ni Francais ils ont quelque chose à chercher au Moyen-Orient. Que les orientaux se débrouillent eux-memes ...

    Stes David

    14 h 10, le 16 octobre 2021

  • Bravo, et un raccord très juste avec notre tragédie actuelle. Chaque fois qu’a pu se profiler un personnage d’envergure dépassant du cadre sectaire, ils l’ont tué.

    Alain George

    20 h 26, le 15 octobre 2021

  • François Mauriac a dit en 1970 : "Quand de Gaulle ne sera plus là, il sera là encore".

    Un Libanais

    19 h 59, le 15 octobre 2021

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