Collecter 10 millions de dollars pour aider 113 écoles libanaises à faire face à la crise : tel est l’objectif de l’ambitieux projet « Forsa », une initiative lancée par l’ONG Beit el-Baraka et la société éditrice de logiciels financiers Murex. Forsa, qui veut dire à la fois chance et récréation en arabe, se propose d’aider des familles en difficulté à payer les frais de scolarité de leurs enfants. Cette somme devrait aussi permettre de financer les salaires des enseignants et les frais de fonctionnement des écoles concernées, tandis que le secteur éducatif est sévèrement touché par la crise économique que traverse le Liban depuis deux ans. Lancée il y a moins d’un mois à travers une plateforme en ligne, cette campagne a permis de récolter jusqu’à présent 2,3 millions de dollars.
« Nous allons commencer à distribuer l’argent déjà récolté très bientôt, mais de façon bien organisée. Nous avons mis en place un mécanisme pour nous assurer qu’il sera utilisé à bon escient », assure Salim Eddé, cofondateur de Murex. C’est grâce à des volontaires parmi les employés de son entreprise et à l’équipe de Beit el-Baraka qu’une étude a été menée auprès des 113 écoles identifiées comme ayant besoin d’une aide urgente pour ne pas mettre la clé sous la porte. Les besoins les plus basiques de ces écoles ont été évalués à 10 millions de dollars, dans l’objectif de sauver l’année scolaire 2021-2022.
« Si nous arrivons à obtenir 10 millions de dollars, cela nous permettra de payer la scolarité de 32 000 élèves et de financer les salaires de 22 000 professeurs », révèle pour sa part Maya Ibrahimchah, directrice de Beit el-Baraka, tout en mettant en garde contre le risque accru de décrochage scolaire. Selon l’ONG, rien qu’à Beyrouth, ce sont plus de 12 000 écoliers de tous les âges qui risquent de ne pas pouvoir retourner en classe si la crise persiste.
Depuis le début de la crise économique, de nombreux parents d’élèves se sont retrouvés dans l’incapacité d’acquitter les frais d’écolage. Ce qui affecte le bon fonctionnement des écoles qui, elles, n’arrivent plus à payer les salaires des enseignants. Une situation qui menace l’ensemble du secteur éducatif, pourtant réputé pour être l’un des meilleurs de la région.
Pour freiner l’émigration des enseignants, Forsa paiera un supplément en dollars à ces derniers afin de leur permettre de retrouver un niveau de vie acceptable, souligne Salim Eddé à L’Orient-Le Jour.
Risque de déscolarisation
C’est lors de ses multiples tournées auprès des riverains sinistrés au lendemain de la tragédie du 4 août 2020 que Maya Ibrahimchah a compris la gravité de la situation de certains écoliers. « Nous avons constaté que beaucoup d’enfants n’avaient pas suivi de cours en ligne lors de la pandémie de Covid-19, parce que leurs parents n’avaient pas les moyens d’acheter un ordinateur par exemple. Nous avons pu leur faire don de plusieurs ordinateurs, mais cela n’a servi à rien parce que les parents nous ont alors avoué qu’ils n’avaient pas les moyens de payer un abonnement internet ni les frais de scolarité tout court. C’est assez dramatique », soupire-t-elle. « Depuis le début de la crise, les gouvernements successifs n’ont rien fait pour préserver la dignité des familles et des écoliers. Ce qui me révolte le plus, c’est que ce sont des gens qui n’ont rien demandé qui paient le prix de cette crise », ajoute Mme Ibrahimchah.
Après s’être investie dans l’aide alimentaire puis la reconstruction de logements détruits par les explosions au port de Beyrouth, Beit el-Baraka décide alors de se lancer dans le soutien du système éducatif et s’associe à Murex pour cette opération. C’est ainsi que la plateforme Forsa est lancée.
Si les 10 millions de dollars ciblés pourraient tirer 113 écoles d’affaire, c’est tout le secteur éducatif qui risque l’effondrement si la crise persiste, avertit néanmoins Salim Eddé. « Il y a 700 écoles privées dans le pays et elles sont toutes logées à la même enseigne aujourd’hui. S’il fallait aider tout le monde, il faudrait réussir à lever 50 millions de dollars, indique-t-il. Or, nous ne sommes pas un État pour aider toutes les écoles du pays, mais nous voulons au moins soutenir les écoles qui sont le plus en difficulté. Une école qui ferme, c’est une tragédie », ajoute M. Eddé qui rappelle que Murex offre des aides financières annuelles à une cinquantaine d’établissements disséminés à travers tout le pays depuis 1993.
La diaspora sollicitée
« Le système éducatif au Liban a toujours été très bon, mais aujourd’hui, il souffre. Il ne faut pas le laisser s’écrouler », poursuit-il, avant d’ajouter que Murex emploie plus de 650 personnes au Liban issues de ce système éducatif pour la qualité de leur formation. « Aujourd’hui, nous comptons beaucoup sur l’aide de la diaspora et de tous ceux qui en ont les moyens. C’est grâce à la diaspora que ce pays ne s’est pas complètement effondré, et ce depuis la guerre civile », analyse-t-il. Salim Eddé précise par ailleurs que les donateurs basés en France, en Suisse, en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis peuvent bénéficier d’une déduction fiscale.
Cet appel à la diaspora est également relayé par Maya Ibrahimchah. « Ces établissements ont besoin d’aide pour surmonter cette période difficile. La vie va probablement reprendre son cours l’année prochaine », estime la directrice de Beit el-Baraka. « Aujourd’hui, nous demandons aux mécènes, aux fondations, aux ONG et aux Libanais de la diaspora de venir en aide aux écoles du pays. Ils ne nous ont jamais laissés tomber. Nous les appelons une fois de plus à venir à la rescousse. Il y a 15 millions de Libanais à l’étranger. Si 20 % d’entre eux nous aident, nous pourrons nous en sortir », lance Maya Ibrahimchah. Avant d’avertir que ce n’est pas moins que l’avenir du pays qui serait menacé en cas de déscolarisation des élèves.
commentaires (5)
Excellente initiative et espérons que vous allez récolter davantage et vous assurer que profs et élèves ne quittent pas le pays. Chapeau.
Georges Zehil Daniele
09 h 37, le 13 octobre 2021