Le point de vue de... Le point de vue de Hazem Saghieh

Ces forces souterraines qui gouvernent le Liban

Ces forces souterraines qui gouvernent le Liban

© C. Charafeddine

Nombreux sont les Libanais qui relèvent aujourd’hui la détérioration progressive de la qualité des ministres en fonction. Chaque gouvernement s’avère plus médiocre que le précédent et semble inclure une plus grande proportion de ministres profondément insignifiants.

C’est, en tout cas, ce que formule tout un chacun de mille et une manières, que ce soit oralement, dans une certaine presse ou sur les réseaux sociaux. Les moqueries envers les ministres en place sont si nombreuses qu’elles constituent désormais la majeure partie du discours tenu à leur sujet. Le nombre de bourdes scandaleuses commises par ces ministres s’en va crescendo. Désormais, les titres révérencieux et les honneurs généralement réservés aux ministres – reflet d’une culture de servilité et de soumission – ne subsistent que pour alimenter les moqueries.

Pour couronner le tout, les « citernes du salut » arrivées d’Iran sont venues ôter aux nouveaux ministres le peu de pouvoir effectif qui leur restait. Selon des ouï-dire, les ministres auraient été soumis à l’approbation de Gebran Bassil, avant même leur désignation. Si ces rumeurs ont circulé, c’est bien la preuve de l’absence totale de poids politique de ces derniers. Les ministres actuels sont comparables aux représentants du « front national progressiste » des pays gouvernés par un parti unique. Leur seule fonction serait donc d’orner le mandat dudit parti ou de détourner l’attention du fait qu’il s’agisse d’un parti unique.

Cette détérioration s’inscrit dans le cadre du déclin généralisé que connaît le Liban d’aujourd’hui. Au vu des pénuries qui touchent tous les secteurs sans exception, le nombre de personnes compétentes disposées à servir un système effectif s’amenuise de jour en jour (sachant que la proportion de personnes qualifiées était particulièrement élevée avant la nouvelle vague d’émigration).

Sans doute la cause de ce déclin découle-t-elle du constat que le ministre n’a désormais plus d’importance du fait de la détérioration du poids de l’État libanais et de son efficacité. L’État n’est plus le centre d’influence. Il se contente d’apposer une dernière signature à ce que d’autres ont préparé, sans avoir d’autre choix que de valider. En effet, la répartition actuelle des tâches fait que le gouvernement relève de la « surface » alors que le pouvoir effectif est « sous-terrain ».

Mais pour comprendre cette équation, il s’agit de faire preuve de flexibilité : le ministre garde en effet une certaine part d’indépendance apparente puisqu’il représente une confession et qu’il est impératif de ménager l’équilibre confessionnel. Même la tutelle syrienne avait à cœur de maintenir cet équilibre dans une certaine mesure, alors qu’à l’époque, les personnes compétentes et ambitionnant ce genre de fonctions étaient bien plus nombreuses.

Ainsi, on continuera à précéder le nom du ministre de « Son Excellence » et de quelques autres formules honorifiques, mais l’on saura sciemment que tous ceux qui sont « à la surface » n’ont aucune influence effective. Ils ne sont que la partie visible de l’iceberg. C’est le « sous-terrain » qui compte, tout comme la localité d’Anjar ou l’hôtel Beau Rivage comptaient sous tutelle syrienne.

Mais quel est donc ce « sous-terrain » dont il est question ? Ici, le mot n’a pas la même signification qu’ailleurs où il désigne généralement les forces de l’opposition auxquelles le régime interdit toute activité politique, les forçant à œuvrer en secret. Au Liban, le « sous-terrain » équivaut au concept d’État profond qui existe en Turquie et dans d’autres pays.

Au Liban, cet underground est un pouvoir en soi. Il est fait de composantes létales qui mènent toutes à la mort d’une manière ou d’une autre : le commandement effectif du Hezbollah réside sous terre, ainsi que ses missiles. Dans l’espace sous-terrain, on trouve également des substances explosives destinées à la contrebande ou au marché noir, particulièrement de l’essence, ce qui fait que la vie à la surface n’est ni sûre, ni tranquille. Dans l’espace sous-terrain, on trouve aussi un large réseau de défiance et d’opacité, où le secteur bancaire nébuleux occupe la place de choix. Sous terre, il existe une Justice à laquelle il est interdit de révéler les grands « secrets », qu’il s’agisse de l’explosion du port de Beyrouth, des attentats comme celui qui a coûté la vie à Lokman Slim ou d’actes de corruption en tout genre. Dans l’espace sous-terrain, on trouve par ailleurs des mesures régionales et internationales imposées en douce, sans que les Libanais n’en comprennent les rouages, nourrissant ainsi leurs pires instincts complotistes. Enfin, bien entendu, il existe sous terre d’infinies geôles potentielles.

Ces éléments de destruction, actuels comme à venir, n’ont rien à envier à la légitimité dont bénéficiaient la Résistance et ses missiles et dont bénéficient la corruption et la contrebande. Et si la légitimité venait à leur manquer, ils peuvent, en toute bonne conscience, se l’assurer par le biais d’un ministre de la surface, au pouvoir illusoire.

Sous terre il y a donc la vie et la mort, la politique et l’économie, la guerre et la paix, et à la surface… il y a les Excellences.

Traduit de l’arabe par Work With Words

Nombreux sont les Libanais qui relèvent aujourd’hui la détérioration progressive de la qualité des ministres en fonction. Chaque gouvernement s’avère plus médiocre que le précédent et semble inclure une plus grande proportion de ministres profondément insignifiants.C’est, en tout cas, ce que formule tout un chacun de mille et une manières, que ce soit oralement, dans une certaine...

commentaires (9)

Hazem Saghyeh devrait consulter plus souvent "Work With Words", qui présente ici une très bonne traduction de son article. Ainsi, cela lui éviterait des traductions peu réussies du français vers l'arabe, telle, par exemple, celle que j'ai trouvée dans son livre "Les Romantiques de l'Orient Arabe": La Condition postmoderne de Jean-François Lyotard est devenu: شرط ما بعد الحداثة! Evidemment. le mot "condition" a plusieurs significations, mais il faudrait quand même prendre le contexte en considération...

Georges MELKI

12 h 28, le 06 décembre 2021

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Commentaires (9)

  • Hazem Saghyeh devrait consulter plus souvent "Work With Words", qui présente ici une très bonne traduction de son article. Ainsi, cela lui éviterait des traductions peu réussies du français vers l'arabe, telle, par exemple, celle que j'ai trouvée dans son livre "Les Romantiques de l'Orient Arabe": La Condition postmoderne de Jean-François Lyotard est devenu: شرط ما بعد الحداثة! Evidemment. le mot "condition" a plusieurs significations, mais il faudrait quand même prendre le contexte en considération...

    Georges MELKI

    12 h 28, le 06 décembre 2021

  • C’est clair net et précis … En bref, le Liban est en mort clinique et des marionnettes (et quelques clowns) se pressent à son chevet avec les grimaces de circonstances…

    Ayoub Elie

    21 h 51, le 10 octobre 2021

  • UN ARTICLE INCROYABLEMENT CLAIR ET VRAI MERCI OLJ DE PUBLIER CE GENRE DE TEXTE RIEN A AJOUTER SAUF DE DIRE LE NOM DU COMPLICE DE NASRALLAH ,CAD AOUN CAR BASSIL LUI A EU DROIT A SON NOM . 3 PERSONNAGES QUI ONT MENE CE PAYS EN ENFER

    LA VERITE

    18 h 43, le 10 octobre 2021

  • En Bref : Comme beaucoup de nation qui sont des états vassaux de différentes puissances, leur écosystème politico-social, fonctionne: "bien caché sous terre dans l’obscurité où se trouvent la vie, la mort, la politique, l’économie, la guerre et la paix. En même temps à la surface dans le soleil on retrouve les représentants de la population qu’on identifie comme des légitimes et qu’on affuble de titre honorifique, sachant qu’en fin de compte qu’ils n’ont rien à dire". Le Liban n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais malheureusement il s’est vassalisé au mauvais AXE.

    DAMMOUS Hanna

    17 h 47, le 10 octobre 2021

  • "Ces forces souterraines qui gouvernent le Liban"... Il y a une seule pseudo-force souterraine qui, alimentée et dirigée par les perses, tire les ficelles des polichinelles qui nous assassinent. Merci pour cet article.

    Wlek Sanferlou

    14 h 59, le 10 octobre 2021

  • "Ces forces souterraines qui gouvernent le Liban"... Il y a une seule pseudo-force souterraine qui, alimentée et dirigée par les perses, tire les ficelles des polichinelles qui nous assassinent. Merci pour cet article.

    Wlek Sanferlou

    14 h 59, le 10 octobre 2021

  • Merci à Hazem Saghieh et merci à l’OLJ de publier des articles traduits de l’arabe.

    Eddé Dominique 4037

    13 h 33, le 10 octobre 2021

  • je retiens l'essentiel - pour mon gout a moi- de l'article analytique/descriptif bien ecrit: celui qui confirme sans possible denegation de sa part, que jobran bessil aka le tout pti gendre "filtrait" chaque ou la plupart des "candidats" ministres avant de donner son accord ou l'inverse. AH LA LA, cette propension au mensonge , a l;arrogance appele -au Liban- ALA AYNAK YA TEGER- cad, je n'ai pas de probleme de connaitre mon crime au vu et au su de tout le monde.

    Gaby SIOUFI

    10 h 22, le 10 octobre 2021

  • Excellent…des ministres pas seulement potiches mais intellectuellement insignifiants et dans l’underground de leur fonction. Ils sont incapables de respirer sans autorisation et ne cherchent qu’à servir leurs maîtres en premier et non le peuple. Les hommes et femmes capables de faire avancer le pays sont à l’étranger et il ne reste sur place que les politiciens incapables à l’esprit tellement étriqué…

    Karam Georges

    10 h 16, le 10 octobre 2021

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