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La ligue des acharnés

Redoutée, parfaitement prévisible pourtant, était la neutralisation – techniquement provisoire pour le moment – du magistrat Tarek Bitar , chargé de faire toute la lumière sur les meurtrières explosions de l’an dernier dans le port de Beyrouth. Qui a volé volera. Dès lors, la caste politique, qui a déjà réussi à éliminer un premier investigateur, n’avait aucune raison de ménager le suivant. D’admettre à contre-coeur cette triste évidence n’est pas toutefois céder à un quelconque fatalisme ou défaitisme.


C’est bien vrai qu’il donne froid dans le dos, cet acharnement à étouffer dans l’œuf la vérité sur l’enchaînement des faits qui ont conduit à la terrible catastrophe. Après d’intenses campagnes de dénigrement, on en est venu à user de la menace contre Tarek Bitar ; et surtout on s’est arrangé, on y a même veillé, pour que cela se sache dans toutes les chaumières libanaises.


Suspects de toutes les familles politiques, de toutes les appartenances confessionnelles, partisanes, idéologiques, unissez-vous ! Contre le téméraire homme de loi qui multipliait les mandats de comparution ou d’arrêt par défaut s’est vite constituée, de fait, une ligue transcendant les rivalités les plus tenaces. Face à Bitar poursuivant pêle-mêle un ancien chef de gouvernement, des anciens ministres, des députés ainsi que des responsables militaires ou sécuritaires, c’est en réalité une défense collective, fonctionnant en pool déguisé, qui a pris corps. Optant les uns pour le code de procédure pénale, et les autres pour la civile, adressant leurs recours en récusation à plus d’une instance judiciaire (ici la cour d’appel et là la Cour de cassation), les avocats de la défense soulageaient la clique tout entière, dès lors qu’ils marquaient un seul coup au but. Ou qu’ils imposaient pour le moins une suspension de partie, comme cela vient d’être fait au moyen de tout un faisceau de manœuvres dilatoires.


Par un puissant paradoxe cependant, tant d’outrageuse frénésie dans la déconstruction, le sabotage, le torpillage de l’enquête est révélateur aussi de la grande peur qui s’est emparée de maints responsables, présents ou passés. Plus de 200 morts et des milliers de blessés, toute une partie de la capitale soufflée comme château de cartes : l’énormité même du bilan laisse imaginer les ravages que causerait la vérité si elle éclatait un jour, au sein d’un establishment tenu, lui, pour indéboulonnable.


Un test décisif attend maintenant les deux juridictions appelées à statuer sur le cas Tarek Bitar. À travers elles, c’est en fait l’appareil judiciaire libanais dans son ensemble qui joue son honneur, en même temps que sa crédibilité. Encore plus vital est cependant l’enjeu pour le Liban, qui jamais ne pourra retrouver sa santé, ni même sa raison d’exister, sans que soit rétablie auparavant la primauté du droit. Droit à la nourriture, droit au travail, à l’école, au médicament et à l’hôpital ; droit à la propriété , au bien-être et au mieux-être, à la lumière, à l’essence, au chauffage ; droit à la démocratie, à une gouvernance honnête et transparente : autant de batailles qui ne sauraient être livrées hors de l’aile de la justice. Quel investisseur étranger ou même expatrié serait-il en effet assez fou pour placer son argent dans une jungle ou une caverne d’Ali Baba ? Quel effet aurait un succès électoral des forces du changement si le verdict des urnes venait se heurter au déni milicien ?


La vérité, la vérité pour le port, la voilà bien, la clé des autres, des innombrables dossiers en souffrance et qui tourmentent cruellement le Liban. La mère de toutes les batailles est bien celle du port.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Redoutée, parfaitement prévisible pourtant, était la neutralisation – techniquement provisoire pour le moment – du magistrat Tarek Bitar , chargé de faire toute la lumière sur les meurtrières explosions de l’an dernier dans le port de Beyrouth. Qui a volé volera. Dès lors, la caste politique, qui a déjà réussi à éliminer un premier investigateur, n’avait aucune raison de...