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Société - Éclairage

La distribution d’eau potable, victime collatérale des pénuries de carburant

Près de 2,4 millions de personnes sont affectées par la crise hydraulique au Liban, assure la représentante de l’Unicef Yukie Mukuo.

La distribution d’eau potable, victime collatérale des pénuries de carburant

Le ballet des citernes d’eau est incessant en été, et cette année plus que les précédentes. Photo d’archives Saïd Meallaoui

Devant sa supérette à Aïn el-Remmaneh, Michel* a l’air dépité. À la crise économique et financière, aux coupures d’électricité, aux pénuries de carburants et de médicaments s’ajoutent depuis quelques mois pour lui et beaucoup d’autres un grave problème d’accès à l’eau. « Notre quartier a toujours eu ce souci, mais cet été, c’est sans précédent. L’eau ne vient que quelques heures par semaine, pas même de quoi remplir mon réservoir sur le toit », déclare l’homme d’une cinquantaine d’années, qui habite dans ce quartier beyrouthin depuis des décennies.

Jana*, 22 ans, qui réside à Mina, le quartier portuaire de Tripoli, vit une situation quasi similaire. « Cela fait près de trois semaines que nous n’avons pas reçu une goutte d’eau. Les coupures de courant, nous avions l’habitude, mais le manque d’eau, ça rend notre quotidien si difficile », confie-t-elle. La jeune diplômée en architecture raconte, non sans gêne, avoir « dû aller se laver chez des amis à plusieurs reprises ». Tripoli n’avait pas l’habitude d’avoir ce type de problèmes, contrairement à Beyrouth. Mais depuis le mois de juin, des quartiers entiers souffrent d’un manque cruel de distribution d’eau. Contrairement à Beyrouth, la capitale du Nord ne dispose pas d’un réseau de distributeur parallèle d’eau (camions-citernes) et il y est difficile de trouver une entreprise capable d’offrir ce service.

Frappée par une crise sans précédent dans l’histoire moderne du pays, l’eau, ressource vitale s’il en est, est une victime collatérale de la décomposition de l’économie libanaise. Le 23 juillet, Yukie Mukuo, représentante de l’Unicef au Liban, tirait la sonnette d’alarme en annonçant que 71 % de la population libanaise pourrait souffrir d’un manque d’accès à l’eau si rien n’est fait pour enrayer cette dynamique. « Plus de quatre millions de personnes dont un million de réfugiés risquent très vite de ne plus avoir accès à l’eau potable au Liban », écrivait l’Unicef dans un communiqué.

Un mois plus tard, l’organisation onusienne affirmait que « le coût de l’eau allait exploser, augmentant de 200 % par mois », et que « la plupart des stations de pompage d’eau allaient progressivement cesser dans tout le pays ». Le 16 septembre, l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban déclarait, pour sa part, que ses réserves de fuel étaient désormais épuisées et qu’un rationnement strict devait être instauré dès les jours suivant cette date, le pompage devenant problématique.

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Le pays du Cèdre a pourtant été longtemps considéré comme le château d’eau du Moyen-Orient, une région caractérisée par le manque de ressources hydriques. Le Liban dispose à titre d’exemple de 770 m3 d’eau renouvelable par an par personne alors que la Jordanie n’en a que de 120 à 200 m3. Au Liban, ce n’est pas l’eau qui manque, mais bien les systèmes de pompage et de distribution qui ne sont pas capables d’acheminer cette ressource vitale aux habitants, en raison de la pression économique et d’une incompétence endémique des autorités concernées.


Dans un pays considéré comme un château d’eau au Moyen-Orient, les habitants ont souvent recours à un système parallèle pour pallier la distribution d’eau déficiente. Ici, une femme remplissant des bidons à Falougha, au Metn. Photo Marc Fayad

« Beyrouth et sa banlieue les plus affectées »

Interrogée par L’Orient-Le Jour, Yukie Mukuo affirme que « ce sont déjà près de 2,4 millions de personnes qui sont affectées par la crise hydraulique au Liban », ce qui représente une augmentation significative en comparaison avec 2020. Une situation exceptionnelle pour un pays qui était pourtant considéré comme étant un pays à revenu moyen supérieur selon la Banque mondiale en 2019. « Nous appelons tous les pays donateurs à contribuer afin que cette ressource ne se tarisse pas », lance la représentante de l’Unicef.

L’effondrement du système hydraulique au Liban aurait des répercussions catastrophiques dans de nombreux secteurs, en particulier celui de la santé, avec l’apparition de maladies liées à la pollution de l’eau comme le choléra. « Beyrouth et sa banlieue seraient les zones les plus affectées par une grave crise de l’eau due à la haute densité de population », explique le Pr Nadim Farajalla, directeur du programme Climat et environnement à l’Université américaine de Beyrouth. L’utilisation généralisée par ceux qui en ont les moyens de camions-citernes fait déjà entrer dans les maisons une eau non contrôlée et potentiellement polluée, qui engendre un risque sanitaire grave pour la population.

Si la crise de l’eau s’est aggravée avec la pénurie de mazout et les coupures d’électricité, les problèmes structurels qui en sont à l’origine ne datent pas d’hier et proviennent de plusieurs décennies de négligence. Au pays du Cèdre, la distribution et la collecte de l’eau sont opérées à travers quatre offices autonomes régionaux : dans le Nord, la Békaa, le Mont-Liban et dans le Sud. Chacune de ces structures est indépendante de l’autre. Elles sont également indépendantes financièrement du ministère de l’Énergie qui ne leur alloue aucun budget. La responsabilité qui incombe au ministère est celle de s’assurer qu’il y a assez d’eau dans les nappes et les barrages afin que les offices puissent la distribuer aux habitants.

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Mais avec la dépréciation de la livre libanaise, ces offices autonomes ont perdu toutes leurs capacités financières même pour assurer un service minimum. « Entre 2020 et aujourd’hui, nous avons connu une chute de près de 40 % en quantité d’eau distribuée à la population. Parfois, ce sont des quartiers entiers dans des villages qui ne reçoivent pas l’eau », explique Wassim Dagher, directeur général de l’Office de l’eau du Liban-Sud.

Pour le Pr Farajalla, « cette crise provient en premier lieu du manque d’accès à l’électricité distribuée par l’État et au mazout, à cause de l’effondrement de la livre ». Aussi simple que cela puisse paraître, la quasi-extinction des centrales électriques au Liban a mis sous stress les stations de pompage sur l’ensemble du pays. Chaque station de pompage est munie d’un moteur électrogène afin de le faire fonctionner, mais cela ne suffit pas à remplacer Électricité du Liban (EDL).

« Baisse de 50 à 60 % en 6 mois »

Jean Jibran, directeur général de l’Office de l’eau de Beyrouth et du Mont-Liban, met en avant le même problème. « Une fois de plus, l’obstacle principal est le mazout. Nous ne recevons que la moitié des quantités demandées, nous sommes donc contraints de rationner l’approvisionnement en eau, qui a baissé de 50 à 60 % ces six derniers mois. » De surcroît, les générateurs électrogènes ne sont pas faits pour tourner plus de huit heures par jour, il est donc impossible d’assurer une distribution continue.

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Ces centres de pompage nécessitent en outre un budget pour assurer la maintenance des machines. À cet égard, depuis le début de la crise, l’Unicef a lancé un programme de soutien aux infrastructures libanaises. « Les offices autonomes ont perdu leur capacité d’acheter des pièces de rechange à la suite de la dévaluation, l’Unicef a donc lancé un programme de soutien qui s’est terminé en juin 2021. Ce programme est vital et il faut absolument qu’il soit maintenu », affirme Yukie Mukuo. La représentante de l’organisation onusienne rappelle que le coût d’une distribution (privée) d’eau par camion-citerne à la population libanaise serait bien plus élevé que la maintenance des infrastructures existantes. En effet, il faudrait un budget 8 à 10 fois plus élevé pour assurer l’acheminement d’eau par voie terrestre aux trois millions d’abonnés que comptent les autorités de l’eau. « Afin d’assurer la maintenance des infrastructures, nous demandons une aide de 40 millions de dollars, 10 millions par office autonome », ajoute Mme Mukuo. L’organisation pioche actuellement dans ses réserves propres afin d’assurer les besoins les plus basiques.

La fuite des cerveaux affecte le secteur

Les quatre autorités locales souffrent également d’une saignée de leurs forces vives, alors que de plus en plus d’ingénieurs sont tentés de quitter le Liban dans cette situation. « Il faut des années pour former des ingénieurs compétents qui puissent innover », rappelle Wassim Dagher. « Quarante d’entre eux ont quitté le travail depuis le début de la crise sur soixante-dix », ajoute-t-il. Avec la dévaluation, leur salaire ne vaut guère plus de 100 dollars alors qu’ils peuvent toucher vingt fois plus à l’étranger. Jean Jibran confirme la tendance dans ses rangs : « Un de mes employés vient de nous quitter pour la France après 24 ans de bons et loyaux services. Ces personnes sont très difficilement remplaçables sur le court terme. »

Durant ces périodes de crise, les employés qui restent doivent travailler double afin de compenser le départ de leurs pairs. La logistique de maintenance et d’approvisionnement des groupes électrogènes dans les centaines de sites de pompage que compte le Liban (le Liban-Sud compte à lui seul près de 350 emplacements) est aussi un obstacle de taille au bon fonctionnement. « Les offices ne sont pas des structures qui ont la capacité de gérer une telle opération », confie Jean Jibran à L’Orient-Le Jour.

Le solaire comme solution

Depuis le début de cette crise, nombre d’initiatives civiles ont vu le jour, poussant les habitants à s’organiser afin d’assurer que l’eau continue à couler dans leur village. C’est ainsi que le solaire en est arrivé à prendre une place fondamentale dans la stratégie fixée par Wassim Dagher qui espère trouver des solutions durables, respectant l’environnement, tout en représentant une alternative économiquement intéressante. « Les municipalités et organisations locales font pression pour que le solaire remplace les groupes électrogènes. Selon notre stratégie de 2019 s’étalant sur les trois prochaines années, nous souhaitons atteindre 35 % d’énergie solaire sur nos stations de pompage. Aujourd’hui, nous sommes à moins de 5 %, mais c’est un bon début », explique-t-il.

L’Unicef est aussi dans la même dynamique et considère que le solaire devrait être une des solutions pour le Liban. La Syrie voisine, qui est depuis le début de la guerre civile confrontée à une grave crise d’accès aux hydrocarbures, voit se multiplier les panneaux solaires, souvent en provenance de Chine. Le Liban pourrait être dans la même lancée en optant pour des solutions excluant les énergies fossiles, ne pouvant accéder aux devises nécessaires pour s’en procurer sur les marchés internationaux.

*Les prénoms ont été changés.

Devant sa supérette à Aïn el-Remmaneh, Michel* a l’air dépité. À la crise économique et financière, aux coupures d’électricité, aux pénuries de carburants et de médicaments s’ajoutent depuis quelques mois pour lui et beaucoup d’autres un grave problème d’accès à l’eau. « Notre quartier a toujours eu ce souci, mais cet été, c’est sans précédent. L’eau ne...

commentaires (2)

L'EAU CALMEMENT ET INUTILEMENT COULE VERS LA MER . NOTRE PRIORITÉ EST D’ARRÊTER TOUT PROJET ET DE FAIRE DU GASPILLAGE : LORSQUE LA DERNIÈRE GOUTTE D’EAU SERA POLLUÉE , LE DERNIER ARBRE COUPE , LE DERNIER OISEAU CHASSE , LE LIBANAIS COMPRENDRA ( PEUT ÊTRE ) QUE L’ARGENT NE SE MANGE PAS.

aliosha

13 h 30, le 23 septembre 2021

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Commentaires (2)

  • L'EAU CALMEMENT ET INUTILEMENT COULE VERS LA MER . NOTRE PRIORITÉ EST D’ARRÊTER TOUT PROJET ET DE FAIRE DU GASPILLAGE : LORSQUE LA DERNIÈRE GOUTTE D’EAU SERA POLLUÉE , LE DERNIER ARBRE COUPE , LE DERNIER OISEAU CHASSE , LE LIBANAIS COMPRENDRA ( PEUT ÊTRE ) QUE L’ARGENT NE SE MANGE PAS.

    aliosha

    13 h 30, le 23 septembre 2021

  • > hahahaha ! la blague. il fallait escompter qq competence des autorites concernees: municipalites, urbanisme,planification, les 2 presidences, le parlement,de tous ces kellon d'y penser depuis bien longtemps. quand Chypre avait promulgue une loi obligeant ces installations depuis bientot 50 ans.

    Gaby SIOUFI

    10 h 36, le 23 septembre 2021

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