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Lifestyle - Entretien

L’architecte libanais Carl Gergès ajoute sa patte sur l’Institut du monde arabe à Paris

Aujourd’hui s’ouvre au musée de l’Institut du monde arabe à Paris l’exposition « Lumières du Liban »* qui retrace l’histoire de l’art libanais de 1950 à nos jours en mettant en parallèle les œuvres de cette période et leur contexte sociopolitique. Carl Gergès a été invité à en concevoir la scénographie, mais aussi et surtout à réaménager « l’Espace des donateurs », l’un des espaces qui accueilleront cet évènement. Il nous confie la genèse de ce projet.

L’architecte libanais Carl Gergès ajoute sa patte sur l’Institut du monde arabe à Paris

Carl Gergès a conçu la scénographie et surtout le réaménagement de « l’Espace des donateurs ». Photo Bassem Chahwan

Racontez-nous, pour commencer, la genèse de votre collaboration avec l’Institut du monde arabe…

Comme pour la plupart des Libanais, la période qui a suivi la double explosion du 4 août 2020 a été sans conteste la plus difficile de ma vie. Mon appartement ayant été soufflé par les explosions, j’ai été contraint d’aller habiter chez mes parents, le temps de réparer chez moi. En l’espace de quelques secondes, Beyrouth et ma vie ont basculé. C’était très dur. Au bout de trois mois d’un chantier laborieux, sur fond d’une crise socio-politico-économique sans pareil, j’ai ressenti le besoin de prendre du recul par rapport à tout ce qui se passait dans le pays et aussi l’envie de me ressourcer. J’ai donc été passer quelque temps à Paris. Lors de mon séjour, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec la Barjeel Art Foundation qui m’a invité à donner une conférence aux étudiants de l’American University of Paris (AUP) autour de l’architecture et de la musique. À l’issue de cette rencontre, la fondation m’a proposé le projet du réaménagement de la salle d’actualité (qui sera rebaptisée Salle des donateurs), dans le bâtiment de l’IMA. S’est ensuivie une rencontre avec Claude Lemand qui a fait don de 1 600 œuvres au musée de l’IMA –parmi lesquelles celles qui constitueront l’exposition « Lumières du Liban » – et dont l’histoire, l’amour et l’engagement envers le Liban m’ont profondément ému. Mais aussi avec l’équipe de l’IMA, notamment le secrétaire général Jean-Michel Crovesi, la directrice du département du musée et des expositions Nathalie Bondil et le conservateur Éric Delpont. C’est au cours de notre conversation qu’ils m’ont présenté l’idée d’intégrer, dans « l’Espace des donateurs » , l’exposition « Lumières du Liban ».

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Quel a été votre apport dans chacun de ces deux projets que vous avez travaillés en parallèle ?

La « Salle d’actualité » est un espace de 350 m2 qui avait été condamnée et employée en tant que dépôt. L’idée était de le transformer en un lieu qui aurait une double fonction, d’une part, servir d’espace d’exposition dans le but d’attirer davantage de donateurs ; et d’autre part, agir comme un hub pédagogique où se tiendront par exemple des ateliers pour étudiants. On est donc face à un changement de fonction, à un passage d’un univers à un autre, et c’était là le grand défi. Quant à l’exposition Lumières du Liban qu’accueillera l’Espace des donateurs, j’ai été invité à en concevoir la scénographie. Bien que je n’aie jamais été formé à la scénographie, dans le sens propre ou académique du terme, j’avais auparavant et dans le cadre de concerts donnés par le groupe Mashrou’ Leila, dont je suis le batteur, conçu des espaces scéniques pour nos concerts. Nous nous étions également produits dans des espaces muséaux, tels le MET à New-York et le Grand Palais à Paris… Le projet de l’IMA m’a donc séduit et inspiré dès qu’on me l’a présenté. Notamment, le fait d’établir une conversation entre le lieu, ses murs et les œuvres d’art qui y seront présentées.

Comment a démarré le processus de conception de l’Espace des donateurs ?

C’était un exercice assez périlleux du fait que le bâtiment de l’IMA est un bâtiment iconique qui raconte le regard de la légende Jean Nouvel sur le monde arabe et l’Orient. D’une part, il me fallait intervenir sur un espace quasi vierge, exprimer ma vision des choses. Mais d’autre part, cela devait se faire dans le respect de l’esprit de cette bâtisse. C’est là même que résidait le principal défi. D’autant que je devais, d’une certaine manière, condenser ce que représente pour moi le monde arabe dans un seul lieu. Bien que l’idée du monde arabe soit assez disparate, contrairement à la vision occidentale de cette région qui a tendance à la réduire à des clichés, je me suis rendu compte, au fil de mes recherches, de cette chose qui nous lie, nous Arabes : c’est la terre. Les photos sur lesquelles j’ai pu tomber, prises à Louxor en Égypte ou à Palmyre en Syrie, auraient pu être prises à Baalbeck, au Liban, tant la terre, ses couleurs agissent comme une sorte de toile de fond commune. C’est donc les tonalités de la terre, les camaïeux des formations rocheuses de cette région qui ont été mon point de départ dans la conception de la Salle des donateurs.

« L’Espace des donateurs », installation des toiles et sculptures. Photo Carl Gerges Architects

Parlez-nous de l’architecture de l’espace…

L’Espace des donateurs se situe au deuxième sous-sol du bâtiment. Il est en quelque sorte le ventre de l’IMA ; on y accède par un escalier à double volée avec une envolée de marches, inscrite dans un couloir long et étroit et encadrée par deux rangées de piliers en acier, ce qui accentue la monumentalité provoquée par les volumes. L’idée, pour moi, était de créer un parcours, une plongée vers l’art et la culture. L’escalier joue ainsi un rôle de passerelle qui lie deux mondes, deux esthétiques : le premier, celui brutaliste de l’IMA, un univers de gris-béton, d’acier, de lumière froide, et le second, plus humanisé, aux couleurs et textures chaudes puisées dans cette terre arabe, ce terreau de civilisations ancestrales. Car une fois dans l’espace d’exposition, c’est une expérience à la fois tactile et visuelle qui est proposée au visiteur : visuelle de par les tons changeants, imparfaits, des murs et des cimaises dont chacune prend un accent différent, littéralement recouverts de terre, et tactiles de par les juxtapositions de matières.

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Il y a eu également, de votre part, une volonté de faire appel à une équipe de Libanais et de tout produire au Liban…

Déjà, il est important de mentionner que l’intégralité des murs et des cimaises sont couverts d’une terre provenant du Liban, et les socles sont produits avec la même matière. C’est quelque chose qui me tenait à cœur. C’était pareil quant à l’équipe qui m’assiste pour la production et l’exécution de ce travail. D’abord, parce que cela donnerait au projet une cohérence entre la forme et le fond, mais aussi que cette commission serait une opportunité pour ces talents libanais d’exporter leurs compétences et de s’ouvrir à d’autres horizons, quand ceux du Liban semblent bouchés de tous côtés. C’est ainsi que j’ai fait appel au studio The Piece Makers pour la production, à dix ouvriers libanais qui se chargeront de l’installation, à Fabraca Studio pour l’éclairage, au graphiste Joe Chalhoub pour la direction artistique et à vous, journaliste, pour contribuer à l’histoire et la scénographie de l’exposition. Avec la crise que traverse le Liban en ce moment, plus précisément les pénuries de carburants qui provoquent des longues coupures de courant, les conditions de travail de cette équipe étaient extrêmement difficiles à partir du Liban.

« L’Espace des donateurs », Ayman Baalbaki et Etel Adnan. Photo Carl Gerges Architects

Quelle a été l’idée derrière la scénographie de « Lumières du Liban » ?

Un an après la double explosion du 4 août et alors que l’on pouvait s’attendre à ce que ce drame mette fin aux souffrances des Libanais, le pays n’a cessé de s’enfoncer dans quelque chose qui ressemble à un tunnel sans fin. Dans ce paysage plongé dans le noir, l’art libanais a toujours agi comme une lumière invisible. À travers l’élément central qui vient tramer le rythme du parcours et qui lui confère un jeu d’ombres et de lumière, cette idée-là est clairement exprimée. Mais au fil des discussions, avec vous, il nous a semblé un peu incomplet de simplement présenter l’art libanais de 1943 à aujourd’hui sans le contextualiser, car même si ces œuvres-là sont un miroir de leur époque, pour un visiteur lambda, elles n’en disent pas toujours assez sur le contexte dans lequel elles ont été créées. Chacun des peintres, des sculpteurs, des artistes qui constituent cette exposition a souvent accouché de ses œuvres dans des conditions extrêmement compliquées, des crises, des guerres, l’exil, la séparation du pays. Et il nous paraissait essentiel de souligner cela. D’où l’idée d’accompagner ce parcours de supports visuels de unes de L’Orient-Le Jour qui permettront de contextualiser ces œuvres, les remettre dans l’espace-temps où elles ont été conçues en dressant une sorte de parallèle entre l’histoire et l’histoire de l’art du Liban. Quant au parcours, il est certes chronologique, mais il est inversé, démarrant en 2021, suite à l’apocalypse du 4 août, avant de remonter le temps, de parcourir les années d’après-guerre, cette période comme une bulle artificielle, de passer par l’époque de la guerre civile et de s’achever sur une note d’espoir, ce qu’on appelle l’âge d’or qui a précédé 1975…

* « Lumières du Liban », du 21 septembre au 2 janvier 2022, à l’Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris, France

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