Durant l’Antiquité, Béryte était une cité phénicienne d’abord autonome, ensuite sous influences assyrienne, babylonienne, perse et helléniste. La muraille extérieure de la ville entoure des édifices modestes qui varient en importance selon la hiérarchie sociale. Entre 143 et 138 avant J.-C., Bérytos est détruite puis reconstruite selon un plan hellénistique avec des quartiers résidentiels englobant des blocs de maisons carrés avec une grille de routes rectilignes.
En 64 av. J.-C., la cité tombe sous l’emprise romaine pour devenir Berytus. Elle acquiert la réputation d’être la plus romaine des provinces orientales de l’empire. À l’instar d’une ville romaine typique, elle est bâtie en angle droit avec des routes parallèles et perpendiculaires. Elle contient des temples, des théâtres, des bains et des forums. C’est surtout une cité universitaire grâce à son illustre école de droit. Comme toute ville romaine qui se respecte, elle a son aqueduc qui approvisionne les citoyens en eau.
En 551 après J.-C., un titanesque séisme ravage Berytus. Les bâtiments de la ville sont ensevelis sous les décombres. Durant les nombreux siècles qui suivent, la ville tombe sous l’emprise des Byzantins, des califats musulmans (omeyyade, abbasside et fatimide), des croisés, des Mamelouks et des Ottomans. Chaque occupant étranger imprégnera la ville de son style architectural particulier. Au XVIe siècle, Beyrouth sombre dans l’oubli. Elle devient une petite bourgade de pêcheurs avec des habitations sur des récifs à fleur d’eau. La ville ne survit que grâce à l’emplacement stratégique de son port qui forme un abri naturel contre le vent et la houle.
Beyrouth revit au XIXe siècle grâce à la construction de son lazaret, conséquence de la brève invasion égyptienne de certains territoires ottomans du Levant. Les consuls européens ainsi que de nombreuses missions chrétiennes s’installent dans la ville. La population de la ville croît de façon considérable suite à l’affluence de réfugiés chrétiens fuyant les massacres de la Montagne et de Damas. La ville est à son apogée intellectuelle. Une prolifération d’écoles, d’universités, d’imprimeries et de périodiques multilingues voient le jour. De nombreux ouvrages étrangers sont traduits en langue arabe, et vice versa. Ce bouillon de culture se reflète dans le style architectural italo-oriental de la ville, singulier syncrétisme de multiples influences provenant de l’Est et de l’Ouest.
Les maisons beyrouthines de l’époque sont adaptées au climat méditerranéen. Elles ont une forme cubique avec des toits pourvus de reluisantes tuiles rouges de Marseille. Les façades, en pierres taillées, sont dotées de somptueuses arcades. Elles sont typiquement au nombre de trois, le symbole de la Sainte Trinité. La plus imposante arcade se situe au milieu. Les fenêtres sont spacieuses et élongées pour améliorer la luminosité et bonifier le paysage extérieur. Les pièces ont des plafonds de plus de cinq mètres de hauteur. Elles gravitent tout autour du cœur social de la maison, à savoir son magistral grand hall central. Aussi, les pièces sont judicieusement conçues et orientées pour laisser libre court à la rafraîchissante brise du Nord. À l’extérieur, les maisons sont embellies par d’agréables jardins foisonnants avec leurs pittoresques fontaines en marbre italien.
En 1920, Beyrouth devient la capitale du Grand Liban. De nouvelles constructions émergent dans une capitale flambant neuve. De nouveaux quartiers se forment avec des maisons de trois ou quatre étages. Les nouvelles bâtisses sont dotées de belles façades blondes ou blanches pourvues de majestueuses colonnes altières. Les balcons sont munis de larges dalles et de charmantes rambardes en pierre taillée ou en fer forgé style Art déco. Les fenêtres sont nanties de coquettes persiennes en bois.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le béton fait une entrée tonitruante dans le paysage urbain. C’est ainsi que des forêts d’immeubles bétonnés poussent comme des champignons dans les différents quartiers de Beyrouth. Ces nouveaux bâtiments sont les fiers parangons d’une architecture futuriste au style occidental et au luxe moderne. Beyrouth grandit pour devenir une ville dense et intense. L’éruption de la guerre civile interrompt momentanément la frénésie immobilière. Dès la fin de la guerre civile en 1990, la construction de la capitale reprend de plus belle, comme si les promoteurs immobiliers désiraient à tout prix rattraper le temps perdu.
En particulier, le centre-ville se reconstruit dans une ambiance euphorique. Ses avenues et ses bâtiments sont parfaitement manucurés et minutieusement dupliqués à l’image du souk d’antan. Cependant, le visage du nouveau centre-ville est trop prétentieux et trop sélectif. C’est une coquille étincelante et opulente de l’extérieur, mais tristement vide et insipide de l’intérieur. Effectivement, c’est un espace sans âme, dépourvu d’authenticité et de gaieté. Par comparaison, le souk d’antan possédait une chaleur humaine. Il avait des pouls, des veines et un cœur. Il bouillonnait de piété et de vivacité. Il accueillait à bras ouverts une population hétérogène à grande diversité ethnique, sociale et culturelle.
Au début du XXIe siècle, la capitale est possédée par la folie des grandeurs. Les anciennes demeures sont démolies pour laisser place à de somptueuses tours qui pointent orgueilleusement à la verticale pour chatouiller les nuages. Plus elles sont impressionnantes, plus elles deviennent impersonnelles. L’esprit de convivialité qui régit les liens sociaux entre les voisins n’est plus de mise dans ces grandes habitations anonymes et superficielles.
Il est triste de constater que les nouvelles constructions font des ravages considérables dans la ville de Beyrouth livrée à elle-même. Non seulement il n’y a pas de « zoning » adéquat, mais la ville est sous l’emprise de responsables immoraux. À titre d’exemple, les nouvelles constructions brisent la dialectique entre la ville et son rivage. En l’occurrence, les hauts immeubles qui s’érigent le long de la côte forment un rideau hermétique qui prive injustement et cruellement le résident beyrouthin du paysage radieux et majestueux d’une belle baie méditerranéenne.
Il s’en est fallu de quelques décennies pour que l’architecture de Beyrouth soit complètement défigurée par une cacophonie de constructions incohérentes et incompatibles. La transformation de Beyrouth se reflète par une dissonance cinglante entre l’harmonie du passé et le chaos du présent, entre l’humanisme du passé et l’indifférence du présent, entre la sobriété du passé et la prétention du présent. Effectivement, l’urbanisme sauvage a eu gain de cause sur ce joyau architectural unique dans son genre dans les pays arabes. Aujourd’hui, on se demande quelle identité architecturale on peut attribuer à cette jungle beyrouthine difforme et décousue.
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commentaires (1)
a se demander si quoique ce soit de non sauvage a jamais été bâtit . apres feu Maurice Gemayel le Liban est devenu une foret REELLEMENT VIERGE
Gaby SIOUFI
15 h 09, le 16 septembre 2021